TRIBUNE Tunisie – Elections : Le substrat culturel, encore et toujours…

manif-tounes.jpgPremière lecture des premiers résultats des élections. Comment expliquer le raz de marée Ennahdha, y compris chez les Tunisiens à l’étranger? Est-ce vrai que les gens ont voté pour des «islamistes»? La Tunisie, future “Tunistan“? (comme a écrit un journaliste étranger)…

Un vote religieux?

Non pas du tout. Il faut se rappeler qu’Ennahdha a eu un discours assez soft, qu’ils ont rarement parlé de religion, sauf quand on leur demandait quel était leur background. Ce n’est donc pas pour un discours religieux que les gens auraient voté, à mon avis. Les gens ont voté pour un parti traditionnel, qui a une histoire, y compris dans le militantisme, que ce soit face à Ben Ali, ou face à Bourguiba avant. Les gens ont voté pour un parti politique qui compte des hommes perçus comme étant des hommes de confiance. D’ailleurs, Ennahdha a été très stratège d’instituer le slogan «loyaux…honnêtes». Chapeau bas.

Les gens ont voté pour un parti et un courant qui chatouille un aspect encore plus important, peut-être, que la religion. Ce n’est même pas la culture. C’est l’inconscient culturel. Je m’explique: d’abord, il faut se mettre d’accord sur le fait que le religieux s’imbrique -avec le temps, et dans l’espace surtout-avec le culturel. S’imbrique jusqu’à devenir entièrement culture peut-être.

Il est acceptable dans le cercle privé de ne pas faire Ramadan, mais il n’est pas acceptable de ne pas se mettre à table avec les autres au moment de la rupture du jeûne. On est libre de faire ou de ne pas faire la prière, notre jour de congé hebdomadaire est dimanche, et non vendredi. Mais on sursaute dès qu’on nous parle de laïcité.

Voilà comment nous sommes, nous les Tunisiens, nous sommes peut-être profondément tolérants, laïcs et progressistes. Bourguiba n’est pas mort à mon avis. Mais on sursaute –quand même- quand on nous passe «Persépolis» à la télé, pas parce que l’on y parle ouvertement de shit et de sexe, mais parce qu’on y représente Dieu.

Qu’on ne s’y trompe pas alors, le substrat culturel est le fondement même des sociétés humaines, surtout à l’ère de la mondialisation, du chômage, de la précarité, etc. L’Europe est profondément chrétienne et la Turquie rame pour y entrer justement pour cette raison. Nous sommes décidément profondément de culture arabo-musulmane. Je dis “profondément“, car nous ne le savons peut-être pas. Et c’est cela l’inconscient culturel. Il est là, il est structurant, mais il est si enfouis en nous qu’on ne s’en rend plus compte.

C’était donc, à mon avis, un vote pour des valeurs, pour une identité à retrouver, et une revanche à prendre sur tout ce que l’on a enduré collectivement: misère, corruption, injustice et frustration sociale… Dieu aurait été le meilleur justicier, et c’est un retour vers lui qui nous aurait fallu… Mais en aucun cas une Tunisie “Tunistan“, à mon avis.

Et le vote Ennahdha n’est donc pas, à mon avis toujours, exclusivement ou massivement celui des couches populaires, celui du quart de la population sous le seuil de la pauvreté –ceux-là c’est le segment du marché de la pétition populaire «Al Aridha Achâbya». Le vote Ennahdha est celui de l’ex-classe moyenne, au niveau de vie en chute libre, qui croyait dur comme fer dans la modernité, dans le diplôme comme ascenseur social, et qui a été profondément déçue.

Le tsunami en Libye…

Une autre question peut venir influencer le déroulement des évènements dans notre pays, c’est celle de la libération de la Libye. Enfin! Précisément, celle de l’acceptation majoritaire dans ce pays de la Charia comme fondement des lois et de la Constitution. La guerre sanglante, les épreuves vécues par les «Thouars», braves hommes du peuple, viennent, à notre sens, renforcer dans la conscience collective, une place supérieure de l’homme, ou du moins pour ne pas aborder le sujet de l’égalité homme-femme de façon grossière, disons que cela renforce une division très traditionnelle des tâches et des rôles sociaux, entre l’homme, guerrier, et la femme, mère nourricière.

Ce n’était pas exactement le cas dans la révolution Tunisienne. Hommes et femmes étaient côte à côte partout dans les rues, nous avons des morts des deux sexes, et nous n’avons pas eu de véritable guerre, fort heureusement, grâce à la position salutaire de notre armée.

Renouveau économique…?

Maintenant mises à part toutes les questions qui attendent Ennahdha, si jamais elle reste dans le pouvoir au-delà de la durée nécessaire à rédiger une Constitution…, moi je voudrais bien voir les femmes échanger leurs Jellabas et leurs Nikabs, contre des «Hayek» ou des «Sefseri». Au lieu des vêtements qui ne font pas partie de nos traditions mais qui sont importés; je voudrais bien voir les femmes de mon pays (celles qui veulent se cacher les cheveux ou les jambes) mette des vêtements qui viennent de notre patrimoine. Ca relancerait cette production, un savoir-faire artisanal et ancestral, et qui de plus a une très grande valeur ajoutée aux yeux du consommateur européen, ou autre…

Ce que je veux dire, c’est que, si mon analyse est bonne, si nous avons voté pour une identité plus forte et plus enracinée dans l’«Arabo-musulmanité» ou la “Tunisianité Arabo-musulmane“… appelez cela comme vous voulez, alors j’attends -et je rêve de voir- un véritable renouveau économique, catalysé par le substrat culturel.

J’en ai parlé à plusieurs reprises, et l’économie mauve semble être l’avenir de la croissance, non pas uniquement chez nous, mais un peu partout dans le monde. Face à la saturation des marchés, à la morosité du consommateur, à l’hégémonie des grandes structures (grandes et moyennes entreprises) qui soit licencient, soit maintiennent les gens dans la précarité… Je n’attends que de voir une nouvelle vague de jeunes entrepreneurs et auto-entrepreneurs, qui mettent en valeur le patrimoine culturel du pays, pour relancer l’économie, exploiter des niches de marché à l’étranger (mais chez nous aussi, seulement les marchés étrangers sont beaucoup plus intéressants en termes de taille). Ainsi créer de la richesse, et soulager les maux des gens qui ont fait la révolution, ensuite voté Ennahdha.

Cela va de la bsisa au hayek, en passant par les gammes de produits bio dans l’agroalimentaire ou le cosmétique, le tourisme culturel, voire le renouveau de la chanson et du cinéma Tunisiens, ce qui implique une forte dynamique économique, etc.

PS: Merci une certaine marque, pour le «Think Tounsi». C’est exactement cela que je rêve de voir sur des bus parisiens ou des bus brésiliens, du produit à empreinte culturelle tunisienne…