Youssef Amrani : «La Tunisie est un laboratoire méditerranéen pour les réformes politiques et économiques»

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Affable, courtois et franc, il y tient, Youssef Amrani, marocain et nommé en mai dernier, secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée (UpM), ne cache pas ses ambitions pour une Méditerranée prospère. La Méditerranée à laquelle œuvrera une UpM, non pas virtuelle comme beaucoup se plaisent à le dire mais réelle, porteuse de projets et aspirant à la création d’un espace méditerranéen développé et cohérent. «Je suis méditerranéen, j’y crois et j’y tiens», nous a déclaré Youssef Amrani à l’occasion de la première réunion de la Task Force Tunisie-Union européenne tenue à Tunis les 28 et 29 septembre 2011.

Entretien

WMC: On prétend que l’Union pour la Méditerranée est un ovni qui couvre un espace économique trop large pour être concret. Qu’en pensez-vous?

Youssef Amrani : Il est vrai que l’Union pour la Méditerranée a connu un démarrage difficile pour des raisons que tout le monde connaît, essentiellement politiques et liées au problème du Moyen-Orient. Aujourd’hui, la donne a changé. Le contexte régional a changé. L’Europe est en train de réfléchir à une nouvelle politique de voisinage. Les évolutions politiques issues des révolutions dans le monde arabe sont remarquables. L’UPM, ne pouvait que s’adapter à ces nouvelles donnes et je dirais même plus: l’UPM a eu une vision prémonitoire de la Méditerranée. Il fallait la créer pour accompagner tous ces changements et heureusement, car elle épouse parfaitement le contexte actuel.

L’Union pour la Méditerranée revêt une grande symbolique pour ce qui est de la paix dans la région. C’est le seul espace où Arabes, Turcs, Maghrébins, Européens et Israéliens sont assis autour d’une même table et abordent des questions liées à la paix, à la sécurité et à l’économie.

Aujourd’hui, nous pouvons dire que, après les balbutiements du démarrage, nous passons au concret. Les premiers projets sont déjà adoptés, parmi eux, un sur la désalinisation de l’eau à Gaza adopté à l’unanimité y compris par les Palestiniens et les Israéliens. Nous étudions également des projets sur l’énergie et le plan solaire. Nous nous situons à une phase supérieure. Nous travaillons sur des projets qui ont un impact direct sur l’emploi et la promotion de la croissance. Concernant la Tunisie, nous avons d’ores et déjà 4 à 5 projets de prévus dans différents domaines. Il s’agit d’accompagner la Tunisie dans sa transition démocratique en préservant ses acquis économiques. Parce que ce pays a pris des risques, et que c’est un laboratoire méditerranéen pour les réformes politiques et économiques.

Et si aujourd’hui les pays méditerranéens sont décidés à le soutenir financièrement, économiquement et politiquement, c’est parce qu’il a fait le choix de participer à l’espace économique européen et de l’ancrage à une économie régionale limitrophe et maghrébine.

En l’absence du marché maghrébin?

D’où l’importance pour les Maghrébins de travailler à la concrétisation de ce Maghreb économique constitué de la Tunisie, du Maroc, de l’Algérie et de la Libye. Parce que l’intégration régionale offre de meilleures opportunités en termes d’investissements, de croissance et une plus grande capacité de négociation. Il faut, d’autre part, travailler sur les projets. Les idées ne manquent pas et nous focalisons maintenant sur les PME. Nous sommes décidés à encourager la micro-finance, nous avons piloté le projet en tant qu’Union pour la Méditerranée. Nous allons le réaliser en Tunisie et nous rassemblerons les meilleurs experts du monde pour parler de ce type d’investissement.

D’autre part, ne perdons pas de vue que pour attirer les investissements, il faut travailler sur les instruments financiers, de nouvelles réglementations en matière d’investissement, moins de corruption et une nouvelle sécurité juridique. A ce niveau là, il y a la valeur ajoutée de l’Union pour la Méditerranée. Nous sommes décidés à introduire une dynamique économique et politique concrètes dans l’espace méditerranéen qui ne sera pas basée que sur les relations intergouvernementales. Nous sommes déterminés à associer l’ensemble des acteurs, opérateurs privés, représentants de la société civile, les jeunes et les femmes.

L’histoire nous interpelle, soyons à la hauteur. Il faut surtout répondre aux attentes et aux aspirations des jeunes en créant des emplois, il y a des défis que nous ne pourrons pas, seuls, relever mais que nous pourrions réaliser ensemble.

Pensez-vous pouvoir, au niveau de l’UpM, dynamiser les échanges bilatéraux entre les pays, par exemple, renforcer le partenariat entre la Tunisie et le Maroc dans le secteur financier?

Grâce à l’accord d’Agadir, nous avons vu une croissance substantielle des échanges commerciaux entre les pays signataires: la Tunisie, le Maroc, la Jordanie et l’Algérie ainsi qu’un impact important sur le développement des industries à haute valeur ajoutée. Nous avons donc un exemple de la réussite des accords bilatéraux ou multilatéraux. Nous devons travailler tous ensemble pour gagner tous ensemble. De nouvelles relations sont en train de se redessiner entre le Maghreb et l’Europe, une nouvelle politique de voisinage. Un Maghreb cohérent, fort et uni pourra négocier en bloc et dans tous les domaines. Le Maroc et la Tunisie ont fait le choix de l’arrimage à l’Europe. Avant la signature du Statut avancé par le Maroc, on n’avait jamais négocié cette forme d’accord. Ce concept n’existait même pas, c’est le Maroc qui l’a initié. Aujourd’hui, la Tunisie est en train de négocier un Statut privilégié avec l’Europe. Il faudrait exploiter tous les paramètres de la conjoncture pour optimiser les relations entre les pays du Maghreb et l’Europe.

Les Européens veulent négocier les services avec les pays du Sud alors qu’eux-mêmes ne sont pas ouverts à différents secteurs tels la finance, les métiers de conseil et de consultation et autres sur lesquels ils sont très protectionnistes. Que peut faire l’UpM à ce niveau?

C’est ce qu’il faut explorer avec les Européens dans le cadre de l’Union pour la Méditerranée. Quels sont les ressorts dont nous devons user pour pouvoir intégrer des accords se rapportant à ces secteurs dans nos négociations et que nous puissions partager dans un espace commun.

Plus que la volonté de créer un groupement économique et politique méditerranéen, les pays du Nord cherchent également une sécurité énergétique qui leur permettra de se limiter leur dépendance, surtout en gaz naturel, avec les pays de l’Est telles la Russie ou l’Ukraine. Qu’y gagnent les pays du Sud ?

La réponse à cette question est stratégique. Aujourd’hui l’Europe a besoins de la Méditerranée. Face à la concurrence de la Chine et des Etats-Unis, elle doit élargir son espace. L’Europe est à l’étroit, il faut qu’elle se déploie différemment. L’Europe a besoin de l’espace euro-méditerranéen et du Maghreb parce que c’est un marché émergent. Ces pays sont en train de croître, ils abritent des milliers d’entreprises européennes, ils ont des besoins en infrastructures, ils constituent par conséquent des débouchés pour les pays du Nord; et au-delà du Maghreb, il y a l’Afrique qui est l’avenir de l’Europe.

Hormis les questions liées à la sécurité et à l’immigration importantes pour l’Europe, la Méditerranée représente aujourd’hui une chance pour l’Europe pour ne parler que de l’expansion économique.

Quelle est votre vision de l’Euro Méditerranée?

Le Printemps arabe a tout changé, pour ce qui est de nos relations avec l’Europe. Avant il y avait les obstacles de la démocratie et des droits de l’homme qui conditionnaient la nature de notre partenariat: «More for More, less for less». Aujourd’hui, les paramètres ont changé, nous partageons les mêmes valeurs de liberté et de pluralisme. Il nous appartient à tous, au Sud comme au Nord, d’initier un partenariat lucide, paisible, équitable et équilibré. La Tunisie représente aujourd’hui un enjeu et a une ambition légitime de réussir sa transition démocratique et son développement économique.

La question palestinienne reste une entrave, car après les révolutions, les peuples arabes tiennent plus que jamais à une solution équitable.

L’Union pour la Méditerranée n’est pas le cadre pour discuter la question palestinienne mais toute évolution politique pour la résolution du conflit du Moyen-Orient aura un impact positif sur l’UpM. Nous essayons de dépasser ces problématiques à travers les projets économiques. La preuve, le projet de désalinisation de l’eau de Gaza.