Tunisie – Election des membres de la Constituante : Que cache la forte présence des listes indépendantes?

23octb-130.jpg45% des listes qui se présentent au suffrage des Tunisiens sont constituées d’indépendants. Est-ce le signe révélateur de la décision de nos concitoyens de prendre en charge leur destin? Et de refuser que les partis se saisissent –seuls- de la chose politique? Analyse.

Les chiffres sont tombés: 45% des listes en lice pour l’élection des membres de la Constituante du 23 octobre 2011 sont formées d’indépendants. Il s’agit là évidement d’une moyenne nationale: les indépendants sont, côté nombre, au coude à coude avec les listes des partis politiques dans certaines circonscriptions. Comme à Sfax, par exemple.

Cette situation constitue-t-elle un indicateur de l’évolution que connaît le pays depuis l’avènement de la révolution du 14 janvier 2011? Même si ce n’est pas le cas, il ne peut être que significative, selon nombre d’observateurs.

Les nombreux citoyens qui se sont jetés à bras ouverts dans la bataille politique nous expriment-ils un message fort, celui d’un nouveau son de cloche politique –et citoyen- qui est né le 14 janvier 2011? Entendez par là, de la part de ces citoyens qui, notent des observateurs, n’ont pas été du tout encadrés par des partis politiques lorsqu’ils ont décidé, dans un élan salvateur, de dire «Dégage» à un dictateur qui les a bâillonnés pendant vingt-trois ans durant.

Etre intéressés par les seuls maroquins ministériels

Comprendre: une partie des femmes et des hommes de notre pays veulent prendre en charge leur destin. Ils ne croient pas que les partis politiques peuvent, en somme, faire mieux qu’eux.

Ces derniers ont été même, quelquefois, jugés vouloir «récupérer» leurs revendications légitimes et de n’être intéressés que par les seuls maroquins ministériels et autres sièges dans des assemblées à l’abri du besoin.

Depuis le 14 janvier 2011, des citoyens n’ont cessé, en effet, de répéter que le pays compte beaucoup de partis et qu’ils ne savent pas pour qui voter. Ces «critiques» ont été analysées par nombre d’observateurs comme étant une certaine désaffection par rapport à la chose politique. Confirmation de cette tendance: le lent démarrage des inscriptions sur les listes électorales, en août dernier. Celui-ci a nourri, on se souvient, de nombreux commentaires sur cette thématique.

Les indépendants ont-ils saisi la balle au bond en se présentant en masse à l’élection du 23 octobre 2011? On ne peut ne pas penser que nombre d’entre eux savent tout le bénéfice qu’ils peuvent tirer d’une certaine proximité à la fois territoriale, relationnelle et affective avec leurs électeurs.

Connus des électeurs pour certains faits d’armes et positions, ils partagent, du reste, des soucis voire des préoccupations communs avec leurs électeurs auxquels ils sont liés par un même «terroir».

Une petite longueur d’avance

Ces facteurs leur donnant, quelquefois, une petite longueur d’avance face aux prétendants des partis qui se sont, du moins pour certains, éloignés pour une raison ou une autre des circonscriptions où ils se présentant, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement «parachutés».

D’autant plus qu’ils pensent que les électeurs savent que cette triple proximité permet à nombre d’indépendants de mieux saisir les enjeux et de les prendre à cœur.

Cette forte présence des indépendants sur les listes électorales n’est-elle pas, par ailleurs, révélatrice de l’importance et de la vigueur sans doute du tissu associatif dans notre pays et celle des réseaux qui ont pu se constituer?

Il va sans dire que le climat de liberté et l’absence de surveillance et de tracasseries, qui étaient bien de rigueur sous l’ancien régime avant la révolution du 14 janvier 2011, a lâché la bride à de nombreux groupes d’intérêts, qu’ils soient professionnels ou encore idéologiques et économiques. La démocratie est ainsi faite: elle peut favoriser des lobbies.

Consensus et entente

On ne peut éloigner, à ce juste propos, de notre schéma de pensée l’idée que les listes indépendantes puissent constituer la surprise voire une des surprises de l’élection du 23 octobre 2011. Pourraient-elles obtenir des scores à deux chiffres? Tout est possible. Tout dépendra de leurs enracinements et de leurs capacités de mobilisation des électeurs.

Qu’en sera-t-il, en effet, si ces listes indépendantes arrivent à constituer 10, 20 voire 30% ou même plus des sièges dans la prochaine Constituante? Les donnes seront, alors, tout autres.

A ce propos, de nombreux observateurs prédisent que les choses ne seront pas du tout facile. Ils «craignent» la présence dans la prochaine Constituante d’une «mosaïque» de partis et de listes indépendantes qui ne sera peut-être pas de nature à favoriser consensus et entente.

Déjà la loi électorale ne pourra pas permettre l’émergence d’une majorité. Et toute formation qui souhaitera voir sa vision du monde adoptée devra accepter des alliances.

Certes, des alliances sont possibles entre ce que l’on appelle communément des familles politiques: les Islamistes, les libéraux, le Centre, la gauche communiste, la gauche non communiste, l’extrême gauche, les nationalistes arabes… Mais les schémas qui sont dans nos têtes peuvent être contredits du fait que le risque existe que les membres de ces familles idéologiques ne puissent pas constituer des majorités viables. Et que, de ce fait, des coalitions peuvent être établies entre des courants de pensées dont les modèles de sociétés sont biens contradictoires.

Les expériences vécues sur ce terrain, dans des pays qui nous ont précédés sur la voie de la démocratie, nous enseignent que ces coalitions comportent deux risques. D’abord, celui de l’instabilité quasi permanente: les alliances se défont aussitôt vite qu’elles se sont faites. Deuxièmement: souvent pour constituer une alliance qui tienne bon, certains partis deviennent les «otages» d’un petit groupe de députés voire de quelques députés sans lesquels rien n’est permis!

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