Tunisie : Suspendre le droit de grève!

Par : Autres

etude-economique-1.jpgLa Tunisie vient de connaître deux trimestres consécutifs où la croissance a été négative. –3,3% (en termes réels) pour le premier trimestre de cette année et -3% globalement pour le premier semestre. Ceci veut dire que, techniquement, l’économie tunisienne est en situation de récession. Une économie en récession ne crée pas des richesses, elle en détruit. Une économie en récession ne crée pas des emplois, elle en détruit.

Il faut ajouter à cela qu’une économie en récession, malgré la présence de certains indicateurs positifs, crée ce qu’on appelle des anticipations négatives qui sont de nature à aggraver la situation de récession économique qui peut, de ce fait, se transformer en crise économique. Ces anticipations négatives consistent souvent à reporter dans le temps des transactions/projets de consommation, de production et surtout d’investissement. Ces anticipations négatives peuvent se retrouver dans le comportement (attitude) du consommateur, de l’entreprise (en tant que producteur et surtout investisseur) et même de l’administration.

C’est pour cela que, en absence d’action pour contrecarrer ces anticipations négatives, la récession pourrait se transformer en crise économique. Il est par conséquent impératif d’inverser la tendance en élaborant et en implémentant un plan de relance économique.

Un plan de relance économique

Nous savons qu’en Tunisie le troisième trimestre de l’année n’est pas toujours un trimestre fort en termes d’activité économique et de croissance. L’économie tunisienne pourrait donc, à la limite, supporter un autre trimestre négatif. Mais il serait dangereux, pour les raisons exposées ci-dessus, que l’économie tunisienne connaisse un quatrième trimestre à croissance négative. Il est donc urgent d’agir et d’élaborer et d’implémenter un plan de relance économique.

Voici une proposition de définition d’un plan de relance: une politique de relance ou un plan de relance est un ensemble de mesures de politique économique, qui s’effectue par des dépenses publiques supplémentaires et des réductions de certains impôts (et donc une dégradation du déficit budgétaire) décidées par le gouvernement d’un pays dans le but de provoquer une «relance économique», c’est-à-dire une augmentation de l’activité économique et une réduction du chômage lors de périodes de faible croissance ou de récession.

Les termes importants ici sont «dépenses publiques supplémentaires» et «réductions de certains impôts» et «provoquer une relance économique». Il s’agit donc de «provoquer» une relance économique parce que celle-ci ne peut pas se faire d’elle-même. Et il s’agit de «dépenses publiques supplémentaires et/ou de réduction de certains impôts». Ceci veut dire que c’est au gouvernement de prendre ces mesures en prenant évidemment le risque de creuser le déficit budgétaire, jusqu’à une certaine limite et sans déclencher un processus inflationniste qui serait difficile à maîtriser.

Intervention publique

Nous savons que l’intervention publique (à caractère exceptionnel) dans la sphère économique est en règle générale justifiée, lorsqu’il y a une défaillance de marché, des effets extérieurs non pris en compte par les marchés ou des risques graves d’irréversibilité. Ceci semble être le cas actuellement en Tunisie.

Quand on parle de relance économique, certains se tournent tout de suite vers les banques en supposant que la relance peut se faire si les banques offrent plus de crédits en assouplissant les conditions d’octroi de crédit. Disons le clairement: les banques ne sont pas des instruments de relance de l’économie. La relance est plutôt le rôle des politiques budgétaire et monétaire. Les banques sont là pour financer l’activité économique courante et l’investissement lorsque l’environnement politique, économique et social le permet. Ceci veut dire que, pour réussir, un plan de relance comporte nécessairement des préalables. Et parmi ces préalables, il y en a un qui est essentiel et qui consiste à «rassurer».

Il est en effet nécessaire de rassurer nos partenaires économiques et financiers étrangers quant à la situation de l’économie tunisienne, d’une part, et quant à la maîtrise de la situation, d’autre part. Il s’agit aussi de rassurer les entreprises (et notamment les chefs d’entreprise), et les banques et les institutions financières en général (et notamment leur direction générale). C’est cela qui rend indispensable, à notre avis, la suspension du droit de grève, au moins jusqu’à la fin de l’année en cours.

Nous disons bien «suspension» et nous disons bien «droit de grève» en reconnaissant bien qu’il s’agit d’un droit inaliénable. Mais la situation de l’économie tunisienne exige une telle suspension. Pour rassurer, il faut aussi émettre un message fort, clair et précis confirmant que la Tunisie entend honorer sa dette extérieure normalement, c’est-à-dire sans recours ni au rééchelonnement ni à une forme quelconque de moratoire ou de suspension.

Les autres mesures du plan de relance

La première mesure consiste à lancer des investissements immédiatement réalisables, et notamment ceux qui concernent des investissements d’infrastructure dans des zones défavorisées. La deuxième concerne la compétitivité des entreprises qui doit être améliorée par des mesures fiscales conjoncturelles. La troisième mesure concerne le financement des entreprises qui ont été confisquées. Ces entreprises souffrent d’une incertitude quant à leur avenir et d’un financement bancaire inadéquat. Il y aurait lieu d’y remédier dans les meilleurs délais. La quatrième mesure est probablement la plus douloureuse: je pense que la Tunisie devrait envisager sérieusement la dévaluation de sa monnaie nationale, au lieu de la soutenir artificiellement, et ce afin de refléter la contreperformance économique au niveau de la monnaie et ne pas handicaper nos exportations.

Les banques vont suivre

Un plan de relance adéquat est de nature à améliorer l’environnement économique du pays. Dans ce cas, les banques ne peuvent que suivre. Mais pour les aider à jouer pleinement le rôle qui leur est dévolu, il y aurait lieu de renforcer les fonds propres des banques afin de réduire le risque d’insolvabilité. Il serait nécessaire, par ailleurs, de garantir l’accès des banques à la liquidité. A ce propos, je pense que la réduction du taux d’intérêt (mesure déjà prise par la Banque centrale) n’est pas la solution, et ce au moins pour les raisons suivantes:

· les banques ont déjà durci les conditions d’emprunt (comportement normal en situation de récession);

· l’investissement des entreprises dépend d’autres facteurs;

· une relance assurée par le crédit à la consommation est souvent dangereuse.

La Tunisie devrait, en outre, engager, dès que possible (mais certainement pas dans l’immédiat), une restructuration profonde de son système bancaire et financier.

La situation en Libye

La Libye vient de se libérer d’une dictature sanguinaire, et il faut espérer que la situation dans ce pays voisin se stabilise le plus tôt possible et que la reconstruction s’engage dans les meilleurs délais. La situation instable en Libye a fortement contribué à la récession de l’économie tunisienne et il est légitime d’espérer aujourd’hui que la reconstruction de ce pays constitue une partie importante de la solution pour sortir l’économie tunisienne de la récession. La Tunisie a manœuvré avec sagesse et intelligence en soutenant la révolution libyenne quand il le fallait et comme il le fallait, en reconnaissant le nouveau pouvoir en Libye au moment opportun et surtout en adoptant une attitude et un comportement humanitaire digne et généreux, aussi bien sur le plan officiel que sur le plan populaire. Il faudrait capitaliser sur tout cela et donner aux ressources humaines tunisiennes et aux entreprises tunisiennes la place qu’elles méritent dans cette grande œuvre de reconstruction de la Libye.

La stratégie gagnante à ce propos consiste, à notre avis, à éviter de chercher à concurrencer les grandes entreprises internationales intéressées par cette reconstruction et de se présenter en tant que partenaire utile et en tant que passage obligé vers la Libye (if you can’t beat them join them).

Par ailleurs, entre la Tunisie, l’Egypte et la Libye, il nous semble que le moment est venu pour engager la vraie construction du Grand Maghreb, en attendant d’être rejoint dans cette œuvre par le Maroc, l’Algérie et la Mauritanie.

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