Temps de travail des cadres : la Cour de cassation pourrait invalider le forfait-jour

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été à Paris , en mai 2011 (Photo : Franck Fife)

[07/06/2011 15:25:25] PARIS (AFP) La Cour de cassation se penche mercredi sur le forfait-jour qui permet de rémunérer des cadres sans se baser sur leurs horaires hebdomadaires, et pourrait provoquer un “tsunami financier pour les employeurs” en le jugeant illicite.

En invalidant ce dispositif, la Cour ouvrirait en effet une brèche pour plus d’1,5 million de cadres et salariés itinérants (11,6% des salariés à temps complet), qui pourraient réclamer le paiement d’heures supplémentaires sur les cinq dernières années, le délai de prescription.

Pour Christophe Noël, avocat en droit du travail, une telle décision “serait dramatique pour les employeurs”, Roger Koskas, avocat en droit social, y voyant un “coup de tonnerre”, tandis que sa consoeur Anne Boileau prédit “un véritable tsunami financier pour les employeurs”.

La Cour a été saisie par un cadre qui réclame le paiement de ses heures supplémentaires, et avait été débouté aux prud’hommes puis en appel au motif qu’il était impossible de quantifier lesdites heures.

Le forfait-jour, introduit par les lois Aubry sur les 35 heures en 2000, et étendu en 2008, permet de rémunérer les salariés en fonction du nombre de jours travaillés par an, évitant de rémunérer les dépassements horaires au tarif majoré d’une heure supplémentaire.

En tenant compte du repos légal, le salarié peut travailler jusqu’à 13 heures par jour six jours sur sept, soit 78 heures par semaine et 235 jours par an.

Ce forfait a été jugé contraire à la Charte sociale européenne par le Comité européen des droits sociaux (CEDS) du Conseil de l’Europe à plusieurs reprises, en raison d’une “durée excessive du travail hebdomadaire autorisé”.

La décision du CEDS n’est “pas une décision contraignante, mais elle a quand même une certaine valeur normative”, a expliqué Roger Koskas.

La Cour de cassation, dont la décision pourrait être mise en délibéré, peut donc se contenter de confirmer ou infirmer la décision de la cour d’appel, mais elle pourrait aussi invalider le dispositif.

Pour Me Noël, cela reviendrait à ouvrir “la boîte de Pandore”, car “cela veut dire que n’importe quel cadre demain peut revendiquer le paiement des heures supplémentaires”.

“Si les forfaits-jours sont illégaux, cela signifie que les cadres retombent dans le droit commun, c’est-à-dire un paiement d’heures supplémentaires à partir de la 36e heure”, a expliqué de son côté Cyril Wolmark, professeur de droit du travail à l’université Lyon-II.

“Tous les cadres pourraient donc demander rétroactivement des rappels de salaires ou de repos compensateur”, a-t-il indiqué.

Mais, a ajouté M. Wolmark, “les cadres auront du mal à prouver leurs horaires de travail”, et il ne devrait pas y avoir un “déferlement des contentieux”.

Anne Boileau, avocate au cabinet Jones Day, estime toutefois qu'”il sera plus facile pour les salariés d’apporter la preuve que pour l’employeur de démontrer que ces heures n’ont pas été faites”, y voyant “la voie ouverte à des tas de recours”.

“Cela va être très très onéreux”, estime l’avocate, qui doute que “beaucoup de petites entreprises aient les moyens d’avoir des cadres dont elles vont payer chaque heure supplémentaire” au-delà de la 36e heure.

Les experts soulignent néanmoins que la Cour pourrait “moduler” sa décision dans le temps, pour permettre aux employeurs de s’adapter ou y “mettre des réserves”.

“Je ne peux pas croire qu’elle va invalider dans son principe tout le système du forfait-jour”, estime Anne Boileau.

Pour l’avocate, une invalidation irait d’ailleurs “beaucoup plus loin” que ce que réclame le CEDS qui veut un meilleur encadrement mais ne remet pas en cause le principe même du forfait.