Statistique, l’enjeu pour la Tunisie

Le président déchu et ses gouvernements successifs avaient tenu les Tunisiens en
laisse grâce, entre autres, à la falsification et à la manipulation de la donne
statistique. A l’époque, tout était beau et positif : 80% des Tunisiens avaient
un logement. Seuls 3,8% d’entre eux vivaient en dessous du seuil de pauvreté.
L’économie tunisienne était la plus compétitive au Maghreb et en Afrique, etc.

Avec la révolution, ces mêmes Tunisiens s’étaient rendu compte que tout était
faux et que les chiffres officiels ne reflétaient aucunement la réalité. D’où
tout l’enjeu de réformer en profondeur le système statistique tunisien et de
faire en sorte qu’il soit dorénavant un véritable outil d’aide à la prise de
décision et non un instrument de propagande.

Pour y parvenir, la Tunisie peut soit s’inspirer des expertises développées dans
ce domaine par les grandes démocraties, soit anticiper et adopter, en cette
période révolutionnaire, des stratégies statistiques en cours de gestation.

S’agissant du premier volet, les statisticiens tunisiens peuvent déjà tirer le
meilleur profit des Journées de statistiques (JDS) qui se tiendront du 23 au 26
mai 2011, à Gammarth, à l’initiative de la Société française de statistique et
avec la participation de pas moins de 400 statisticiens.

Les JDS, qui sont à leur 43ème édition, constitue pour les statisticiens
tunisiens une précieuse opportunité pour se situer, d’abord, et pour échanger
ensuite informations et expertises avec leurs homologues de France et du reste
du monde.

Concernant la seconde possibilité, celle-là même qui consiste à s’adapter aux
réformes les plus récentes en matière de statistique, la Tunisie gagnerait
beaucoup à adopter les recommandations des travaux d’une commission
internationale, créée au lendemain de la crise financière internationale de
2008-2009 et chargée de réfléchir sur les moyens d’améliorer la visibilité et
l’acceptabilité de la donne statistique.

Co-animée par les prix Nobel,
Joseph E Stiglitz
et Jean Paul Fitoussi -président
de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)-,cette commission
a remis en cause les systèmes statistiques actuels et des mécanismes de mesure
de la richesse.

Globalement, la commission a recommandé l’élargissement des indicateurs à des
activités non marchandes: garde d’enfants, conditions environnementales,
bricolage, santé, illettrisme…

Elle préconise d’intégrer dans le calcul de la richesse les facteurs qui
favorisent «la soutenabilité» de l’économie, c’est-à-dire sa capacité à inscrire
dans la durée le bien-être des gens. L’accent doit être mis beaucoup plus sur la
mesure du degré de la qualité de vie que sur celle de la production économique
marchande.

Concrètement, elle préconise de substituer au Produit intérieur brut (PIB)
le Produit national net (PNN). Ce nouvel indicateur qualitatif donne de
meilleurs éclairages sur l’évolution du revenu réel, de la consommation des
ménages et du bien-être matériel en général.

Elle invite les statisticiens à être davantage à l’écoute des ménages et à tout
ce qui les touche de près (impôts, prestations sociales, intérêts des prêts,
accès aux soins, à l’éducation…). Il s’agit également de prêter plus d’attention
à la répartition des revenus et à instituer ce qu’elle appelle «le revenu
médian», une sorte de barre entre ceux qui ne l’atteignent pas (-50%) et ceux
qui le dépassent (+50%).

Enfin, la commission recommande, au chapitre de la méthodologie à suivre, de
donner la priorité à l’enquête et aux sondages. Ces techniques favorisent, selon
ses membres, une meilleure connaissance de la vie des gens, des inégalités, des
expériences, des priorités des uns et des autres.