Tunisie : Le secteur BTP en quête de reprise et d’efficacité

Le secteur du Bâtiment et Travaux Publics (BTP) est considéré comme l’un des
plus importants secteurs employeurs en Tunisie. Le nombre d’emplois directs
s’élève à 400 mille –presque autant que le tourisme. En plus, il est considéré
comme ayant un grand potentiel de développement, bien que sa rentabilité soit
mise en doute.

Le secteur souffrirait également du système d’organisation des appels d’offre et
de la faiblesse de formation de la main-d’œuvre. Les professionnels estiment que
l’absence d’une institution à même de regrouper tous les entrepreneurs constitue
un handicap majeur pour le développement et l’essor du secteur BTP, inhibant
ainsi ses capacités de création d’emplois.

Pourtant, la Fédération Nationale des entrepreneurs en BTP (FNEBTP) œuvre avec
des moyens limités pour exprimer les préoccupations des professionnels à tous
les niveaux. Mais la tâche n’est des plus aisées étant donné que le taux
d’adhésion ne dépasse pas les 5% des 2.800 entreprises que compte le secteur.
«Nous avons du mal à fédérer les gens à défaut d’un système incitatif. Pour
défendre le secteur, il faudrait une fédération forte, ayant des moyens
financiers conséquents. L’entreprise n’est pas bien encadrée alors que le BTP
présente d’importantes possibilités d’emplois», souligne Taïeb Zekri, doyen des
entrepreneurs tunisiens et membre du bureau exécutif de la fédération. Malgré
tout, la Fédération essaie de jouer son rôle, à savoir celui de défendre ces
entreprises adhérentes, de les accompagner et de répondre à leurs besoins et à
leurs attentes au niveau national, ajoute-t-il.

Des moyens financiers insuffisants…

Pour ce faire, la Fédération exige que l’adhésion soit obligatoire pour toutes
les entreprises du secteur, tout en exigeant cette structure soit dotée d’une
subvention à l’instar d’autres structures similaires.

A préciser que 80 à 100 entreprises emploient plus de 100 personnes en structure
permanente. Environ 450 entreprises appartiennent aux catégories 3, 4 et 5 et
emploient de 15 à 20 personnes, alors que les petites entreprises représentent
une majorité (plus de 17.000 opérateurs à caractère individuel…). Ce qui
représente un nombre important qui a besoin d’encadrement et d’accompagnement.

Toutefois, par les temps qui courent, les professionnels se plaignent du manque
de sécurité dans les chantiers… Un autre handicap qui met à mal l’image du
secteur, son attractivité pour les jeunes, mais aussi la pérennité de ses
entreprises, et ce même si l’accès à la profession est très facile sur le plan
juridique.

Au chapitre des moyens financiers, le tableau n’est guère plus brillant. Dans ce
cas, les professionnels du secteur demandent aux banques d’être davantage des
partenaires et conseillers pour l’entreprise. La multiplicité des crédits
bancaires est pointée du doigt comme étant facteur de déséquilibre des
structures financières des entreprises BTP.

Pis encore, les charges financières absorbent les marges (déjà très réduites) de
l’entreprise et accentuent par ricochet ses difficultés.

Concernant les taux appliqués pour les cautions, les entreprises jugent les
jugent assez élevés. Selon notre interlocuteur, les entreprises subissent des
charges financières résultant des commissions appliquées aux engagements par
signature (retenue par garantie, caution définitive) de l’ordre de 3,6% par an
et ce pour une période atteignant, pour certaines entreprises, dix ans. Ces
engagements limitent inéluctablement la capacité des entreprises à participer
aux appels d’offres ou à la conclusion de nouveaux contrats, notamment en Libye
ou dans les pays africains.

M. Zekri indique qu’en matière d’exportation des services BTP, les engagements
se situent à 1.700 millions de dinars, précisant que cette activité est
conditionnée par une situation viable et saine de l’entreprise en question.

Les professionnels demandent, ainsi, l’allégement des engagements par signature
en libérant les cautions dans les délais conformément au décret-loi du 5 juillet
2008. Ceci permettrait aux entreprises de relever les cautions et de participer
aux appels d’offres en Tunisie et à l’étranger.

D’un autre côté, l’arrêt des chantiers ayant impacté l’activité dans le secteur,
les professionnels demandent le report des échéances de la CNSS et celles des
impôts afin de préserver la trésorerie des entreprises.

Un problème de formation…

Chokri Driss, président de la Fédération nationale des entrepreneurs en BTP, le
reconnaît: le secteur a toujours souffert d’un manque de visibilité à moyen et à
long terme. La formation y est pour quelque chose. Le taux d’encadrement ne
dépasse pas les 4%. Un problème de productivité et de qualité angoisse les
professionnels. Le manque de formation qui répond aux besoins du secteur impacte
l’organisation des chantiers alors que le manque d’encadrement impacte la
sécurité. Les responsables de la fédération affirment que la plupart des
entreprises sont sous-encadrées et les chantiers sont mal structurés.

Pour M. Driss, le processus de formation doit engager davantage les entreprises
pour identifier les besoins du secteur en main-d’œuvre et en qualifications. Il
ne s’agit plus de miser seulement sur les moyens financiers mais aussi et
surtout sur les ressources humaines.

«Il y a des normes à respecter dans la profession. Les entreprises devraient
jouer un rôle actif dans la campagne de formation. Nous faisons l’expérience
dans les ISET avec les licences co-construites. Mais je pense que les centres de
formation professionnelle ont aussi un rôle à jouer dans la formation de la
main-d’œuvre de base tout en impliquant les professionnels», ajoute le
responsable de la Fédération.

Il s’agit aussi de parfaire la formation sur le plan national, permettant une
plus grande harmonie entre les programmes dans les différents centres. «Il est
primordial d’engager une étude pour déceler les insuffisances de formation mais
aussi son inadéquation avec l’emploi. Le secteur a besoin de profils qui
répondent à ses besoins. Cet effort doit impliquer l’Etat, les entreprises et
les professionnels», précise M. Zekri. Il appelle au lancement d’une étude
stratégique d’évaluation des besoins par catégorie professionnelle (à court,
moyen et long termes). Selon lui, cette étude contribuerait à une meilleure
orientation des candidats vers le secteur en envisageant des dispositions
assurant l’attractivité du BTP y compris par l’amélioration de la rémunération.

La question de la formation se pose également au niveau de l’exportation des
services. La disponibilité des cadres et d’une main-d’œuvre qualifiée permettra
aux entrepreneurs tunisiens de se déployer dans les marchés extérieurs où
l’entreprise tunisienne se trouve affrontée aux majors internationaux du BTP qui
sont fortement structurés, dotés de techniciens et d’une main-d’œuvre hautement
qualifiée et dotée d’une forte productivité.

Une question majeure et vitale reste liée à la disponibilité des moyens
financiers puisque l’exportation des services exige que l’entreprise soit déjà
en parfaite santé financière pour pouvoir se développer sur d’autres marchés.
Pour l’instant, les entreprises tunisiennes opèrent sur les marchés maghrébin et
africain, essentiellement en Libye, en Algérie et en Côte d’Ivoire et d’autres
pays africains francophones.

Conditions de travail…

Concernant la situation des employés, les responsables de la Fédération estiment
que l’augmentation des salaires n’a jamais constitué un problème majeur pour les
entreprises. Ces augmentations varieront entre 5 et 8% par an. Ils affirment
qu’il s’agit plutôt d’un problème de productivité. Une question qui a fait
constamment l’objet de discussions avec les responsables syndicaux. «Ces
augmentations doivent être compensées par le rendement, et conditionnées par des
normes de production reconnues. Nous tenons à ne pas dépasser les horaires
légaux compte tenu de la pénibilité du travail. Il s’agit aussi d’améliorer
l’environnement du chantier qui reste un élément fédérateur, essentiellement au
niveau de la sécurité», affirme M. Driss.
M. Zekri indique que Code du travail doit prendre en compte les spécificités du
secteur, qui emploie beaucoup de saisonniers (occasionnels). «La législation
doit prendre en compte ces spécificités. Les travailleurs occasionnels sont un
élément essentiel de développement du secteur. Mais il faut repenser les
indemnités selon la catégorie de travail. Le paiement doit se faire selon les
conventions collectives. Nous demandons une refonte des indemnités pour les
inclure dans les salaires. C’est un moyen pour avoir plus de recrutements»,
insiste-t-il. Mais pour l’instant, le souci majeur, c’est le retour de
l’investissement dans le secteur pour des projets porteurs et rentables. M.
Zekri évoque le cas des projets intégrés qui auront l’avantage de booster le
développement de l’habitat et la création de nouveaux emplois.

Marché libyen……

Les troubles en Libye ont incontestablement un impact négatif sur l’activité des
entreprises tunisiennes, étant donné que la Tunisie entretient de relations
commerciales soutenues avec ce voisin du sud-est. Les échanges commerciaux mais
aussi de capitaux se sont développés au fil des années. Pour ce marché, basé
surtout sur le relationnel, plusieurs sociétés de BTP s’y sont investies en
installant des partenariats avec des sociétés libyennes. «C’est un marché
important où on travaille sur le long terme. Nous avons des intérêts conjoints
avec nos frères libyens. Ce que vit la Libye est une situation exceptionnelle
qui ne doit en aucune manière entamer notre engagement sur ce marché.
D’ailleurs, nous comptons sauvegarder nos investissements là-bas», précise M.
Driss.

Cette assurance découle du fait que la Libye est considérée comme un marché
porteur où plusieurs chantiers ont été réalisés par des entrepreneurs tunisiens
et où le potentiel de développement est très important.

Les professionnels du BTP estiment par ailleurs que l’Algérie présente, elle
aussi, un fort potentiel de développement, mais la législation, assez
contraignante pour les investisseurs étrangers, est un obstacle majeur pour les
entreprises tunisiennes en BTP bien qu’il existe une forte demande du marché.
«Nous ne cessons de solliciter les autorités concernées (ministères de
l’Equipement et des Finances) pour encadrer nos actions, encourager les
regroupements des entreprises par des consortiums vu la taille PME de nos
entreprises», regrette le président de la FNEBTP.

En attendant le retour la sécurité en Libye et la reprise effective de
l’activité économique en Tunisie, les professionnels du secteur misent surtout
sur la réorganisation du secteur, longtemps marginalisé par l’administration.
Ils réclament notamment la création d’une cellule de suivi au sein du ministère
de tutelle pour accompagner le secteur et étudier les perspectives de son
développement pour qu’il puisse jouer efficacement son rôle socioéconomique et
participer significativement à lever les défis de l’emploi des jeunes en général
et des diplômés en particulier.p