Tunisie – Agroalimentaire : La filière laitière en danger

Les révolutions tunisienne et libyenne n’ont pas encore profité aux acteurs
économiques. Les difficultés que connaissent certains risquent, pour peu que des
actions ne soient pas prises en toute urgence, de compromettre le devenir de
filières stratégiques développées au moyen de lourds investissements, durant de
longues années. Parmi celles-ci, figure la filière laitière, fleuron de
l’industrie
agroalimentaire tunisienne et un des grands acquis accomplis sur la
voie de la réalisation de la sécurité alimentaire du pays.

C’est la composante amont (éleveurs et centres de collecte) qui est la plus
touchée. Ces derniers, en dépit d’une excellente qualité confirmée de leur lait,
ne parviennent pas à le vendre aux centrales laitières. Celles-ci expliquent ce
refus par la saturation des usines, le sur-stockage en période de basse
lactation et la fermeture à l’export du débouché libyen. Résultat: un spectacle
inouï. Le lait, à défaut de disponibilité d’équipements de réfrigération dans
les fermes, est, tout simplement, déversé dans les champs ou dans des terrains
vagues. Qui l’eût cru?

Il y a là à la fois un motif de fierté et un signal fort pour pallier, au plus
vite possible la situation. Un motif de fierté en ce sens où cette filière était
limitée, jusqu’aux années 70, à la production de lait de ferme destiné à
l”autoconsommation des éleveurs. Pour la consommation urbaine, la filière
dépendait, totalement, de l’importation de la poudre de lait transformée en lait
industriel de boisson régénéré par la doyenne des centrales laitières
STIL
(Société tunisienne des industries laitières).
Trois décennies après, la Tunisie n’importe plus de lait en poudre. Elle a
atteint son autosuffisance en lait frais et gère des excédents de production
structurels. Mieux, ses centrales laitières (une dizaine, aujourd’hui) utilisent
exclusivement du lait frais local et disposent d’une capacité
d’industrialisation trois fois supérieure à la production.

Le spectacle du lait déversé est, également, une alerte sérieuse pour œuvrer à
ne pas compromettre le développement de cette filière (une belle success story).
La révolution a ce grand mérite de mettre la pression sur le département des
industries agroalimentaires et les structures d’appui (Apia, Office de
l’élevage, Groupement interprofessionnel du lait…) afin d’accélérer la
réalisation des diverses composantes de la stratégie arrêtée, depuis 1995, pour
développer cette filière sur des bases pérennes.

Cette stratégie était articulée autour de plusieurs axes complémentaires:
amélioration du potentiel génétique à travers l’accroissement du nombre des
vaches laitières de race pure, diversification de l’alimentation du cheptel par
l’extension des superficies fourragères irriguées, institution de substantielles
incitations en faveur de la collecte, garantie aux petits et moyens éleveurs
l’écoulement de leurs excédents dans de bonnes conditions et à des prix
intéressants, encouragement de l’investissements étranger et local dans des
industries spécialisées dans la production de lait local…
Dans cette perspective, des stratégies de partenariat ont été développées avec
des groupes étrangers (Danone, Yoplait, Emmy, Chambourcy…).

Cette stratégie avait même prévu des mécanismes de régulation de la production
en cas d’abondance ou de pénurie: constitution moyennant des primes de stocks
régulateurs en prévision des périodes de basse lactation ou de consommation de
pointe (mois de Ramadhan, haute saison touristique et période estivale),
exportation vers les pays voisins et création d’une usine de séchage de lait aux
fins d’absorber l’excédent saisonnier devenu structurel et de subvenir aux
besoins des industriels en poudre de lait.

Selon les professionnels qui évoluent dans cette filière, c’est le
retard qu’accuse, justement, la réalisation de l’usine de séchage qui explique
en grande partie les difficultés que connaît la branche actuellement. Une bonne
nouvelle toutefois. Cette usine qui est presque fin prête sera opérationnelle au
plutôt au mois de mai et au plus tard au mois de juin 2011.

En attendant que la situation se clame en Libye et que les échanges reprennent
leur cours normal, il nous semble stratégique, en ces moments difficiles, de
venir en aide à la composante fragile de la filière, en l’occurrence, les petits
éleveurs et les centres de collecte. Car, ce sont eux les premiers garants de la
pérennité de cette belle filière dont le pays maîtrise, parfaitement, la
traçabilité.