Tunisie-consommation : La réligion des objectifs

J’ai assisté à une réunion en présence d’une amie à moi, et son client.

Elle, mon amie, travaille pour une grande boîte qui vend des lessives. Son
client est le gérant d’un point de vente d’une grande enseigne de distribution.

Mon amie se tuait à faire comprendre à son client que l’objectif de l’année
dernière a été à peine atteint, et qu’il fallait absolument, mais alors
absolument mettre les bouchées doubles, pour atteindre celui de cette année….

Le client: «Mais que voulez-vous que je fasse Madame, c’est la conjoncture! Les
gens n’achètent plus beaucoup, ils calculent tout…et donc moi, je suis de plus
en plus serré, et pratiquement, je ne vends que quand je fais une PLV…mais je ne
peux pas passer l’année à faire des PLV, ça n’aura plus d’impact alors!, et pire
… ça peut décrédibiliser!».

Mon amie: «Oui… bon… je vous comprends, je sais bien, mais nous avons des
objectifs… de CA, de rotation de stock, etc. C’est comme ça! Et si vous
atteignez ces objectifs avec nous, vous aurez vos ristournes… et votre cadeau de
fin d’année comme d’habitude! Je ne vous oublie pas!».

Le client «Ecoutez, je veux bien, mais je ne vois pas ce que je peux faire de
plus! Va falloir trouver une astuce pour que les gens salissent plus leurs
vêtements et donc achètent plus de lessive…on va sponsoriser des académies de
foot pour les petits peut-être? C’est pas une bonne idée ça? Je vais vous
préparer le plan…».

En atteignant les sacro saints objectifs qui lui tombent sur la tête, depuis la
direction générale, mon amie est sûre de toucher son salaire plein…et de pouvoir
rembourser ses crédits.

Justement, mon amie est une hyper consommatrice, elle achète tout ce qu’elle
voit, sa religion c’est celle du bonheur dans la consommation. Elle a un crédit
voiture, un crédit logement, un crédit de consommation (c’était pour les
vacances l’été dernier), un autre petit crédit pour le nouveau PC et la nouvelle
télévision Plasma HD, LED, etc., et puis quoi encore? Ah oui, un petit dernier
crédit, mais vraiment de rien du tout quoi…c’était pendant les soldes, et il y
avait des supers affaires chez sa marque préférée, et il est hors de question de
rater ça!

Etonnée de la voir autant créditrice, j’ai voulu savoir comment elle pouvait
s’en sortir… Elle m’a répondu que raison de plus pour qu’elle travaille dur pour
atteindre ces fameux objectifs que sa boîte lui a fixés, pour que les primes
soient toujours là et qu’elle puisse donc respirer un peu, parce que le salaire
seul… ne suffit plus.

«Non, mais je veux dire comment ça se fait que ta banque ait pu te donner autant
de crédits? N’y a-t-il pas un seuil à ne pas dépasser?»

«Non ce n’est pas un problème ça, c’est untelle qui est ma conseillère clientèle
dans la banque, tu te rappelles d’elle, elle était avec nous à la fac avec
nous?»

«Oui, oui je vois, elle est conseillère clientèle dans cette banque… Alors c’est
bien!»

«Bien, moi j’ai choisi cette banque, justement parce qu’elle y était, comme ça
les choses sont plus simples».

«D’acc …ord ! je vois!»

«Et puis elle ça l’arrange aussi, parce qu’elle a des objectifs très serrés tu
sais…».

«Ah oui? Des objectifs de quoi cette fois-ci?»

«Mais des objectifs en termes de crédits ma chère…elle doit vendre un maximum de
crédits, donc voilà, tout le monde est gagnant!»

«D’accord, je vois…»

Ma première amie passe son temps à essayer de faire en sorte que les gens
achètent plus de lessive. Une vraie vocation, 12h par jour, souvent samedi
dimanche compris, parce qu’elle est en séminaire avec son équipe dans un hôtel
payé par sa boîte, où un formateur leur parle de l’identité de la marque, de
l’adhésion aux objectifs et de l’esprit d’équipe…afin qu’on puisse vendre encore
plus de lessive aux gens. Insensé? Non pas tant que ça…

Untelle, mon autre ancienne amie de fac, passe son temps à vendre des crédits
aux gens. Sa vocation à elle c’est de rendre ces gens heureux, en leur
permettant d’acheter tout ce que ma première amie et les milliers de personnes
comme elles essayent de vendre.

Le problème n’est pas de savoir si les gens ont besoin de plus de lessive, mais
de vendre plus. Atteindre les objectifs, distribuer les dividendes de fin
d’années aux actionnaires, absorber des petites boîtes concurrentes en herbe,
monopoliser le marché et contrôler les prix, acheter les actions les plus cotées
de la place, mettre encore plus de pression sur ses salariés pour atteindre des
objectifs, et même licencier en étant bénéficiaire, parce que la pression de la
spéculation boursière nous fait serrer la ceinture, encore et encore et encore…

Mais les gens doivent être bien heureux… parce que tous leurs désirs deviennent
réalité. Tout ce qu’ils voient à la pub à la télé, ils peuvent se l’acheter.
Leurs placards et leurs étroits appartements sont pleins à craquer de lessives,
de jouets, de vêtements, de télés plasma, de draps, de casseroles, de coussins,
etc.

Elle n’est pas belle la vie?