Tunisie : L’Instance pour la réforme de l’information face à la dure réalité de la presse

journaux-1.jpgRéglementer, structurer et réguler le secteur de l’information et de la communication. Voilà les voies que devront emprunter les recommandations que ne manquera pas de faire l’Instance pour la réforme de l’information et de la communication qui a beaucoup de pain sur la planche.

Maintenant que l’Instance pour la réforme de l’information et de la communication est constituée et que sa composition et sa mission sont connues, il est, sans doute, utile de s’interroger sur la nature des recommandations qu’elle pourra faire concernant «l’amélioration du rendement médiatique, la promotion de la réalité du secteur et la création d’instances régulatrices pour résoudre tout litige pouvant surgir entre les médias et l’opinion publique, sans recourir aux tribunaux».

Avant d’aller plus loin, beaucoup de professionnels affirment lui souhaiter beaucoup de courage. Tant sa mission «limitée dans le temps» n’est pas du tout facile -loin s’en faut-, notamment au vu des ravages causés en Tunisie, pratiquement depuis l’indépendance, et qui ont permis de domestiquer la presse et de casser toute réforme qui n’aille pas dans le sens voulu: celui de refuser que la presse ait un rôle dans la société.

Le travail de l’Instance devra œuvrer à proposer une réforme durable au moins à trois niveaux:

– premièrement, au niveau de l’arsenal juridique et réglementaire;

– deuxièmement, au niveau de la promotion du secteur au stade notamment des structures dont il faut le doter;

– troisièmement, au stade des formes de régulation qu’il doit épouser.

Faut-il abroger le Code de la presse de 1975 ou modifier certains de ses articles, ou faut-il, encore, en prévoir une nouvelle mouture? Voilà le type de questions sur lesquelles les membres de cette instance devront se pencher. Le Code de la presse a épousé, malgré les «réformettes» qu’il a connues, un habit répressif. Il faudra, si le principe est retenu de le garder, préciser certains de ses articles comme son article 13 qui prévoit ce fameux «récépissé» qui n’est accordé qu’à ceux qui sont en odeur de sainteté avec le régime.

Ce récépissé va-t-il être maintenu? Pourra-t-il être accordé à une personne morale pour faciliter la transmission des entreprises de presse écrite ou à leur cession à un tiers? Sachant que le récépissé, dans la version actuelle du code, est remis à une personne physique, ce qui n’est pas de nature à faciliter la transmission ou la cession de l’entreprise de presse et d’en assurer la pérennité. Des étrangers peuvent-ils souscrire au capital d’une publication tunisienne? Autant de questions qui nécessitent révision. Ceci évidemment dans le cas où le principe d’un code de la presse est retenu. Mais personne ne connaît pour l’heure la version qui sortira des cartons de l’Instance pour la réforme du secteur de l’information et de la communication.

Cette instance va-t-elle proposer la promulgation d’une loi sur la communication audio-visuelle? Comment réglementer autrement les nombreux aspects de ce secteur important? Pourrait-elle faire autrement pour réglementer le lancement des chaînes de radio et de télévision qui pourrait être créées suite au lancement d’un appel à candidature?

Idem pour la presse dite électronique. Faut-il une loi pour ce secteur ou faut-il se limiter à l’organiser comme l’ont fait avant nous la France? Si la liberté d’expression est la règle, cela signifie-t-il que tout le monde peut devenir journaliste sur le Net? N’y a-t-il pas de label pour la presse électronique qui se doit d’épouser le vécu des autres médias afin de la différencier des sites commerciaux, institutionnels ou encore les blogs et autres Facebook ou Twitter qui sont également présents sur Internet? Ne faut-il pas établir des critères pour que la déontologie et les règles d’exercice de la profession journalistique qui ont toujours eu leur droit de cité dans la profession prédominent aussi sur la Toile?

Et que faire pour l’obtention de la carte de presse? Celle-ci doit-elle être décernée par une tutelle administrative ou par la profession elle-même comme c’est le cas en France? Ou faut-il, comme aux Etats-Unis, et au nom du droit à l’information, refuser le principe même de délivrer des cartes de presse?

Au niveau de la promotion du secteur, l’Instance ne pourra pas ne pas proposer de doter le champ médiatique de structures combien nécessaires à son développement. Celles-ci, il faut s’empresser de le dire, devront être prises en charge par les professionnels eux-mêmes et être indépendantes de toute tutelle. Le temps n’est-il pas venu, par exemple, de susciter la création d’un Union des annonceurs? Le regroupement de tous les professionnels dans des structures viables est de nature à favoriser la mise en place des institutions comme celle chargée de «justifier» la diffusion des médias écrits et électroniques pour auditer les tirages et autres «pages vues». La Tunisie ne pourra pas naviguer à vue en matière d’indicateurs concernant le vécu quotidien de la presse.

Dans le même ordre d’idées, les professionnels (médias, annonceurs et professionnels de la publicité) ne doivent-ils pas mettre de l’ordre au chapitre de l’audience de l’audiovisuel, par la création –dans une démarche commune- d’un institut de mesure d’audience et d’un texte réglementant la mesure d’audience et les sondages d’opinion, notamment pour cette dernière activité en période d’élections?

Le dernier chapitre, celui de la régulation, est, sans doute, le plus délicat. Une régulation qui devra prendre plusieurs formes. La première d’entre elles est la mise en place d’une ou des structures pour mettre de l’ordre en matière de déontologie. Autorité morale ou autorité disposant des moyens de sanctions? Les choix sont à faire.

La profession a, cependant, les moyens d’assurer une «autorégulation» en établissant elle-même les règles qu’elle aura décidé de respecter tout a fait volontairement. L’Instance pour la réforme de l’information et de la communication dispose, à ce propos, une riche littérature professionnelle établie par les journalistes pour assurer les moyens de leur indépendance, de leur liberté, mais aussi de la fiabilité de l’information qu’ils produisent. Comme les chartes adoptées par les journalistes et les nombreux documents renfermant les normes et pratiques journalistiques et qui précisent les règles à observer.

L’Instance pourra proposer aux médias, toujours dans une démarche volontaire, de se doter d’un Ombudsman, appelé également médiateur -l’Ombudsman intervient dans les médias comme «instance d’appel» pour répondre aux plaintes du public concernant tous les dérapages dont ils pourraient être capables. Un pouvoir moral et pédagogique au sein des rédactions capable de mettre le doigt sur le mal et de renforcer la confiance du public dans les médias.

Une œuvre qui, comme chacun le mesure, n’est pas facile à mener et qui demandera du temps. L’essentiel est que notre pays ait décidé de s’y atteler au plus vite.

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