Tunisie : Pourquoi je ne regrette pas le départ de l’équipe Ghannouchi

ghannouchi_2802-1.jpgAu regard de la politique économique de tendance libérale suivie depuis plus de 25 ans, politique qui consacrait de manière criarde la spoliation des richesses du pays par des étrangers et à laquelle Mohamed Ghannouchi, l’ex-Premier des ministres, a largement contribué, il n’y a pas de quoi regretter le départ de cet «économiste» féru de fausses statistiques et de l’équipe de technocrates qui le soutenait.

J’irais jusqu’à dire qu’avec le départ de la plupart des membres de cette équipe, la révolution tunisienne a marqué un important point sur la voie de l’édification d’une nouvelle économie véritablement nationale et souveraine. L’enjeu est même hautement politique lorsqu’on sait que, de nos jours, la politique a tendance à s’économiser et que l’économie a tendance à se politiser.

Après plusieurs décennies de tergiversations, l’objectif est de doter, en toute urgence, l’économie du pays d’une nouvelle image-identité qui satisfait, en priorité, la communauté nationale (autosuffisance dans tous les secteurs …), et dans une seconde mesure les bailleurs de fonds et les partenaires commerciaux de la Tunisie (solvabilité, mise en place d’un environnement incitatif à l’investissement sans discrimination aucune…).

Globalement, l’équipe Ghannouchi a brillé par sa non-créativité et par son option pour des solutions de facilité et pour des appoints. Pour n’en citer que quelques uns: l’application de recettes ultralibérales (privatisations, flexibilité tous azimuts…) fournies par les champions de l’ultralibéralisme (Banque mondiale, FMI, Union européenne…), l’institution d’incitations sans discernement au profit des investissements directs étrangers (IDE), la sous-traitance et son corollaire, la précarité de l’emploi. Cette équipe ne s’est jamais investie dans les activités pérennes et immunisantes pour l’économie du pays (agriculture, agroalimentaire…).

Elle a constamment accordé la priorité aux activités de bout de chaîne (assemblage, câblage…), des activités qui peuvent migrer, à tout moment, vers d’autres sites où les salaires sont plus compétitifs.

Au niveau de la conception, surtout, l’équipe Ghannouchi, dopée par les fameux jetons de bailleurs de fonds (bons de séjour de luxe qui leur permettaient de voyager et de séjourner en VIP à l’étranger), n’a jamais compté sur les ressources humaines et expertises nationales. Elle a toujours exploité les cadres locaux comme appoints pour fournir tout juste données, informations et statistiques officielles à des bureaux d’études étrangers et bailleurs de fonds chargés de l’élaboration de moult études stratégiques sans lendemain et sans aucune efficience au regard des résultats.

Le tourisme, par exemple, a fait l’objet, en 25 ans, de pas moins de cinq études stratégiques mais nous sommes toujours à la case de départ. Idem pour le textile, secteur basique qui n’est pas parvenu, après 50 ans d’indépendance, à habiller les habitants du pays. Plus de 50% des Tunisiens s’habillent chez les fripiers.

Il suffit de jeter, également, un regard sur le nombre d’études effectuées par la Banque mondiale pour se rendre compte que cette institution pensait non seulement pour nous mais nous le faisait payer très cher en accompagnant, automatiquement, ces études par des prêts de long terme pouvant compromettre, en cas de crise, le devenir des générations futures.

Pour sa part, le FMI, chargé d’accompagner l’ensemble des réformes devant mener à la convertibilité totale du dinar, fermait les yeux sur la non-transparence bancaire et sur les dérapages de ces temples de l’argent qu’illustrent le montant des créances douteuses (15% des engagements).

Au chapitre de l’exportation, l’équipe Ghannouchi a toujours navigué à vue et préféré la solution de facilité de la sous-traitance off shore, activité basique sans aucune valeur ajoutée. Lorsque Mohamed Nouri Jouini, ex-ministre du Développement et de la Coopération internationale, se vante que 47% du PIB du pays proviennent des exportations et que 70% de ce taux sont réalisés par l’off shore, il s’interdit, en même temps, de révéler que 80% des recettes de l’off shore vont aux maisons mères et que les chétifs sous-traitants ne bénéficient que des 20% restants.

Le maquillage des statistiques a été, en outre, le sport préféré, de l’équipe Ghannouchi. Ainsi, lorsque ce même Jouini révèle avec une grande fierté que le taux de pauvreté en Tunisie est de l’ordre de 3,8%, il manipule en fait les statistiques, ici, l’Indice de développement humain (IDH). Car, ce taux représente la pauvreté en termes monétaires, c’est-à-dire que les pauvres disposant uniquement de deux dollars par jour pour survivre. Mais en fait, ce taux est estimé en termes de misère humaine (non accès à l’éducation, aux soins, aux prestations administratives) à plus de 17%.

Autre maquillage de la vérité à l’actif de l’équipe Ghannouchi. Elle a pris la fâcheuse habitude d’augmenter presque automatiquement les prix chaque fois que les cours mondiaux d’un produit augmentent, mais elle n’a jamais osé publier ou déclarer, à aucun moment, pour combien la Tunisie achète ce produit à l’étranger. Ainsi, cette équipe a toujours calculé le budget économique sur un prix du baril trois fois supérieur (90 à 110 dollars) à celui qu’elle paie réellement (40 dollars).

L’ex-gouverneur de la Banque centrale, Taoufik Baccar, était également un champion de la tricherie et de la manipulation des chiffres. Il avait mis tout son poids pour annuler une information sur le rééchelonnement d’une des dettes tunisiennes. A l’époque, la BCT avait émis un emprunt sur le marché financier international privé pour payer un crédit contracté auprès de la Banque africaine de développement (BAD). En toute logique économique, contracter une nouvelle dette (ici l’emprunt obligataire) pour payer un ancien crédit s’appelle tout simplement rééchelonnement.

Et pour ne rien oublier, l’équipe Ghannouchi, qui présidait le Conseil supérieur de l’investissement et gérait le dossier des privatisations, était impliquée dans les dossiers de corruption et était tout simplement une composante d’une mafia politico-financière qui a mis le pays à feu et à sang.

Rien que pour ces quelques raisons, le départ de l’équipe Ghannouchi est un véritable soulagement pour une population tunisienne non encore aguerrie au démontage des mécanismes mafieux.