La révolution tunisienne vue par Chris O’Connor, ambassadeur du Royaume-Uni à Tunis

chris-connor-130-1.jpgQue pense la diplomatie britannique de la révolution tunisienne? A cette question, William Hague, ministre britannique des Affaires étrangères, qui vient d’effectuer une visite en Tunisie (la première visite d’un chef de la diplomatie européenne), a fourni des éléments d’information lors d’une conférence de presse (8 février 2011). Webmanagercenter a voulu aller plus loin en interviewant Chris O’Connor, ambassadeur du Royaume-Uni à Tunis. Entretien.

Webmanagercenter: En quels termes évaluez-vous la révolution tunisienne?

Chris O’Connor: Je pense que le peuple tunisien a fait un pas géant et courageux en optant pour une transition rapide à une politique différente qui va lui garantir de meilleurs droits politiques et socioéconomiques.

Nous sommes, certes, au début de cette révolution, mais les progrès accomplis sont impressionnants: un gouvernement d’union nationale, des commissions indépendantes à pied d’œuvre pour baliser la Tunisie de demain, libération des prisonniers politiques, une presse libre, une amnistie générale de fait. Pour un bilan de trois semaines, c’est impressionnant.

Seule zone d’ombre: le pays n’est pas encore totalement sécurisé mais j’estime que l’ordre public sera rétabli incessamment.

Est-ce que les entreprises britanniques implantées en Tunisie ont été affectées par cette révolution?

Nous n’avons pas enregistré de cas de points francs lésés. Tout ce qu’il y a, c’est ce que certaines sociétés ont connu, à savoir une baisse d’activité en raison des manifestations et grèves. Nous espérons une reprise des activités à leur rythme antérieur.

Selon vous, quels sont les défis auxquels est confrontée actuellement la Tunisie?

Au plan politique, à mon avis, le gouvernement intérimaire, qui, il faut le reconnaître, a déjà, à son actif, d’excellents résultats (démantèlement de tous les mécanismes antidémocratiques), gagnerait encore en crédibilité pour peu qu’il annonce une date de l’élection présidentielle et sa tenue dans un délai acceptable. Il y a là un effet d’annonce à exploiter au mieux pour améliorer la visibilité de la Tunisie et pour renforcer la confiance et du peuple, et des touristes et des investisseurs. Il s’agit, également, de réformer dans les meilleurs délais la loi électorale et de préciser si c’est le ministère de l’Intérieur ou bien une commission indépendante qui va organiser les élections.

L’autre chantier politique à entreprendre consisterait à améliorer la capacité des partis et des composantes de la société civile.

Au plan économique, les deux défis majeurs que la Tunisie se doit de relever sont, de toute évidence, le déséquilibre régional et le chômage des diplômés du supérieur, deux problèmes qui, rappelons-le, ont été à l’origine de la révolution tunisienne.

A court terme, il me semble urgent d’œuvre à réduire le volume des pertes économiques générées par cette révolution (manifestations +grèves), lesquelles sont estimées, selon le Premier ministre M. Mohamed Ghannouchi entre 5 et 8 milliards de dinars.

Ces pertes peuvent s’aggraver si rien n’est fait pour mettre fin aux revendications tous azimuts et sécuriser les investisseurs. Je tiens à préciser ici que ces revendications sont légitimes mais elles doivent être traitées dans le cadre de négociations organisées.

Empressons-nous de signaler, également, que même si ces pertes sont significatives, le pense que ce que va gagner la Tunisie avec la révolution et son corollaire, l’édification d’une démocratie moderne, est de loin plus important.

Pour ne citer qu’un grand acquis, avec la révolution, la Tunisie va faire l’économie des grosses pertes générées par la corruption de l’ancien pouvoir. Ce qui est loin d’être négligeable.

Sur le plan bilatéral, que peut-on espérer de cette révolution tunisienne et de ses impacts sur le partenariat entre le Royaume-Uni et la Tunisie?

Avant, les relations bilatérales reposaient uniquement sur des intérêts communs. Avec l’avènement de la révolution, Tunisiens et Britanniques partageront, toujours, des intérêts mais aussi des valeurs communes. Il s’agit d’un saut qualitatif de grande envergure. Les Tunisiens auront le temps d’en apprécier l’impact, à court et moyen termes.

Pour preuve, M. William Hague, ministre britannique des Affaires étrangères, qui vient d’effectuer une visite en Tunisie (8 février 2011), a été amené à changer son calendrier et à venir en priorité en Tunisie pour lui “témoigner du soutien du Royaume-Uni au peuple tunisien, en cette phase décisive de son histoire où il cherche à déterminer son avenir et à exercer librement ses droits démocratiques”.

Autre geste qui a valeur de symbole. M. William Hague a annoncé, à Tunis, la création d’un fonds de partenariat arabe de 8 millions d’euros. Ce fonds se propose d’apporter assistance à la société civile, aux institutions de l’Etat et aux individus en Tunisie et dans les autres pays qui œuvrent à établir une plus grande ouverture et participation politique, à consacrer les droits des citoyens et à promouvoir des institutions indépendantes, “facteurs essentiels à la construction d’une société stable, prospère et démocratique”.

Ce fonds donne à l’ambassade britannique plus de moyens pour identifier avec des partenaires tunisiens des projets viables.

Sakher El Materi, gendre de l’ex-président Ben Ali, ex – président de l’Association d’amitié tuniso – britannique et ex- vice-président de la Chambre d’industrie et de commerce tuniso-britannique vous manque-t-il ?

Je tiens à préciser que nous diplomates, on savait que les Associations d’amitié sont, dans le cas de la Tunisie, des filiales-appendices du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). C’est pour cette raison que l’ambassade britannique n’a jamais organisé des manifestations de partenariat avec l’Association tuniso-britannique.

Quant à l’une des vice-présidences qu’assure Skaher El Materi au sein du bureau de la Chambre d’industrie et de commerce tuniso-britannique, selon mes informations, la Chambre vient de désigner un autre à sa place.

Des observateurs de la scène politique en Tunisie ont relevé une évolution qualitative dans le discours de Rached El Ghannouchi, chef du mouvement fondamentaliste Ennahdha et ex-réfugié politique en Grande-Bretagne. Son séjour au Royaume-Uni y est-il pour quelque chose?

Si le modèle démocratique britannique peut influencer et aider des personnalités politiques à évoluer, je ne peux que m’en réjouir.

Pour vous répondre autrement, par delà votre constat, je pense que le gouvernement provisoire a établi des garde-fous pour dissuader tout dérapage. M. Mohamed Ghannouchi a révélé à notre ministre des affaires étrangères que des règles ont été établies et que celles-ci ne sont pas négociables. Au nombre de celles-ci figurent: la liberté de la personne, l’égalité entre homme et femme et la liberté de religion.

Le mot de la fin?

Je tiens à souligner que l’intérêt de la Tunisie est d’être visible et pour ses partenaires, et pour les touristes et pour les investisseurs.