Tunisie : La révolution tunisienne, un cas d’école?

La révolution populaire en Tunisie n’est encore qu’à ses débuts, dit-on. Après
la fuite du président déchu et sa famille, il est vrai que les Tunisiens n’ont
pas eu le temps ni la volonté de célébrer cet événement. Les choses se
précipitaient à tel point que plusieurs ne saisissent pas encore leur portée. On
estime que cette révolution sert d’un cas d’école unique en son genre. Pour une
fois, c’est le peuple qui a conduit la révolution et qui veut l’achever à son
grès.

Un cas d’école, donc, puisque le peuple voudrait se portee garant de la réussite
de cette révolution. Plusieurs crient à la méfiance et à la prudence: «On ne
veut pas qu’on vole notre révolution!». Les retournements de veste devenus
fréquents, on devient sceptique quant à la tournure que va avoir cette
révolution. Les patrons des entreprises publiques se voient limogés de leurs
postes par les employés. Les affaires de corruption et les jugements en public
font le tour du web.

Dans les pays arabes, on suit cette tournure avec émerveillement. En Algérie, en
Egypte, au Yémen et autres, l’effet domino s’annonce et les immolations par le
feu et les manifestations se multiplient, voyant dans Mohamed Bouazizi et dans
le peuple tunisien des exemples à suivre pour anéantir les dictatures et
déclarer la révolte populaire. Aujourd’hui même, des manifestations sont
organisées en Egypte appelant le président Moubarak à quitter le pouvoir. Mais
tant qu’il soit, la révolution tunisienne a montré que la chute du dictateur ne
signifie pas la chute de la dictature. Et ce qui a suivi la fuite de Ben Ali en
dit quelque chose. La situation d’anarchie que nous vivons actuellement est due
en partie à un état de mépris envers l’ancien régime et ces représentants. Bien
évidemment, les ministres de l’ancien gouvernement, les PDG des entreprises
publiques et aussi les membres du RCD sont en cause. Et leur jugement était
immédiat.

Et voilà que l’UGTT se met dans la ligne droite après une reprise discontinue du
travail et de l’activité économique. Alors que les entreprises, les
organisations professionnelles appellent à la reprise, la centrale syndicale
persiste et signe par une grève générale dans le secteur de l’éducation de base
pour des revendications politiques. L’UGTT est-elle en train de dévier de sa
mission essentielle qui est la défense des droits des travailleurs? Veut-elle se
convertir en parti politique? Les commentaires se multiplient entre adhérents et
opposants à cette réaction de l’UGTT. Abdessalem Jrad, l’actuel président de
l’union, n’est pas épargné d’autant plus qu’il était en relation directe avec
l’ancien régime, bien qu’il n’ait pas été mis à plat comme on l’a fait avec Hédi
Djilani. Les voix s’élèvent pour lui demander de “dégager” et pour appeler
l’union à arrêter son acharnement. “UGTT, foutez-nous la paix!”, résume tout.

De son côté, le gouvernement de transition reste silencieux sur ces agissements
et ne mesure pas encore les appels à faire sortir les ministres de l’ancien
régime, évoquant la crainte du vide politique. Mais ceci pourra-t-il calmer la
rue? Ne sommes-nous pas pris dans le piège de la revendication gratuite?
L’interview qu’a donné le Premier ministre Mohamed Ghannouchi, la semaine
dernière, n’a pas réussi à calmer les gens. Les uns y voyaient un être sincère
pris dans le piège du pouvoir. Les autres y voyaient un manipulateur qui veut
justifier sa main mise sur le gouvernement. Entre temps, l’appel à la création
d’un conseil des sages devient persistant, et qui serait chargé de réviser la
Constitution et d’organiser les élections.

Dans ce climat d’anarchie totale qui sévit, la révolution tunisienne
pourra-t-elle vraiment entamer sa marche? Ce gouvernement de transition qu’on
accuse de tous les torts -et on est tous d’accord sur cela- n’a-t-il pas besoin
d’au moins une chance? Le soutien de l’armée à la révolution populaire, surtout
après la dernière déclaration de Rachid Ammar, donne une idée sur un éventuel
tournant de l’histoire, celui du contrôle du pays par l’armée. Un scénario que
certains craignent bien que le rôle de l’armée dans cette révolution soit
positif.

Ce que l’on craint le plus, c’est que le pays sombre dans le chaos, que
l’activité économique qui peine à redémarrer soit bloquée, que des milliers
d’emplois soient perdus. Des craintes que les manifestations actuelles et les
grèves lancées empirent. Le temps est à la reprise et la reconstruction du pays.
Les jugements populistes devraient cesser et laisser les trois commissions
créées à cet effet faire leur travail pour juger la corruption, les dépassements
et les déraillements de l’ancien régime et à sa tête Ben Ali et sa famille.Un
travail qui ne peut se faire dans l’immédiat et sans la concertation de toutes
les parties.