Moncef Othmani, président de la chambre de Commerce algéro-tunisienne : «Ceux qui veulent faire du business en Algérie, viendront …»

tuniso-alger-1.jpgTout comme l’argent n’a pas d’odeur, il n’a pas non plus de patrie, et mondialisation oblige, il va là où il peut prospérer. Que les lois soient restrictives ou permissives, dès qu’il y a du «business» on voit atterrir ceux qui adorent «produire» de l’argent en faisant «de bonnes affaires». L’essentiel est la garantie d’en gagner. Les lois sur l’investissement, promulguées il y a plus d’une année en Algérie, n’ont donc pas découragé les «chasseurs» d’argent… Ils les ont tout juste incités à mieux étudier et leur projet et le meilleur moyen de rester, malgré la loi, maîtres à bord.

Entretien avec Moncef Othmani, président de la Chambre de commerce algéro-tunisienne et vice-président du Forum des entrepreneurs.

Webmanagercenter: La tâche du président de la Chambre de commerce algéro-tunisienne serait-elle devenue plus difficile du fait que les dernières lois promulguées en Algérie touchant aux investissements étrangers compliquent un peu plus le développement des partenariats à l’international ?

Moncef Othmani: Dans l’absolu, la mission de la Chambre pour la promotion des échanges n’est pas des plus aisées. Elle exige d’énormes efforts pour la promotion des échanges entre les pays et la promotion des partenariats entre les opérateurs économiques. Ceci étant, les nouvelles lois ne s’adressent pas spécialement aux investisseurs tunisiens. L’Algérie, comme vous le savez, a lancé un programme d’investissement très important qui s’élève à 286 milliards de dollars, ce qui est très attractif pour ceux qui désirent y investir. La règle des 49/51 peut paraître rebutante à première vue et difficile à accepter, mais on peut procéder à des aménagements. L’investisseur tunisien peut avoir 49% et ne pas avoir un seul partenaire algérien, en s’associant par exemple à 2 ou 3 partenaires minoritaires, ce qui fait de lui l’actionnaire majoritaire. De l’autre côté, il y a la partie management qu’il peut assurer lui-même.

Ceci étant, quand il y a du business, les gens s’adaptent aux lois et réglementations, on viendra, que l’on soit majoritaire à hauteur de 100% ou à 49%. Nous avons d’ailleurs vu nombre d’entreprises françaises opérant dans le secteur des assurances revenir en Algérie.

Qu’est-ce qui explique ce revirement dans un pays qui ne posait pratiquement pas de conditions aux investissements étrangers ?

Nous avons démarré avec le droit des investisseurs à être majoritaires à 100/%, cela n’a pas été une réussite, on a vu certaines pratiques inacceptables de la part de nombre d’entre eux, alors il fallait être plus prudent, et comme le dit le dicton «chat échaudé craint l’eau froide».

Et puis, il y a le respect de l’étique et des règles déontologiques. Ce n’est pas parce qu’un investisseur étranger n’est pas majoritaire dans une entreprise que l’on va le spolier de ses biens… Il faut tout simplement que chacun trouve son compte. D’un autre côté, le code des investissements algérien est aussi incitatif et libéral que le code tunisien. Il offre autant de seuils de bénéfices, de dividendes, le rapatriement de l’argent et des exonérations fiscales, dont certaines plus importantes dans les zones de développement prioritaires comme les régions déshéritées ou éloignées. Les investisseurs ont donc beaucoup d’avantages et d’encouragements.

Le gouvernement algérien aurait reproché aux investisseurs étrangers de bénéficier des avantages accordés sans en faire profiter les locaux en expertise, en technicité et en savoir-faire et sans réinvestir en Algérie en emportant tous les bénéfices. Ceci a concerné surtout l’industrie automobile. Serait-ce l’un des éléments qui auraient encouragé la promulgation de la loi l’année dernière ?

Il y a du vrai dans ce que vous dites. L’exemple de Djezzy a été un très mauvais exemple d’investisseurs, je parle là du groupe Orascom des frères Sawiris qui avait acheté des cimenteries algériennes privatisables à un prix très intéressant, mais il s’est empressé de les revendre au groupe Lafarge. Je ne dis pas pourquoi il les a revendues aux Français, mais j’estime que certaines règles n’ont pas été respectées. C’est le même cas aujourd’hui pour «Djezzy» cédé au groupe russe qui exige des Algériens qui veulent faire valoir leur droit de préemption 8 milliards de dollars. Ce qui veut dire que nous devons, en tant qu’Algériens, débourser ce montant pour récupérer la compagnie de téléphonie. Ceci étant, nous respectons le droit international, il y a des experts et des arbitrages pour évaluer la compagnie à sa juste valeur, ensuite, nous pourrons statuer.

Les firmes automobiles françaises n’ont pas non plus joué le jeu, elles se sont contentées de vendre, elles importent les pièces de rechange. Elles n’ont rien construit en Algérie, 0 usine de montage, elles n’ont pas fait appel à la sous-traitance locale et surtout Peugeot / Renault qui gèrent elles-mêmes les concessions. Les investisseurs tunisiens en Algérie paraissent, pour leur part, contents de leur choix. Nous avons vu des exemples d’un investisseur de Béja qui a investi à Tébessa en Algérie dans le BTP et un autre dans les vêtements de sécurité.

Quels sont les secteurs demandeurs en Algérie ?

Nous sommes demandeurs à tous les niveaux, la Tunisie et l’Algérie peuvent se compléter. Il faut que nous réussissions au niveau de nos deux pays à réaliser des partenariats qui permettent aux uns et autres de trouver réponse à leurs demandes. En fait, le problème se situe surtout au niveau de la communication. Nous ne nous connaissons pas assez, je pense qu’il faut développer des stratégies de communication et d’information conséquentes sur les produits qui existent de part et d’autre des deux pays. Il y a des Tunisiens qui achètent des téléphones portables en France, alors qu’ils peuvent en avoir pour beaucoup moins cher à Annaba et des Algériens qui achètent des verres de bonne qualité en Europe alors qu’en Tunisie c’est beaucoup plus accessible.

Nous avons besoins de mettre en place des instruments efficaces au niveau de l’échange des informations.

Avez-vous une idée sur le volume des investissements tunisiens en Algérie ?

Non, mais à ma connaissance, ils sont insignifiants.

Malgré l’accord préférentiel signé entre la Tunisie et l’Algérie ?

Les Tunisiens et les Algériens font partie de la ZALE (Zone arabe de libre-échange) et ont un accord préférentiel signé en 2008 qui place la Tunisie dans une situation de partenaire commercial privilégié de l’Algérie. Techniquement parlant, cet accord n’a pas été appliqué à ce jour. Il sera très bientôt opérationnel car il s’agissait tout juste de définir les règles d’origine, ce qui sera fait incessamment, avant la fin de l’année.

Après la mauvaise expérience de la Zone arabe de libre-échange, l’Algérie a tout annulé suite à l’introduction dans le pays de produits dont les origines ne venaient pas des pays signataires. Nous avons listé les produits et nous sommes aujourd’hui à presque 2000 produits. Il s’agit ou bien de jouer le jeu le plus honnêtement possible ou bien de se refermer sur soi-même.

Et en tant que Chambre de commerce algéro-tunisienne, comment faites-vous pour dynamiser les échanges entre les deux pays?

La volonté politique existe pour développer les relations commerciales. En tant qu’opérateurs privés, nous sommes des facilitateurs, nous sommes, bien entendu, décidés à accroître nos échanges.

Trop de représentations patronales en Algérie ne compliqueraient-il pas les choses pour vous?

Nous sommes une Chambre de commerce et à ce titre, nous opérons avec tous les patronats sans distinction aucune, nous représentons les hommes d’affaires indépendamment de leurs choix syndicaux.