Tunisie : Patrick du Besset, «Si le patron est un voyou, l’entreprise se comporte en voyou»

affaires-cjd.jpg« Maman, tu sais ce qui s’est passé aujourd’hui alors que je passais mon examen de français, tous mes copains de classe donnaient leurs copies à l’instituteur surveillant, il les corrigeait et les leur remettait, tu imagines ?», pour la tester, la maman rétorque : «Tu aurais du lui donner ta copie, tu aurais garanti une meilleure note». «Quoi, comment peux-tu me dire cela, maman, j’aurais eu ma bonne note mais c’est malhonnête, j’aurais commis une fraude et je ne pourrais jamais savoir ce que je vaux réellement. Dis maman, tu n’accepterais pas que je réussisse alors que je ne le mérite pas». Cette petite anecdote véridique nous montre que la morale, l’éthique sont une culture qu’on apprend, une culture qui nous imprègne et qui est sensée nous accompagner tout au long de notre vie.

A voir le peu d’engouement montré par les Jeunes dirigeants pour l’éthique dans l’entreprise en brillant par leur absence au petit-déjeuner débat, organisé samedi 12 juin 2010, consacré au thème et animé brillamment par Patrick du Besset, Administrateur du Cercle Ethique des Affaires et Directeur du Cercle Européen des Déontologues, venu spécialement de France pour l’occasion, nous ne pouvons nous empêcher d’être déçus. Même si les absents, ou en tout cas certains d’entre eux,  ont bien évidemment tort et triplement cette fois-ci. Tort de ne pas y croire, tort de pousser le cynisme malgré leur jeunesse jusqu’à croire que l’éthique n’est pas d’actualité dans le milieu entrepreneurial où ils évoluent, il n’y a pas lieu d’être présents, tort de croire que l’éthique  n’a pas lieu d’être dans le monde des affaires et qu’elle ne génère pas de profits car elle s’avère aujourd’hui plus que jamais indispensable pour la bonne marche des affaires et le développement de leurs entreprises.  

«L’esprit de l’Homme supérieur est familier avec la droiture, l’esprit de l’homme moyen est familier avec le gain», disait Conficius 500 ans Av. J.C. Cela reste toujours valable au risque de paraître candide, voire naïf aux yeux de nombre de personnes, mais valable sur le terrain. Car, comme le dit à juste titre Patrick de Besset, “les éthiques dont la droiture, l’estime de l’autre, le respect de la personne humaine, l’exemplarité, l’intégrité, le courage, la sincérité, la loyauté, la confiance, le respect des engagements et la transparence représentent des valeurs sûres de management et les entreprises qui réussissent le plus et le mieux en France et dans le monde sont celles qui se soumettent à une conduite éthique ».

Contrairement à ce que pensent les sceptiques et les cyniques, les principes éthiques s’adossent sur des éléments bien ancrés dans la réalité de l’entreprise et visent sa préservation et sa pérennité. Une entreprise qui met en place un code éthique doit  allier performance et déontologie, en soignant son image, elle gagne en valeur commerciale. La crise financière et économique récente prouve d’ailleurs à quel point le non respect d’une éthique dans les affaires peut nuire jusqu’à mener à l’effondrement du système économique mondial.

La question d’éthique a d’ailleurs commencé à se poser en France avec acuité dans les années 90 par réaction à la corruption de la vie des affaires. Plusieurs procès ont eu lieu à l’encontre de chefs d’entreprise pour abus de biens, délits d’initiés et même blanchiment d’argent. Par réaction et pour protéger leurs intérêts, les investisseurs sont devenus très exigeants quant au choix de leurs placements et y intègrent de plus en plus des critères d’éthique. Aujourd’hui et crise aidant, ils préfèrent placer leurs liquidités dans des sociétés rentables et soucieuses de l’intérêt public et de la préservation des ressources naturelles. Les pouvoirs publics de certains pays s’y mettent aussi, l’Assemblée générale française vient d’examiner un projet de loi de régulation bancaire et financière qui a pour ambition de tirer les leçons de la crise financière et de mettre en œuvre certaines des recommandations du G20. L’opacité ne paie plus, les mauvaises pratiques aussi, et c’est valable pour tout le monde.

Les entreprises sont notées pour leur éthique aussi

La Tunisie, bien classée par nombre d’agences de notation internationales quant au climat d’affaires, bute pourtant sur le problème de la transparence de l’entreprise. Selon l’indice de perception de la corruption établi par Transparency international, principale organisation de la société civile de lutte contre la corruption, elle a été classée 65ème en 2009,  en 2007, elle était à la 64ème place. Recul donc…A qui la faute ? A voir l’arsenal de réformes et de lois mises en place par le gouvernement visant le renforcement des bonnes pratiques au sein des entreprises, les encouragements à l’entrepreneuriat et l’amélioration de l’environnement des affaires, on comprend mal ce classement.

Parmi les critères pris en compte par l’ONG internationale -d’origine allemande- et pratiques condamnées par les codes d’éthique, nous pouvons citer le fait de donner de fausses informations, de réaliser des contrôles déficients, d’éditer de fausses factures, de s’adonner à de mauvaises pratiques telle l’escroquerie, la fraude fiscale, d’établir des ententes à l’encontre des règles légales de concurrence loyale, d’abuser de la position dominante, d’abuser des biens sociaux, de procéder à de la  publicité mensongère, de gaspiller les ressources de l’entreprise, de ne pas respecter l’environnement, de s’adonner à la corruption et autres mauvaises pratiques… La liste est longue…

Ces pratiques sont-elles monnaie courante dans notre pays pour que nous soyons si mal jugés ?

Pourquoi nos entreprises sont-elles en mal de transparence, manquent-elles de bonnes gouvernance ?

«L’éthique entrepreneuriale se base sur une approche «stratégique», explique Patrick du Besset, une approche qui vise à mobiliser le personnel et préserver l’image de l’entreprise. La finalité de l’entreprise est le respect de toutes les parties prenantes. A la base, elle défend la bonne gouvernance et milite pour de meilleures pratiques en milieu entrepreneurial pour faire progresser la confiance entre tous.

Le risque de ne pas en avoir est de voir ternie l’image et la réputation de l’entreprise, d’encourir des peines de prison ou civiles et de se voir également sanctionnée par l’opinion publique. Dans un pays comme le nôtre où on encourage de plus en plus les entreprises à s’introduire en Bourse, la réputation devient un facteur déterminant dans la réussite d’une société. Le dirigeant d’une entreprise doit prouver sa préoccupation éthique et donner des gages de ses convictions, il doit communiquer de manière transparente même sur les difficultés et les échecs, il doit être crédible et être le premier respectueux des règles d’éthique. Ses collaborateurs suivront s’ils perçoivent sincérité et authenticité.

Toute pratique contraire à la morale et portant du tort à l’entreprise doit être incriminée. Dans des pays comme les Etats-Unis, les dénonciateurs sont considérés comme des personnes courageuses qui accomplissent un acte citoyen et civique, en France on prend des mesures pour les protéger et on commence à se rendre compte de l’importance de leur rôle.

Car il n’est pas logique de voir une ou des personnes s’adonner à des actes illicites ou des pratiques corrompues et jouer à ceux qui ne voient rien, c’est en devenir les complices.
Il faut aussi avoir été imprégné de l’intérêt de l’entreprise, avoir le sentiment d’appartenance et être conscient des risques des mauvaises pratiques émanant de certains dirigeants ou employés pour oser aller jusqu’au bout d’une dénonciation. Il faut oser, malheureusement, c’est aussi culturel en Méditerranée et la dénonciation est plus décriée que certains vols ou actes de corruption. Allez savoir pourquoi. Oscar WILDE disait «Appuyez-vous sur vos principes, ils finiront bien par céder», je ne sais pas si plier vise les principes eux-mêmes ou ceux qui n’en ont pas. Pour ma part, je pencherai plutôt pour que ceux qui n’en ont pas finissent par plier aux principes.

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