L’équipe nationale de football : trop chère, pas assez performante ?

L’équipe nationale de football : trop chère, pas assez performante

Aujourd’hui,
notre sélection dispute un match décisif avec le Cameroun, a-t-elle des chances
de le remporter et de passer au second tour? En fait, quelles sont ses chances
de se hisser aux finales ou dans le pire des cas aux demi-finales de la Coupe
africaine des Nations?

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Les stratégies entreprises jusqu’ici par les différents intervenants veillant
aux destinées de cette équipe, ont-elles été efficientes et porteuses?

A-t-on investi suffisamment en moyens matériels et humains pour atteindre
l’excellence ?

Certains pensent que faire partie des élus africains mériterait meilleur
investissement contrairement à d’autres qui estiment que l’équipe nationale de
football coûte trop cher par rapport à ses performances et ses réalisations.

Pour Abdelwahab Derouiche, journaliste sportif au Renouveau, il existe, un
problème de fond touchant aux conditions même de la constitution d’une équipe
nationale performante. « Les critères sont biaisés. On cherche les résultats
immédiats, les profits à court terme
». Il est approuvé par Mahfoudh Benzarti,
Dr en socio-psychologie sportive, instructeur principal et consultant de la CAN
: « Sculpter les joueurs pour une sélection nationale, nécessite un travail de
base qui se fait au niveau des clubs de football eux-mêmes. A-t-on jamais vu un
universitaire sauter l’école primaire et secondaire pour se trouver doctorant ?
Les clubs sportifs sont les pépinières de l’équipe nationale, il faut commencer
par des réformes de fonds à ce niveau pour trouver le terrain balisé et dénicher
les talents
».

Et là il s’agit de s’attaquer à des problèmes d’ordre structurel. Les pays
d’Amérique latine, tels l’Argentine ou le Brésil, ou d’autres africains, pour ne
prendre que les pays aux moyens comparables au notre, brillent très souvent dans
les manifestations internationales de football et font très souvent partie des
finalistes, parce que le football chez eux revêt un aspect culturel, est-ce
encore le cas chez nous ? Un enfant né dans les bas quartiers de Rio de Janeiro,
Sao Paolo ou de Buenos Aires, sait qu’il peut s’en sortir grâce au ballon. Quand
il n’en a pas, il en fabrique un ou joue avec un ballon dégonflé. Les terrains
vagues existent par milliers et les espaces ne manquent pas pour permettre aux
enfants de s’adonner à leur jeu favori. C’est là où les talents éclatent et où
les sélectionneurs choisissent leurs futures recrues. Ils les sculptent tels des
diamants bruts pour qu’ils brillent ensuite de tout leur art sur les plus grand
terrains de foot. Ils sont des techniciens nés, ils ont besoins d’apprendre le
foot de manière scientifique, d’apprendre à exploiter au mieux leur potentiel
physique, d’apprendre le jeu non pas improvisé mais conçu, étudié, d’apprendre à
jouer en équipe, et pour l’équipe. Cet apprentissage, ils le suivent dans des
clubs de foot professionnel. Cet apprentissage ne se fait pas en un seul jour.

Les vedettes de la sélection tunisienne de la coupe du monde en Argentine sont
tous ou presque à l’origine, le produit des terrains vagues et des petits clubs.
Tarek Dhiab jouait à l’Association sportive de l’Ariana avant de rejoindre
l’espérance sportive. Grâce à cette équipe nationale, la Tunisie méconnue en
Amérique latine et dans nombre de pays de par le monde a pu s’imposer par la
qualité de son jeu et de ses joueurs. Combien y a t-il de joueurs de ceux de la
trempe d’un Temim Ben Abdallah, Agrebi, Kaabi, ou Gasmi de nos jours ? Ces
joueurs ne disposaient pas de grands moyens, n’étaient pas noyés par les primes
ou les récompenses. « Il a fallu 7 ans de travail à Amer Hizem pour former
l’équipe nationale de football des années 70, ensuite est arrivé Chetali et a
continué l’œuvre de son prédécesseur » précise Mahfoudh Benzarti.

Réformer à la base

En fait, une équipe nationale de
football ne se fabrique pas comme par
enchantement, elle est le produit d’un travail de longue haleine et sur des
années. D’abord, on identifie le joueur talentueux, on le prend en charge, on
assure le suivi de sa carrière au sein de son club d’adoption, on veille à son
apprentissage, en somme, on le fabrique. « Peut-on parler de professionnalisme
dans notre pays ? Un footballeur professionnel se voue corps et âme à son
activité sportive. Un professionnel qui ne sait pas contrôler une balle, ne
maîtrise pas le jeu de tête, ne réussit pas une passe orientée, l’est-il
réellement ? Un footballeur professionnel est performant et offre du spectacle»
assure Mahfoudh Benzarti.

Etre un professionnel du foot implique des entraînements et des préparations
physiques intenses, une hygiène de vie où il n y a pas de place pour les soirées
en discothèque, les virées nocturnes, la chicha et autres vices indignes du
professionnel du sport. Etre sélectionné dans une équipe nationale implique un
investissement total et pas uniquement une simple motivation basée dans la
plupart des cas sur l’argent, elle suppose l’envie de s’imposer au firmament des
équipes les plus performantes, l’amour de la patrie et l’honneur de défendre et
de porter les couleurs nationales.

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Pour produire du bon sport et particulièrement le football, il faut commencer à
la base, dans les cités, là où on peut détecter les talents, dans les écoles
primaires, les collèges, les lycées. Nos élèves ne s’adonnent plus au sport avec
le sérieux voulu. Aux années 80, le sport était une matière aussi importante que
l’éducation civique, religieuse, l’histoire ou la géographie dans les petites
classes. Les salles de gymnase ne désemplissaient pas, les professeurs de sport
étaient d’une grande exigence, ils recrutaient les talents pour les équipes
nationales et on savait qu’un 18 de moyenne en sport pouvait nous sauver de
refaire la classe. Qu’en est-il aujourd’hui de l’école de base sensée en
principe établir un aménagement horaires qui permettrait de s’adonner à des
activités sportives ou artistiques ? Le sport fait-il partie de notre culture ?
La formule consacrée « Etre bien dans son corps, être bien dans sa tête »,
est-elle toujours d’actualité ?

Ce n’est pas sûr, le sport est le parent pauvre de notre enseignement et dans
toutes ses composantes. Un pays se vend également par ses champions. Par ses
réalisations sportives, par des performances, par les records de sportifs de
haut niveau, c’est ainsi qu’on valorise l’image d’un pays. Un exemple édifiant :
Oussama Mellouli est devenu un champion et la Tunisie en est sortie grandie. Nos
élèves délaissent le sport, les activités culturelles et artistiques et
qu’avons-nous ? Nombre de jeunes, faute de canaliser leur énergie dans des
activités positives et constructives les dirigent vers d’autres destructrices,
tabagisme et autres maux. L’oisiveté est mère de tous les vices.

Avancer lentement mais sûrement

Il ne s’agit pas du « tout et tout de suite », il ne s’agit pas non plus de
satisfaire aux caprices d’un public impatient ou de supporters hystériques. « Un
club de football doit être géré comme une entreprise avec un conseil
d’administration, un bureau fédéral conseillé par des experts et a une
obligation de résultats et d’efficience. Il faut investir dans les ressources
humaines, mettre en place des stratégies de développement à moyen et long terme,
construire des centres de formation dignes de ce nom. Développer la formation et
le recyclage des entraîneurs et des staffs techniques » déclare Mahfoudh
Benzarti.

Les enfants doivent être formés dès leur jeune âge au jeu du football, les
entraîneurs doivent être en même temps des éducateurs. Ils doivent leur
apprendre la discipline, les encourager dans leurs études, les éduquer à tous
les niveaux, sur le plan comportemental aussi. D’aucuns reprocheraient à
certains entraîneurs de ne pas savoir doser les exercices physiques à dispenser
aux joueurs ce qui entraînerait selon eux, des conséquences néfastes sur leur
condition physique. C’est ce qui, pour eux, expliquerait que les joueurs
tunisiens qui donnent l’illusion d’être performants à l’échelle nationale ne
peuvent soutenir le rythme des équipes européennes du fait de leurs carences.
Ils n’ont pas été entraînés par des techniciens formés qui maîtrisent
l’anatomie, qui peuvent forger le corps de manière à ce qu’il soit la machine
parfaite maîtrisant le jeu, gérant son énergie et ses capacités physiques de
manière à ne pas s’essouffler au bout de la première mi-temps et ne s’effrayant
pas du jeu agressif pour ne pas se fracturer les pieds ou les jambes. Les
qualités physiques sont obligatoires pour la pratique du foot professionnel à
haut niveau accompagné d’une grande rigueur et d’un moral d’acier.

Une équipe nationale de football doit aussi compter sur ses propres effectifs,
ceux qu’elle a formés sur des années, qui savent, au-delà de la dimension
technique du jeu, communiquer entre eux, se comprendre, qui jouent en
symbiose…Dans notre pays, on fait souvent appel à des joueurs d’origine
tunisienne nés à l’étranger, qui, parfois, jouent en division 2, nous les
intégrons dans notre équipe nationale et ils sont sensés défendre le drapeau
tunisien. Leur apport de synergie ne se révèle pas. Car il faut nécessairement
un temps d’adaptation et ce n’est certainement pas lors des stages de formation
qu’il se fait. Dans le même temps, il y en a qui partent à l’étranger et qui
représentent pour le pays une perte sèche. L’exemple du gardien de but Hamdi
Kasraoui, est édifiant. Acheté par l’équipe française de Lens, il n’a pas réussi
à détrôner le gardien de but croate de l’équipe française. Lui qui était un
titulaire de l’équipe nationale de football a peut être gagné de l’argent mais
il a laissé des plumes. « Finalement il a perdu sa place à l’équipe nationale,
il n’a pas non plus brillé ailleurs » déclare non sans regrets Abdelwahab
Derouiche.

Dieu n’a pas créé le Monde en un seul jour, les temps sont venus, peut être,
pour nous de prendre le temps qu’il faut pour former une équipe nationale de
football performante, soudée portant l’étendard des hautes valeurs morales et
l’amour de la patrie plus que celui des bas intérêts matériels. L’argent, s’il
n’est pas adossé à un minimum de règles et de valeurs morales, n’est plus mérité
et finit par engendrer le désordre, la
crise financière en est le parfait
témoin.