Tunisie – Médias : Hassan Zargouni, “la voix de la France est devenue inaudible en Tunisie”

Tunisie – Médias : Hassan Zargouni, “la voix de la France est devenue inaudible en Tunisie”

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: Notre confrère Moncef Mahroug fait état, dans un article récent, du recul
d’audience des chaînes télés françaises auprès des téléspectateurs tunisiens.
SIGMA fait du suivi d’audimat, quelle est l’importance de cette chute ?
S’agit-il d’un phénomène passager ou d’une tendance durable ?

Hassen Zagouni : Il y a 10 ans, en l’an 2000, les enquêtes de mesure de
l’audience quotidienne des chaînes TV réalisées par SIGMA à périmètre égal
(Grand Tunis, hors Ramadan), indiquaient que 69% des habitants de cette région
regardaient au moins une fois par jour et pendant plus d’un quart d’heure la
chaîne publique Tunis 7. Ce taux d’audience, relativement élevé, était suivi par
celui de la chaîne publique française France 2 avec 18,8%, contre 4,8% pour
Canal 21 et 3,3% pour Canal Horizons, qui a disparu depuis.

En 2005, soit 5 ans plus tard, seules 2 chaînes françaises se trouvaient encore
dans le tableau du Top 10 des chaînes TV les plus regardées avec un taux
d’audience pour TF1 de 6,6% et 4,8% pour M6, respectivement 6ème et 9ème dans le
classement de janvier 2005, précédée déjà par Tunis7 (49,1%), LBC (13,3%),
Rotana Cinéma (10,8%, mois inaugural), Al Jazeera (10,1%) et Rotana Music
(7,4%). En cette fin d’année 2009, aucune chaîne française de télévision ne
figure dans le Top 10 des chaînes les plus regardées dans le Grand Tunis et
encore moins si on considère l’ensemble du territoire. M6, 1ère chaîne TV
regardée en Tunisie actuellement, se classe en 20ème position avec un taux
d’audience de 0,7%, soit près de 70.000 téléspectateurs par jour ! Il s’agit
donc d’une chute importante avec une tendance durable tant il est difficile de
reconquérir des parts de marché dans le secteur télévisuel, caractérisé par une
offre pléthorique, notamment panarabe, hyperciblée et où la place de la langue
française est quasiment réduite à un ‘happy few’.


La voix de la France à travers ses médias est devenue inaudible dans la
société tunisienne, seule son élite s’y intéresse. Mais jusqu’à quand ?

Le phénomène est-il propre à la Tunisie ou à l’ensemble des pays de la région
?

Les enquêtes SIGMA couvrent en effet l’ensemble des pays du Maghreb central
(Tunisie, Algérie et Maroc, NDLR). Deux constats sont à signaler : le
comportement d’audience au Maroc est quasi identique à celui enregistré en
Tunisie, même part des chaînes locales dans l’audience, même classement des
chaînes panarabes et même régression notoire des chaînes françaises en termes de
pénétration quotidiennes.

En Algérie, la situation est différente, mais la tendance est la même concernant
les chaînes françaises. En l’an 2002, début de la couverture de l’Algérie par
les enquêtes SIGMA, 4 chaînes françaises étaient classées parmi le Top 5 des
chaînes TV les plus regardées contre 2 seulement aujourd’hui. On avait
enregistré en 2002 pour TF1 un taux d’audience quotidienne de 38,3% contre 17,2%
en octobre 2009, talonnée par M6 avec 19,7% contre 11,3% en 2009, et enfin 9,4%
pour France 2 en 2002 contre 4,1% en octobre 2009. La situation a donc changé en
Algérie, les chaînes panarabes et maghrébines (Nessma TV) ont grignoté des parts
d’audience aux chaînes françaises, notamment dans les régions de l’Est algérien.

Globalement, un Maghrébin habitant la Tunisie, l’Algérie et le Maroc répartit
une heure de télévision entre 20 minutes passées sur les chaînes locales, 30
minutes sur les chaînes panarabes et près de 10 minutes sur les chaînes
françaises (poids de l’Algérie oblige).

Notre confrère attribue ce recul à l’attrait des chaînes satellitaires du
Moyen-Orient. Qu’en est-Il ?

Les chaînes du Moyen-Orient partagent avec les téléspectateurs tunisiens et
maghrébins, en général, un même creuset linguistique, culturel et sociétal.
L’offre panarabe est très variée, allant du cinéma au sport, en passant par la
musique, les chaînes religieuses, éducatives, enfantines, informations …. De
plus, il s’agit le plus souvent d’une offre techniquement de qualité, tant les
moyens des pays du Golfe sont importants et les gouvernements des autres pays
arabes ont compris l’importance du média TV…

Quant au contenu, et en termes marketing, la cible s’identifie à l’offre
plurielle proposée, qu’elle soit médiocre ou à valeur ajoutée…

Comment mesurer l’impact de la multiplication des chaînes locales ? A-t-il
pesé dans ce reflux d’audimat ?

Indéniablement cela a permis d’infléchir la tendance. La part des chaînes
locales a été maintenue, voire augmentée grâce à l’émergence de chaînes locales,
privées en Tunisie, et publiques au Maroc. A ce titre, il est important de
remarquer que dans tous les pays du monde, en dehors de la sphère arabe, les
chaînes TV locales accaparent plus de 90% de l’audience. Y a-t-il des Allemands
qui regardent massivement les chaînes TV françaises, ou des Italiens qui
regardent des chaînes TV espagnoles ? La réponse est bien évidemment non. La
situation qui prévaut en Tunisie au mois de Ramadan, avec près de 93% de part
d’audience pour les chaînes locales, est une situation qui devrait prévaloir le
long de l’année. La situation la plus saine. Cela exige en effet que l’offre en
production locale s’intensifie, qu’il y ait un véritable marché des produits
audiovisuels et que les annonceurs soient moins timides pour financer cet
écosystème. Des états généraux sur cette question s’imposent. Il ne faut pas
politiser la question, sa dimension économique et de création artistique et
culturelle suffisent à entamer un débat fécond pour l’ensemble de la filière.

L’implémentation des émissions d’Endemol tel «Dlilek M’lek» par les chaînes
locales, l’arrivée de
Hannibal TV en 2005 et Nessma TV, 2 ans après, ont joué
fortement dans la re-captation de l’audimat national, le recul des chaînes
françaises, voire la résistance forte aux chaînes panarabes.

Vous avez toujours soutenu que le téléspectateur tunisien est présent
physiquement dans son pays mais qu’il a le cœur branché sur le Moyen-Orient et
sa raison pencherait pour l’Europe. Est-ce toujours le cas ?

La rationalité occidentale à effet modernisateur, véhiculée quelque peu par
certains médias français, n’attire plus comme avant. La production artistique
égyptienne et libanaise et la question palestinienne et irakienne sont toujours
très présentes dans l’esprit du Tunisien. La scène télévisuelle tunisienne
demeure hélas saisonnière (ramadan), très liée au football, le succès
d’audiences des feuilletons locaux à caractère social et les émissions de type
‘’El Moussameh Karim’’ montre le besoin du Tunisien de se voir devant un miroir
non déformé, une forme de besoin de respectabilité et de reconnaissance… A
suivre…

Quelle date, quel thème et quelles nouveautés pour le prochain Open de la Pub
qu’organise SIGMA à chaque début d’année ?

L’Open SIGMA
aura lieu le 23 janvier 2010 à l’hôtel Sheraton. Outre le récap’
traditionnel sur les performances médias et publicitaires des annonceurs de
l’année 2009, le cru 2010 mettra l’accent sur les aspects techniques de
l’optimisation de l’achat des espaces médias et la rentabilité publicitaire de
par le foisonnement de l’offre médias avec 4 télévisions locales, 3 radios
privées, 8 radios publiques, des dizaines de titres de presse papier et
électronique.

SIGMA présentera à cet effet des outils software développés par nos partenaires
d’IPSOS et qui ont fait leur preuve côté Machrek (Egypte, Liban, Dubaï, Arabie
Saoudite, …). L’année dernière, l’Open SIGMA a réuni près de 350 professionnels
du secteur de la communication, des médias et du marketing, un véritable moment
de Networking. Cette année on en attend davantage, il s’agit donc d’être
pertinent, informatif et véhiculant une réelle valeur ajoutée par les chiffres
que nous exposons et nos analyses, car notre adage est toujours le même : «Tout
ce qui ne se mesure pas, n’existe pas !»…