Tourisme : Lotfi Belhassine, le Tunisien qui ne veut pas bronzer idiot!

lotfi-belhassine1.jpgJeune étudiant, cet ancien de l’Ecole supérieure de commerce de Paris vendait
des hamburgers pour se payer des vacances au bout du monde. Il rentrait au
bercail familial une semaine seulement, en été. Le reste du temps, il naviguait
pour s’imbiber des cultures d’ailleurs. Son goût du voyage a toujours été dicté
par un besoin naturel de découvertes. Il s’en souvient vivement : «Ma mère
autant que mon père m’ont toujours poussé à regarder le monde. Enfant, j’étais
très attaché à mon oncle pour qui je voue une affection profonde. Il commerçait
à la Sindbad dans les épices. Conteur prodigieux, il théâtralisait la remise des
cadeaux qu’il rapportait de ses nombreux et lointains voyages
».

C’est ensuite, à la lecture du livre “Triste tropique” de Claude Levi-Strauss,
1955 (rééd. Pocket, collection Terre Humaine, 2001), que ce qui bouillonnait
instinctivement en Lotfi BelHassine (LB) prend toute sa dimension. L’ouvrage, un
succès immédiat à sa parution, rompt avec la froide rigueur scientifique de
l’anthropologie. Levi-Strauss y mêle les souvenirs et la méditation à une
profonde réflexion sur le sens des voyages. Sa fracassante phrase d’alors «Je
hais les voyages et les explorateurs
» a un retentissement profond en Belhassine.
Bien plus tard, il la convertira en un slogan, qui marquera hélas si peu
l’histoire du tourisme tunisien : «Ne bronzez pas idiot !». Ce slogan, par
contre, sera la devise de son parcours et la doctrine de sa vie. Une vie,
largement dédiée aux voyages.

Au lendemain de l’indépendance, la Tunisie avait gagé sur le tourisme. Forte de
ressources aussi riches que diversifiées, elle a surtout misé sur le balnéaire
et a connu un succès incontesté. Au fil du temps, la destination n’a pas su
évoluer. Elle est devenue l’otage d’un produit touristique qui a cannibalisé son
image et hypothéqué une partie de son avenir. D’aucuns diraient que le dérapage
est advenu lorsque la destination n’a pas su ou pu s’intégrer dans les nouvelles
mouvances du tourisme mondial, dont l’une des plus importantes tendances
intégrait la dimension culturelle.

Le
Festival International de Tabarka, que dirigeait LB durant de nombreuses
années, anticipait précisément cette tendance. L’homme qui crut et continue, du
reste à croire, que la culture représente le fer de lance des produits du voyage
n’en finira pas d’associer la culture au tourisme. Il convertira cela en la
création d’une chaîne hôtelière, les clubs Aquarius. Il s’en développera en à
peine dix ans, 18 structures dans le monde.

Un peu plus tard, Lotfi Belhassine donne un second rendez-vous crucial et manqué
au
tourisme tunisien. En ce temps là, il envisageait la création d’une compagnie
aérienne privée. Son ambition alarme. Sous-estimée ou surestimée, la levée de
boucliers qu’elle provoque pousse l’entrepreneur à la réaliser sous d’autres
cieux. On connaît le succès qui a découlé de la création d’«Air Liberté».
L’histoire confirmera que sa proposition, d’il y a plus de deux décennies, a été
mal appréciée. Cette proposition innovante pour l’époque, émanait d’une
constatation très simple. LB s’en souvient, non sans un sourire : “Alors que
l’hôtellerie tunisienne s’était fortement développée, l’aviation restait à la
traîne. On a tendance à l’oublier maintenant, mais à l’époque, la compagnie
nationale
Tunis Air est passée de 11 à 14 avions entre 1967 et 1987. Mon
ambition était de combler une brèche. Aujourd’hui, c’est chose faite et c’est
tant mieux. La compagnie nationale ne s’en porte que mieux !

A plus de soixante ans, l’homme pense que le mot qui le caractériserait le plus
est la curiosité. Au terme de notre conversation, je pense qu’il a toujours
simplement et naturellement porté la mondialisation en lui. L’homme voit grand,
pense grand et agit en grand. Il est un anticipateur permanent qui a convertit
sa «soif du monde» tout le long d’une vie tumultueuse et intense. Une vie,
durant laquelle il relèvera d’énormes défis, accumulera beaucoup de réussites,
et quelques échecs aussi.

Ses choix le porteront sur des chemins qui ont fait de lui l’une des figures les
plus marquantes de l’entreprenariat en France et en Europe. Son parcours
l’inscrit dans la lignée des grands. A son actif, incontestablement un des
premiers groupes intégrés de tourisme dans le monde. Suite à de graves
circonstances, l’homme se décharge de tout et cède ses entreprises à de grands
groupes internationaux.

Guidé par son éternelle curiosité, il part en 1997 pour une année sabbatique à
Silicon Valley à la conquête de la révolution numérique. Il voulait être au cœur
de la révolution Internet qui a bouleversé l’univers de la communication et a
fait du monde un village planétaire. Il est depuis président d’une plate-forme
multimédia, Liberty Channel.

En ce qui concerne la
destination Tunisie, l’opinion de LB est faite. Il analyse
: «C’est l’aspect collectif et conceptuel qui à manqué et manque au tourisme
tunisien dans son ensemble. Remplir toutes les séquences d’un séjour est un
métier qui repose sur le professionnalisme et une forte analyse des tendances et
attentes. Le problème a été identifié, il y a bien longtemps. Il est dû à une
confusion entre tourisme et hôtellerie. Le contenu a pris le pas sur le
contenant et on a occulté que le tourisme et la culture sont fortement liés. Le
tourisme est, à mon avis, une démocratisation de la culture
».

tunizie.com, le site (espoir?) du tourisme tunisien

LB fait partie de ceux qui critiquent sévèrement et imperturbablement, mais
propose. Celui qui est constamment dans l’action, est en effet absorbé par un
nouveau défi. Ses yeux brillent dès qu’il parle de projets. Ils n’en brillent
que davantage, dès qu’il s’agit de sa «chère Tunisie» et de l’imminent lancement
du
portail du tourisme tunisien,
tunizie.com
.

Celui qui peut se prévaloir de la qualité d’un observateur avisé des
comportements et des modes de consommation liées au tourisme voue de grandes
ambitions pour ce portail. Il précise que «ce site porte en lui d’énormes
possibilités. Il répond à de nombreuses attentes et comblera d’importantes
lacunes qui ont fortement pénalisé jusqu’ici le tourisme tunisien. Le projet
sera à la dimension des ambitions que j’ai eu pour l’aérien. Il s’agit
maintenant d’optimiser nos ressources humaines, naturelles et
communicationnelles pour accéder à un large spectre de voyageurs
», affirme t-il.

Une fois encore, LB donne un rendez-vous crucial au tourisme tunisien. Après les
deux rendez-vous manqués d’antan, il est désormais question d’Avenir. Serein et
enthousiaste, il affirme que ce portail «est un enjeu capital pour aujourd’hui
et demain. Internet est un plateau d’informations et d’échanges. Il est aussi un
outil de transactions. Il s’agit de s’y déployer avec force et rigueur
». Le
rendez-vous est pris. L’enveloppe d’investissement mise en place pour le portail
est de l’ordre de 10 millions d’euros sur cinq ans. Son lancement est prévu pour
janvier 2010.

Pour y réussir ? Tout d’abord voir grand ! Gageons que celui qui a toujours vu
en grand et fort de sa connaissance de l’univers du tourisme saura être à la
dimension des attentes d’un secteur clef pour l’économie tunisienne.

LB ambitionne d’offrir un site riche en informations qui facilitera les
transactions. Il construit: «un pont qui permettra de relier les professionnels
tunisiens aux marchés européens». En cours de réalisation par une équipe
regroupant à la fois des compétences tunisiennes et étrangères, le portail sera
marchand et ouvert à tous les professionnels du secteur touristique.

Destiné à plus de 500 millions de touristes européens potentiels, le portail
table sur un nombre de visiteurs oscillant entre 60.000 et 150.000 par jour.

Tunizie.com est assurément une occasion pour écrire une autre page dans
l’histoire du tourisme tunisien. Peut-être aussi, une autre occasion de
conforter Levi-Strauss et Lotfi Belhassine dans une certaine conception du
voyage !