Chokri Driss, président de la Fédération du bâtiment : «Nous pouvons réussir à l’international si on évitait les susceptibilités des petits villageois»

Le secteur du bâtiment en Tunisie, c’est 2000 entreprises de
plus de 5 personnes et 17 à 18 mille entreprises de moins de 5. Il emploie près
de 30 mille personnes, et d’après le ministère de l’Equipement, 250 entreprises,
seulement, sont agréées de la catégorie supérieure à 3.

Le secteur a vécu ces dernières années de grosses difficultés liées surtout au
renchérissement des prix des matières premières en 2007/2008. Il est, d’autre
part, confronté à l’étroitesse du marché tunisien, d’où l’importance de se
déployer à l’international. Il fait également face au défi de pouvoir ou non
d’acquérir des parts de marché conséquentes dans les mégaprojets lancés ces
derniers temps en Tunisie.

Assure, n’assure pas ? Telle est la question. Et c’est Chokri Driss, depuis deux
ans, président de la Fédération du Bâtiment à l’UTICA, franc, dynamique et qui
croit au pouvoir de la communication, pour notre plus grand bonheur, qui répond
à nos interrogations.


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: La crise et le bâtiment…

Chokri Driss : Je peux dire que nous sommes en train de sortir de crise.
Ceux qui en parlent sont ceux qui lient nos activités directement aux
mégaprojets, ils ont l’impression que si un grand projet est différé, ça va
se répercuter directement sur nous. Il faut admettre que nous ne sommes pas
réellement préparés aux grands projets, ce que nous voulons, c’est de
pouvoir assurer une partie au niveau de leur exécution. L’année 2008 n’a pas
été très clémente avec le secteur du bâtiment presque sinistré surtout avec
l’augmentation inattendue du coût des matières premières.

Heureusement, le président de la République l’a secouru au mois de mai par
la prise de 14 décisions très importantes qui l’ont complètement
métamorphosé. Les gens n’en sont pas conscients mais grâce aux nouveaux
textes édités, il y a eu la première indemnisation sur les travaux réalisés
sur l’autoroute de Sfax. On ne s’y attendait pas.

A combien s’élèvent les indemnisations ?

En 2007, on avait estimé les dégâts à 14 millions de dinars, ensuite on les
a réévalués à 30 millions de dinars. L’Etat a donné son accord pour 23
millions de dinars. La SOMATRA a, par exemple, reçu une grande partie du
paiement, c’est important, le secteur est en mouvement. Je pense qu’il est
temps pour nous de nous implanter ailleurs. Tout près de nous, il y a la
Lybie et l’Algérie.

Comment pensez-vous les conquérir ?

Tout d’abord en résolvant un grand problème appelé système bancaire. Je me
rappelle avoir pris la parole pendant sept ou huit minutes lors d’une
réunion et j’ai été clair dans mon discours par rapport à cette
problématique. Une semaine après, on était chez le ministre des Finances
pour discuter de la défaillance du système bancaire. J’avais à l’époque
précisé qu’il fallait nous comparer avec le Maroc. Dans ce pays, les
entreprises marocaines ont pris le dessus sur les entreprises tunisiennes au
niveau de l’exportation. Pourquoi ? Parce que leurs banques les accompagnent
là où elles vont. Attijari bank est implantée en Afrique, c’est la
locomotive pour ces entreprises exportatrices.

A supposer que, personnellement, je parte en Libye et je demande des
garanties à une banque libyenne, on va me répondre que si au niveau de mon
propre pays je n’ai pas réussi à en avoir, pourquoi devrait-elle me les
accorder elle-même ? Alors que s’il y avait une banque tunisienne sur place,
je pourrais avoir toutes les garanties sur place. Si je m’y présente, le
responsable m’accueille dans son bureau, m’offre un café, m’écoute
attentivement avant de me dire n’avoir aucun pouvoir de décision…

En fait, quels sont les plus grands maux du secteur du bâtiment ? Et puisque
la situation est en train de s’améliorer, on voudrait savoir quelles sont
les perspectives pour vous de participer en partie aux mégaprojets en
Tunisie ?

Depuis 2004, le secteur a connu beaucoup de difficultés. D’abord à cause de
la réglementation des marchés publics qui n’a pas évolué alors que l’Etat
est le premier promoteur. Le système du moins disant est resté de mise dans
l’adjudication des marchés en plus du fait qu’on a favorisé la naissance de
nouveaux promoteurs sans tenir compte du niveau de leur professionnalisme ni
de leurs compétences.

Nous ne sommes pas contre l’arrivée de nouveaux entrepreneurs sur la place,
mais le système d’agrément appliqué depuis 1992 s’est petit à petit
métamorphosé en une sorte de carte d’accès qui permet à quelqu’un qui n’est
presque pas équipé et qui dispose de peu de personnel de devenir promoteur
et se porter acquéreur de marchés importants sans aucune garantie pour mener
à terme les projets et selon les critères réglementaires.

Une personne qui, de sa vie, n’a jamais su ce qu’est une brique ne peut
prétendre pouvoir construire la Tour Eiffel !

En adoptant le principe du moins coûtant, cette personne gagne le marché
sans aucune difficulté. Nous nous retrouvons par conséquent avec une
Administration qui, au vu des textes réglementaires, accorde des marchés
publics à des gens qui offrent le dixième du prix de ce que présente un
devis normal. Les entreprises qui sont là depuis des dizaines d’années et
qui se sont construites petit à petit sont écartées. On aurait donné les
marchés n’importe comment à n’importe qui, ce qui génère une concurrence
déloyale.

Les apprentis promoteurs ne mènent pas à terme leurs marchés parce que,
logiquement, ils ne peuvent pas le faire. Entre temps, les prix des matières
premières flambent pour plusieurs raisons dont le prix de pétrole, et on a
des entreprises qui ne peuvent plus assurer surtout lorsqu’il s’agit des
gros travaux dont la construction des routes. Le phénomène s’est aggravé
jusqu’à il n’y a pas longtemps.

La flambée des prix des matières premières aurait-elle été la seule raison
de la crise vécue par le secteur en 2008 ?

En grande partie. Il y a des gens qui ont signé des marchés à des coûts
faibles et non-réalisables tel un tronçon de route à 5 millions de dinars et
dont le coût des matières premières s’élève à 3 millions de dinars. Les prix
ont augmenté de 3 à 4 fois ce qui était prévu, ce qui fait que le
fournisseur se trouve dans l’impossibilité d’honorer son contrat.

Conséquence : des difficultés avec les banques et de gros problèmes
financiers. Ce phénomène s’est aggravé jusqu’aux derniers mois de 2007.

Au début de 2008, l’Etat a réalisé qu’il y a des chantiers qui ne se
terminaient plus surtout au niveau des routes. Pourquoi les routes ? Parce
que lorsque les prix des hydrocarbures augmentent, ça se reflète directement
sur les prix du bitume. Que le pétrole se vende à 140 dollars alors que
certains avaient signé des marchés sur la base de 40 ou 50 dollars le baril,
cela veut dire que l’équation relevait de l’impossible. Il fallait donc
mettre à jour les textes réglementaires et même les réviser. Il fallait
arrêter les adjudications des marchés sans y mettre un seuil minimum.

Décision a donc été prise dans ce sens. On s’est d’ailleurs un peu inspiré
du code français des marchés publics qui stipule que lorsque
l’administrateur constate que l’offre est anormalement basse, il a la
latitude de l’éliminer systématiquement. Nous avons beaucoup milité pour
arriver à cette réalisation.

Au mois de mai 2008, j’ai été reçu par le président de la République, lors
de l’entretien, je lui ai expliqué clairement la situation des
entrepreneurs, surtout par rapport aux marchés publics. Résultat, le code a
été révisé au mois de juillet pour pallier aux difficultés vécues par le
secteur.

Parmi les problèmes cités, il y a eu également celui se rapportant au retard
de paiement par le secteur public, l’Etat étant le client principal. Il y a
des dossiers non réglés qui datent de plusieurs années. En plus du blocage
des cautions bancaires des entreprises même pour les chantiers qui ont été
achevés. L’entrepreneur ne dispose plus de liquidités pour assurer ses
frais, ce qui tue sa trésorerie.

Cette situation date d’avant 2008. D’après le nouveau, il paraît que les
administrations publiques sont soumises à des délais de paiement pour que
cela n’ait pas un impact négatif sur le secteur. Nous avons, d‘autre part,
remarqué qu’il y a beaucoup d’intrus dans le secteur qui se transforment en
entrepreneurs. C’est légitime à condition qu’ils assurent en tant que
professionnels. N’est-il pas important de mettre en place des garde-fous
pour protéger la profession ?

Certains textes réglementaires ont généré l’émergence d’entreprises qui ne
sont pas bien encadrées, des personnes qui ne sont pas du métier sont venues
s’y greffer. C’est quoi une entreprise ? C’est une société de service qui
travaille avec des professionnels, des techniciens, des ingénieurs, des
chefs de chantiers et des opérateurs. Tout ce beau monde doit avoir des
qualifications. Dans la demande publique, on attribue de gros marchés, des
marchés moyens et, bien entendu, il y a de la place pour les petits
entrepreneurs.

Sur la place, il y a 2000 entreprises d’entreprenariat, mais il y a 17.000 à
18.000 entrepreneurs individuels (dachroun) et on a besoin de ces gens là
pour les petits travaux en sous-traitance.

En France, il y a des gens qui se spécialisent dans des domaines bien
déterminés, par exemple la réalisation des faux plafonds, des travaux de
sculpture et de finition. Ce sont des métiers qui ont de la valeur, et qui
permettent à un certain nombre de personnes d’en subsister. Ce qu’il faut
c’est que chacun assure au niveau de sa spécialité ; il ne faut pas essayer
de tout avoir lorsqu’on n’a pas les moyens de mener à terme un projet.

Il est temps de commencer à mettre de l’ordre dans le secteur puisqu’il y a
de nouveaux textes qui ont été promulgués et il existe 10 nouveaux critères
pour l’attribution des agréments.

Pour amender les textes, nos points de vue ont été pris en considération. Il
y a une volonté politique pour améliorer la qualité et le niveau des
professionnels du secteur et différencier les entreprises qui maîtrisent le
secteur du bâtiment et celles qui n’en ont pas les moyens humains et
matériels.

Nous avons introduit des nouvelles règles pour les grandes entreprises et
nous avons créé une catégorie exceptionnelle de grandes entreprises. Nous
avons d’ailleurs insisté sur le problème d’encadrement, d’où la décision de
créer la certification ISO des entreprises, pour qu’elles procèdent avec un
système de qualité au niveau de l’exécution des travaux, et qu’elles soient
au niveau des entreprises européennes sur le plan organisation, management,
qualité des travaux et sécurité. Nous ne sommes pas encore au top des
entreprises méditerranéennes ou européennes.

C’est pour cela que nous avons créé une catégorie exceptionnelle
d’entreprises pour tirer la profession vers le haut.

Nous souffrons aujourd’hui également de difficultés au niveau de la
formation professionnelle et nous y travaillons beaucoup avec l’Etat, moteur
dans ce domaine là, pour essayer de restructurer les centres professionnels
sectoriels existants, et valoriser l’image du secteur.

Encourageriez-vous, en tant que professionnel ou en tant que fédération
d’entrepreneurs, la création d’écoles privées de formation professionnelle
dans ce métier ?

Il y en a mais pas d’écoles de formation professionnelle, plutôt des centres
qui font au coup par coup.

Mais si quelqu’un pense à créer un centre de formation privée dans les
métiers dont vous avez besoin, la sculpture, le plâtre, etc. et puisque vous
bénéficiez de remboursements sur la formation, est-ce que vous enverrez vos
ouvriers suivre une formation continue ? Ce genre de structures pourrait-il
venir en aide à la profession ?

Ce genre d’orientation existe en France déjà et ce n’est pas l’Etat qui le
prend en charge, c’est la fédération des entrepreneurs. Chez nous, c’est l’Etat
qui a les moyens et les prérogatives d’organiser tout cela, soutenu par les
agences de développement.

Logiquement, la profession devrait participer à l’organisation et au choix
des filières de la formation professionnelle. D’ailleurs, le fait qu’elle
n’y participe pas, est à l’origine de certains ratages dans les centres, au
sein desquels on reçoit des formations académiques parce que les
professionnels n’y prennent pas part. Maintenant, si nous pouvons être plus
présents à ce niveau, on le fera.

Nous voulons également encourager la formation par alternance. Si un
conducteur d’engins doit recevoir une formation de 8 mois, il n’aura que
quelques heures pour toucher l’engin, or s’il est sur le chantier, il
pourrait s’y mettre plus rapidement. Donc l’Etat a besoin des professionnels
pour la formation même si on aurait aimé que la profession soit structurée
comme en France. En France, par exemple, la taxe sur la formation
professionnelle retenue sur les marchés est versée aux fédérations, donc ce
sont les fédérations qui contrôlent, animent, construisent, etc.

Nous savons maintenant que l’Etat tunisien a des accords avec les structures
françaises, ce qui nous permettrait de mieux avancer. Moi-même, j’ai été à
plusieurs reprises en France pour donner notre point de vue et pousser le
débat sur la formation davantage dans le sens d’être à jour par rapport aux
nouveaux métiers.

C’est quoi les nouveaux métiers ?

IL y a une étude très poussée depuis une année et demie sur les nouvelles
constructions et nous avons été à Dubaï pour les voir de visu et en France
également, pour identifier quels sont les nouveaux métiers dans le secteur.
Il a été décidé de créer un nouveau centre à «EL Kabaria», financé par
l’Agence française de développement, et nous travaillons avec le ministère
de la Formation professionnelle pour construire ce Centre et le rendre
opérationnel.

Les nouveaux métiers sont liés à la nouvelle technologie de la construction.
C’est le préfabriqué, les vitrages, les structures rapportées, l’assemblage,
les matériaux énergétiques, écologiques. Ce n’est plus le béton et les
enduits de la construction classique. Il faut dire qu’avec les nouvelles
bâtisses, les matériaux ne sont plus les mêmes, les matériaux de
l’électricité, les matériaux de la climatisation, les ascenseurs, sont
différents. Les Tunisiens n’ont pas l’expérience de ces nouvelles méthodes.

Avez-vous besoin d’appuis en provenance d’autres pays pour assurer la
formation d’une main-d’œuvre locale au niveau des nouveaux métiers du
bâtiment ?

Les centres de formation existent dans notre pays. Mais nous devons faire
mieux, nous devons nous associer avec d’autres fédérations de bâtiment pour
développer les nouveaux métiers. Parce que nous avons besoin de budgets.
Nous avons d’ores et déjà une convention avec la Fédération française, les
Espagnols et les Italiens avec lesquels nous allons avoir d’ailleurs une
convention. Les italiens sont les meilleurs dans certaines spécialités, nous
allons essayer d’en tirer profit au niveau de la formation mais aussi au
niveau du savoir-faire des entreprises. Entreprises avec lesquelles nous
devons nous associer parce qu’avec la crise financière actuelle, elles, qui
n’étaient pas intéressées par le Sud de la Méditerranée et avaient plutôt
des chiffres d’affaires énormes en Extrême Orient et en Europe, se tournent
maintenant vers nous parce qu’il y a encore des choses à construire au
Maghreb et en Afrique.

Nous essayons donc de nous associer avec elles sur la base d’un nouveau
concept. A savoir qu’on n’a pas besoin d’exporter toute la machine de
production qui, elle, peut exister dans le Sud. Plein de petites et moyennes
entreprises sur place s’associent aux entreprises étrangères pour acquérir
un savoir-faire supplémentaire, une meilleure organisation, et une meilleure
planification. Ceci permet d’être compétitifs, parce qu’un ingénieur
français expatrié coûte quatre fois plus cher qu’un ingénieur local sans
avoir beaucoup plus d’expérience, nos ingénieurs sont formés selon les
labels français et nous pouvons être compétitifs surtout face aux Asiatiques
qui commencent à devenir envahissants.

J’ai personnellement une entreprise en Libye et j’ai vu que la main-d’œuvre
asiatique est très présente parce que son coût est très bas. Il est temps
que les entreprises européennes comprennent qu’il y a un intérêt commun,
pour nous de conquérir ensemble des marchés. Notre défi à nous en tant que
fédération est de réussir l’export, et d’être capables de concourir avec des
entreprises internationales.

La Tunisie pourrait-elle être un relais en matière d’exportation de l’entrepreneuriat
européen et nord-africain ?

Je dirais une plateforme.

Oui une plateforme, mais ce qu’on veut dire par relais, c’est que la Tunisie
pourrait être le point de départ vers la conquête des marchés maghrébin et
africain ?

Tout à fait. Pour ce qui est de l’Afrique, nous avons essayé de nous y
imposer depuis une dizaine d’année. Malheureusement, la démarche
individualiste de certains d’entre nous ne nous a pas permis de conquérir de
grandes parts de marchés. Il fallait comprendre que lorsqu’on part seul, on
est faible et qu’au contraire, plus nous sommes groupés, plus nous sommes
forts et mieux placés.

Pourquoi pas ne pas se constituer en pool ou en consortium ?

Les consortiums existent, mais il faut les stimuler. Nous appelons l’Etat à
encourager les associations d’entreprises, d’être derrière et de créer les
mécanismes nécessaires afin de faciliter leur développement.

L’entrepreneur est toujours intéressé par le côté pécuniaire, si la
fiscalité pour ce genre de groupements est plus clémente.

Les jeunes entrepreneurs disent qu’ils ne sont pas traités au même pied
d’égalité que les grandes entreprises, et qu’ils sont plus pénalisés que les
grands, parce qu’ils n’ont pas la solidité nécessaire qui leur permet de
résister à la hausse des prix des matières premières, il faut qu’eux aussi
aient des avantages fiscaux par rapport aux moyennes ou grandes entreprises.

Les petites ou les grandes entreprises sont sous-capitalisées, et elles
l’ont toujours été. Et c’est l’un des maux du métier, elles ne disposent pas
d’un fonds propre conséquent alors qu’une entreprise qui se respecte doit
avoir son propre fonds propre et pas seulement les crédits des banques.

Pour les petites entreprises et toutes proportions gardées, quelqu’un qui
dispose d’un capital de 30.000 dinars, ce n’est pas quelqu’un qui a un
capital de 300.000 de dinars, ou un million de dinars. Il faut que chacun
s’attaque à des marchés de sa taille pour subir moins les péripéties des
hausses des prix et des difficultés qu’on peut rencontrer car il est vrai
que moins nous sommes solides financièrement, plus nous sommes fragiles.

Pour les marchés publics également, ils sont plus fragilisés.

Il y a une mesure qui a été prise en direction des jeunes et aussi des
grandes entreprises ; pour les marchés qui atteignent un certain seuil on
accorde une avance de 20% du montant du marché, avant on en accordait
seulement 10%. L’Etat privilégie un peu plus l’option de donner aux petites
entreprises les moyens de fonctionnement, pour qu’elles aient plus
d’autonomie à ce niveau là. Il y a une panoplie de mesures qui visent à
soutenir les petites entreprises.

Pour revenir aux banques, pourquoi selon vous, les banques tunisiennes et
pas que dans le secteur du bâtiment, mais d’une façon générale,
n’accompagnent pas les entreprises tunisiennes à l’étranger ?

Parmi les problèmes, il y a celui des cautions bancaires, par exemple les
cautions provisoires, qu’on donne à l’entreprise. Il y a aussi des
entrepreneurs qui ont été mal accompagnés par exemple au niveau des délais.
Si vous avez un appel d’offres et que vous avez un mois pour répondre, si la
banque ne vous répond pas à temps, vous êtes en dehors du coup. Et si vous
avez le marché et qu’on ne vous donne pas les cautions de bonne fin et
l’avance, vous êtes également hors du coup.

Puis il y a un problème de taille en rapport avec les montants alloués aux
marchés. A l’étranger, le minimum au niveau d’un marché c’est 50 à 150
millions de $, il y a des marchés qui représentent un chiffre d’affaires
semblable au chiffre d’affaires d’une entreprises tunisienne pour la durée
de trois ans.

Quand on voit que le territoire libyen représente 11 fois la Tunisie, on ne
peut pas espérer des marchés égaux à ceux que nous gérons ici. Donc nous
avons besoin d’une assise financière beaucoup plus importante pour pouvoir
gérer cela et c’est vrai que les banques sont frileuses, il faut aussi que
les entrepreneurs jouent le jeu c’est-à-dire avoir une gestion transparente
et une situation saine. Les entrepreneurs peuvent par ailleurs prendre une
avance et ne pas l’investir là ou il faut.

Y a-t-il une législation qui pénalise ce genre de pratiques ? La fédération
pourrait-elle contrecarrer ces pratiques frauduleuses parce que justement
cela nuit à la profession ?

En tant que fédération, nous œuvrons à améliorer le climat général et nous
essayons de rendre les gens plus professionnels mais nous n’avons aucun
pouvoir de sanction, à part le fait de dénoncer, nous ne pouvons rien faire
d’autre.

Oui mais ces personnes qui ne respectent pas la profession ne peuvent-elles
pas être écartées pour les raisons que l’on vient de citer ?

Non, la fédération fait tout pour que tout le monde y adhère, elle ne peut
pas se mettre à éliminer les gens comme ça.

Mais avez-vous besoin de l’adhésion de personnes dont les pratiques sont
frauduleuses ?

Non, nous n’en avons pas besoin justement mais nous n’avons pas de pouvoir
de sanction.

Et si la fédération imposait un mécanisme de contrôle avant d’approuver une
adhésion, elle aurait par rapport aux banques plus de pouvoir puisqu’elle
serait la garante de la solvabilité d’un entrepreneur et donc c’est comme si
elle présentait une caution solidaire morale en faveur du promoteur…

Nous pourrions instituer ce genre de conditions, si nous sommes plus
exigeants pour ce qui est de l’acceptation des adhésions dans la fédération.
Si nous ne cautionnons pas des personnes peu scrupuleuses. C’est très utile
pour moraliser le secteur, mais il faut beaucoup de travail. Nous sommes des
bénévoles, depuis deux années que je suis président de la fédération,
j’essaie de communiquer au maximum. La communication est très importante, le
secteur est très mal vu et nous essayons de le revaloriser. Aujourd’hui,
beaucoup commencent à adhérer.

Il faut énormément d’engagement. Le promoteur doit assurer, l’entreprise est
un bien national, il faut qu’elle joue pleinement son rôle. Il ne faut pas
qu’elle soit vue comme une source d’enrichissement rapide et sans morale ou
éthique. Il faut qu’elle soit moteur de l’emploi, qu’elle embauche, qu’elle
se développe avec des structures comme ce que nous voyons ailleurs et
qu’elle s’exporte.

Si elle va à l’international, c’est pour contribuer à l’effort national pour
l’exportation. Si nous prenons le cas de la Turquie d’il y a 30 ans, il y a
eu une grande volonté politique pour encourager l’entreprise et miser sur
elle. Le climat des affaires a été pour beaucoup dans le développement de
l’exportation du savoir-faire turc et de l’économie du pays. Dans notre
pays, la volonté politique existe, il faut être de véritables professionnels
et jouer le jeu à fond et c’est dans l’intérêt du pays. Une vingtaine
d’entreprise opèrent déjà en Afrique et c’est un très bon signe. Nous
espérons que le reste suivra.

A propos des mégaprojets, Hédi Djilani, président de l’UTICA, a déclaré
qu’il fallait se mettre à jour et se constituer en consortiums et pas
seulement tunisiens mais maghrébins pour espérer arracher une part de ces
mégaprojets. Parce que ces investisseurs vont débarquer avec leur propre
main-d’œuvre et leurs propres compétences et ils vont émettre leurs
conditions en disant que si vous n’avez pas le savoir faire dont nous avons
besoin, il va falloir que nous ramenions le notre. Comment comptez-vous vous
préparer à cela ?

Nous l’avons déjà compris. Lors de notre première rencontre avec les
promoteurs de Sama Dubaï, nous avons rassemblé les 26 premières entreprises.
Nous pensions qu’on allait parler des projets en question mais à notre
surprise les débats ont porté uniquement sur les ressources humaines dont
nous disposions, ce que nous avions comme potentiel. Nous avons essayé,
d’une manière solidaire, de défendre notre point de vue en leur répondant
que même s’il y a des savoir-faire qui n’existent pas, nous étions capables
d’en créer en formant des gens spécialement pour ces projets en question et
nous leur avons dit que la Tunisie a été construite avec une main-d’œuvre
tunisienne et les mégaprojets nécessitent un groupement d’entreprise.

Les autoroutes et les ponts ont été construits par des groupes d’entreprises
dans notre pays, C’est comme pour le pont de Radés-La Goulette, ce sont les
Tunisiens qui y travaillent et non les étrangers, les Japonais ne font que
l’organisation.

En ce qui me concerne, j’ai réalisé les fondations, la SOMATRA aussi. Au
départ c’était dur, mais maintenant c’est fascinant à voir l’environnement
du projet, la sécurité, l’organisation. C’est ce qui manque aux entreprises
tunisiennes, en se regroupant avec de grandes entreprises d’envergure
internationale, nous apprenons la façon de faire. C’est une culture qui
s’instaure tout au long de la réalisation du projet, partant du maitre
d’ouvrage, c’est tout un travail, et il faut avoir le réflexe d’apprendre et
de communiquer.

Les méga projets, nous y travaillons déjà et les consortiums sont
inévitables, mais au cas par cas. Ce qu’il faut c’est que nos entrepreneurs
évitent les susceptibilités des petits villageois, tel ne veut pas se
regrouper avec tel, etc. Mais sinon ça peut très bien réussir …