Guillaume Almeras : “Il faut que quelqu’un prenne le risque PME au Maghreb”

Les prêts et les investissements internationaux ou non,
publics ou privés privilégient dans le secteur privé, les grandes entreprises
plutôt que les PME ce qui a pour conséquence que l’essentiel de la croissance
présente et à venir de la région du Maghreb est délaissé par les circuits de
financement. Ce constat est fait dans une étude intitulée. «Du coût du non
Maghreb au Tigre nord-africain», réalisé par Guillaume Almeras, consultant
international dans le domaine de la banque et du développement financier, expert
en conception et mise en place de réformes et de programmes dans le secteur
financier.

De passage en Tunisie, Guillaume Almeras a bien voulu répondre à nos questions.

almeras1.jpg

Webmanagercenter: Quel est le rôle des fonds d’investissement dans la
consolidation du tissu entrepreneurial ?

Guillaume Almeras : Les fonds d’investissement sont là pour financer des
entreprises très particulières qu’on appelle start-up, c’est-à-dire des
entreprises qui sont capables de doubler, de tripler ou de décupler leurs
chiffres d’affaires en quelques années. Ce n’est pas de cela qu’est fait le
tissu industriel d’une nation. Le tissu industriel d’une nation est d’abord
fait par les petites entreprises qui ont des besoins très ponctuels non pas
de capitaux mais de trésoreries. Dans les pays émergents et particulièrement
au Maghreb, ce que nous observons est que les entreprises ont du mal à se
financer au niveau bancaire. Le problème se pose au niveau des risques. Ceci
s’explique par plusieurs raisons, d’abord la visibilité que les banques
peuvent avoir sur les risques des entreprises. Les entreprises ont appris,
d’une certaine façon, à se passer des banques et par conséquent, elles ne
jouent pas le jeu en matière de transparence financière de leur situation
économique. Pour les banques, financer les entreprises représente un risque
au niveau des financements.

D’autre part, les garanties exigées par les banques sont extrêmement
importantes. Elles peuvent à peine suffire car il est très fréquent de voir
la même hypothèque donnée à toutes les banques et quand l’entreprise,
défaille, les banques suivent en série pour exiger d’être remboursées. Donc,
c’est une sorte de cercle vicieux.

Finalement, le marché ne permettant pas une grande visibilité quant aux
risques, les banques prêtent mal ou prêtent peu, ont des résultats
relativement faibles, sont peu capitalisées et ont peu de moyens pour
prêter.

Pour s’en sortir, il faudrait ou bien que les entreprises puissent jouer
le jeu, à condition d’en avoir les moyens, ce qui implique des garanties à
proposer, soit qu’elles apprennent à vivre sans banques.

Les chiffres sont très importants en matière d’autofinancements,
notamment dans les pays du Maghreb. Selon le FMI et la Banque mondiale,
c’est au Maghreb que le taux d’autofinancement des entreprises est le plus
élevé au Monde. Il faut trouver un moyen de développer les fonds
d’investissement hors fonds propres et cela ne doit pas être le
capital-développement et pour plusieurs raisons.

Pourriez-vous nous en citer quelques-unes?

Tout d’abord, le capital-développement a un business modèle qui consiste
à accompagner quelques entreprises. Moi je parle de milliers d’entreprises,
un accompagnement que le capital-développement est incapable de réaliser.

Ensuite, les entreprises n’ont pas forcément des besoins immédiats de
capitaux, elles ont surtout des besoins de financement de trésorerie qui,
très souvent, ne sont pas réalisés. Dans le même temps, les entreprises font
face localement à des délais de règlement très importants, notamment de la
part des administrations publiques.

Donc, développer les comptes et les capacités des entreprises à se
refinancer à bon marché me paraît beaucoup plus important que développer les
fonds du capital-développement qui existent. Ils ont par ailleurs du mal à
employer les fonds qu’ils gèrent sur la zone euro-méditerranéenne par
exemple. Aujourd’hui, il y a trois ou quatre fonds d’investissement directs
à part les fonds des fonds et les fonds d’actions comme la BEI. Tous ces
fonds s’élèvent à des centaines de millions d’euros qui peinent à
s’employer.

La crise va renforcer les difficultés des banques à prêter
puisqu’elles-mêmes vont avoir des problèmes de refinancement. La situation
ne s’améliorera pas. Il faut trouver un moyen pour que quelqu’un prenne le
risque PME. Il faut que quelqu’un dise aux banques allez-y, je vous couvre.
Dans tous les pays occidentaux, il y a des institutions qui accompagnent les
banques qui prêtent aux PME.

Au Maghreb, là où les besoins de soutenir les PME se font ressentir le
plus, elles font défaut. En Tunisie, il est vrai que vous avez la BFPME
(Banque de financement des PME, NDLR), la BEI (Banque européenne
d’investissement) qui met en place des systèmes de garantie pour les crédits
PME. Ce n’est pas suffisant, ce qu’il faut introduire, c’est une véritable
discipline, à la fois pour les entreprises à qui ont dit ”on veut bien vous
financer avec une exigence de transparence, nous voulons des comptes
certifiés”. Il faudrait également discipliner les banques qui, dans les
pays émergents, doivent revoir certaines façons de procéder.

Que préconisez-vous ?

Il faudrait aller vers des besoins beaucoup plus simples des entreprises,
notamment le réescompte. En Tunisie, il existe beaucoup d’entreprises
exportatrices lesquelles sont appelées à se développer encore plus. Ces
entreprises portent un risque de paiement sur des grands donneurs d’ordre et
notamment européens, dans cette situation, on peut prendre le risque
escompte et refinancer.

A ce moment là, il faudrait créer des mécanismes de réescompte qui
n’existent malheureusement pas dans la plupart des pays émergents. On
pourrait imaginer également que les concours en cofinancement de la BFPME
aillent directement vers le concours du prêt subordonné, c’est-à-dire vers
le crédit capital. Il faudrait, à partir du moment où l’établissement
existe, lui dessiner une stratégie très précise.

En France, le modèle BDPME duquel s’est inspiré la BFPME a également des
obstacles. La banque soutient les entreprises mais elle ne permet pas de
faire baisser le coût du prêt. Au contraire, la garantie qu’elle accorde aux
banques se répercute sur les coûts des crédits.

Il faut également ne pas perdre de vue les entreprises qui refusent de
jouer le jeu et qui considèrent qu’on peut ne pas rembourser un crédit
bancaire.

Ce qui m’avait frappé dans certains pays desquels fait partie la Tunisie,
c’est de voir que la personne qui a accordé le crédit est celle qui est
chargée du recouvrement. Et nous savons que cette pratique ne marche pas car
la personne qui a supervisé l’accord du crédit est très mal placée pour
assurer le suivi au niveau du remboursement. Il faut aller vers des méthodes
de factoring et mettre en place des méthodes qui permettent de détecter à
quel moment une entreprise risque de défaillir et à ce moment là, lui
proposer des solutions. Il faudrait revoir les garanties, par exemple, le
crédit bail est une méthode de financer avec garantie qui se développe dans
les pays émergents. Le problème, c’est qu’on n’arrive pas à identifier les
besoins des entreprises, il faut mettre au point tous les détails techniques
et de la manière la plus pragmatique pour cerner les véritables besoins des
entreprises.

L’implantation de banques étrangères dans des pays comme la Tunisie
peut-elle booster le développement économique du pays ?

Jusqu’ici on n’a pas vu des banques étrangères, et pour ne parler que des
banques françaises renforcer le développement dans les pays du Maghreb.
Elles ne sont pas là pour prêter davantage à la population locale qu’elle
soit représentée par des entreprises ou des particuliers. Elles s’implantent
en premier lieu pour capter des opérations d’import export, ouvrir des
lettres de crédits, les domicilier dans la maison mère de l’autre côté de la
Méditerranée. Donc, nous avons affaire plus à une politique de camps
retranchés où on essaye de conquérir un marché bien spécifique qu’à une
véritable politique de développement. C’est dommage, mais faut-il dire que
le développement des banques étrangères dans les pays du Maghreb est très
contraint par les pouvoirs publics locaux et par conséquent nous avons des
banques qui n’ont pas réussi à se substituer aux banques locales et qui
n’ont pas pu élargir le marché dans lequel elles opèrent.

De quelles contraintes parlez-vous ?

Les pouvoirs locaux veulent protéger leur secteur bancaire. Au Maroc, ces
mesures ont réussi, les principales banques sur la place sont marocaines. Je
ne dirais pas qu’en Tunisie la situation est aussi reluisante. Car il n’y a
pas mal de réformes à faire. Il existe trop de banques en Tunisie. En
Algérie, c’est l’échec total, les banques publiques sont gérées par des
réglementations qui ne correspondent pas aux normes internationales et elles
ne sont même pas encore prêtes à accompagner le développement du pays. Elles
prêtent essentiellement aux entreprises publiques.

Cette politique protectionniste a servi quand même à nous protéger de la
crise financière…

Personnellement je ne plaide pas pour une ouverture totale du secteur
financier maghrébin à l’international. Le Maroc est là pour nous démontrer
qu’un pays peut de lui-même développer des banques d’excellente qualité. La
Tunisie n’a encore fait que la moitié des réformes que le Maroc a engagées
pour le secteur bancaire. Il y a, en particulier, le poids des banques
publiques qui reste important par rapport aux moyens disponibles. On peut se
poser la question de l’efficience de beaucoup de banques dans un marché
relativement petit. On devrait peut-être se demander s’il ne faudrait pas
mieux deux ou trois gros champions plutôt que plein de joueurs qui ne pèsent
pas lourd.

La privatisation des banques serait-elle la meilleure solution ?

La privatisation ou une autre alternative : faire venir de hautes
compétences en finances dans le domaine public en gardant la majorité de
l’actionnariat. Une autre solution serait d’aller dans un système mutualiste
ou coopératif. Pourquoi pas, ce n’est pas à la mode mais c’est une manière
d’être entre le public et le privé

(A suivre un deuxième entretien consacré au développement régional à l’échelle maghrébine).