La fiscalité, amortisseur de la crise?

Samedi 24 courant, déjeuner-débat du Centre des Jeunes Dirigeants. Invité
d’honneur, M. Moncef Bouden, secrétariat d’Etat à la Fiscalité au sommet de
son art et au meilleur de sa forme. Il y avait de l’effervescence dans
l’air, ce qui est bien dans la tradition du CJD. Et du panache, ce qui est
de coutume avec les interventions de M. Bouden qui a déployé des trésors de
pédagogie et de l’entregent dans de ses réparties lors du débat comme il s’y
oblige à son habitude.

Les jeunes dirigeants ont bien ficelé leur dossier en le confiant à
Ghazi Handous. Expert-comptable, JD et excellent animateur de débat. Le
thème est de circonstance. «La fiscalité peut-elle jouer le rôle
d’atténuateur de la crise». Monia Jeguirim Essaidi, présidente du CJD avait
prévenu en introduisant le sujet qu’il s’agit d’un exercice d’exploration
et pas tout à fait une plateforme pour des revendications fiscales. Quoique
certaines des pistes présentées par Ghazi Handous pourraient révéler
matière à….

La frayeur de la crise

Les JD ont planté le décor. La crise est là, elle s’installe. Selon leurs
estimations, elle ne se dissiperait pas avant 3 à 5 ans. C’est long.
S’adossant à ce constat, ils s’interrogent sur la manière de contrer le
ralentissement d’activité. L’allégement de la fiscalité serait un
amortisseur de crise. L’interrogation est légitime, acquiescera Moncef
Bouden, et sur un ton décontracté, il dira à l’adresse des participants
«vous pouvez dire ce que vous voulez…».

Une démo structurée

Dans sa présentation, Ghazi Handous avait évoqué trois axes. Il considère
que la fiscalité impacte la trésorerie des entreprises, qu’elle génère un
coût mais en revanche peut servir de ressort à la reprise de la demande.
L’approche est structurée et ne manque pas de consistance.

Fiscalité et trésorerie

Par temps de crise la trésorerie prend une importance de trésor de
guerre. Le paiement cash devient presque la loi et les délais de paiement
-s’ils subsistent- sont extrêmement raccourcis, et gare aux défaillants. La
trésorerie conditionne la survie de l’entreprise par gros temps. Et dans ce
sillage, l’étude s’interroge sur l’intérêt pour une entreprise, qui a
réalisé un déficit, de procéder à une retenue à la source lors de l’exercice
suivant. Cette ponction de trésorerie paraît injustifiée et comme
pénalisante…

Par ailleurs, pour une entreprise unipersonnelle, à quoi sert-il de
prélever une retenue à la source puisque le compte de résultat est
l’assiette propre du gérant ? Et le crédit d’impôt devient un aspect
frustrant par temps de ralentissement économique.

La fiscalité génère un coût

L’étude soulève la question des procédures de déclarations répétitives et
contraignantes, et voudrait aller des déclarations mensuelles vers celles
trimestrielles. Un calcul approximatif avait révélé qu’un professionnel
établi à son compte (entreprise individuelle) consacrerait 20 jours dans
l’année à expédier ses déclarations fiscale et sociale. Parfois on a
beaucoup plus de déclarations qu’elle n’émet de factures dans une année.

Evidemment cela grève l’activité

Par ailleurs, soulignent les JD, l’unification des déclarations fiscale
et sociale en une liasse unique serait d’un bon effet.

Sur un autre registre, la fermeture de patente pourrait être allégée. Ces
lenteurs pèsent et parfois sont dissuasives. Et en matière d’information à
l’adresse des contribuables, l’administration fiscale pourrait assurer un
guichet de consultation, pour la prise en charge des promoteurs qui ne
peuvent se payer des conseils personnalisés à titre onéreux, dans le privé.

Encouragement à la consommation

Etant donné que l’habitat est le marché de consommation-roi, Ghazi
Handous évoque l’éventuelle exonération des droits d’enregistrement de
l’acquisition du premier logement, qu’il soit neuf ou ancien. Ce qui est, à
n’en pas douter, de nature à stimuler le marché. Il va plus loin et se
demande si les intérêts sur crédits logement pourraient être déduits de
l’assiette fiscale du client. Ce qui est en somme une mesure à caractère de
transfert social. C’est sûr que c’est un cadeau fiscal utile et fort
opportun en temps de crise.

La pression fiscale reste clémente

Dans ses réponses, le secrétariat d’Etat mettra en avant l’équation
budgétaire et la pression fiscale. Il rappellera que la fiscalité directe et
indirecte alimente 68% du budget. A un taux moyen de 18%, la TVA est à un
seuil acceptable surtout après l’affaissement des droits de douanes du fait
de l’ouverture.

La pression fiscale globale, pour sa part, c’est-à-dire les rentrées
fiscales globales, toutes sources confondues rapportées au PIB, est autour
de 20,5% pour une moyenne mondiale de 21%. Et hors fiscalité pétrolière, ce
ratio baisserait à 18,3%, ce qui n’est pas à ses yeux exorbitant.

Malgré un taux qui plafonne à 35%, la fiscalité directe se ramène à un
taux moyen de 18% quand on tient compte des exonérations et de la
progressivité du barème. Il n’existe donc pas de problème fiscal de fond,
dira M. Bouden qui justifierait une révision conséquente.

Par ailleurs, contestant les prévisions de durée, il considère que l’on
ne peut réformer structurellement pour un motif conjoncturel, car il juge
qu’il sera difficile de revenir à la normale une fois la crise passée.

Le budget pourvoit à la relance

Le SE rappelle que les mesures présidentielles de soutien aux entreprises
seront prises en charge par le budget. Dans ce contexte, il est difficile
d’envisager de réduire les recettes quand le budget est sollicité de
partout. Les engagements, rien que pour pour le titre II (Investissement),
ont augmenté de 20,9% pour compenser le ralentissement de l’activité. L’Etat
a accéléré un programme d’investissements d’infrastructure à l’effet de
procurer à l’économie un appoint de dynamisme.

Et se tournant vers les JD de petites entreprises, il dira sur un ton
plaisant que les petites entreprises sont en général au régime forfaitaire
et que, par conséquent, elles ne sont pas fondées à revendiquer !

Le coup de grisou

Rebondissant sur la question, Abdelaziz Dargouth a relancé le débat
éthique. Il considère que le régime de forfait se justifie au démarrage.
Mais qu’au-delà de trois ans, il devient source informelle. Ou l’entreprise
prend son envol et passe au régime réel ou elle rend le tablier.

Par ailleurs, il souhaiterait que l’Administration cite en exemple les
contribuables qui s’acquittent de leur devoir fiscal et qui maintiennent un
niveau de prospérité pour leur outil de travail et se permettent un certain
train de vie. Tout comme il préconise de récompenser les contrôleurs
méritants qui assurent la prise en mains des contribuables sans les
effrayer.

L’informel, toujours lui, nourrit bien des colères chez les JD qui le
regardent comme source de concurrence déloyale. Ghazi Handous présentera un
cas extrême d’une éventuelle amnistie fiscale pour les contribuables qui ont
fait de la dissimulation sous réserve que les sommes concernées soient
investies. Il est sûr que telle revendication procède d’un élan généreux
mais elle est inéquitable. Bien sûr dans le contexte culturel actuel, la
retenue à la source ne peut être abandonnée. Elle est à l’origine de la
collecte de la majeure partie des impôts.

Au total, cette matinée a eu un effet inattendu. Elle a réconcilié les JD
avec la fiscalité.