Le CJD débat sur la crise financière : «Nous n’investissons pas assez».

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pouvoir d’achat tend vers la baisse, les exportations tendent vers la
baisse, le taux de croissance tend vers la baisse, les réserves en devises
tendent vers la baisse et à la Bourse de Tunis ‘‘kol chay labess’’ …
Traduction, tout va bien dans le meilleur des mondes»…, s’est esclaffé Hosni
Ghali, jeune promoteur lors du déjeuner débat organisé récemment par le
Centre des Jeunes Dirigeants et intitulé «Analyse de l’impact de la crise
financière sur l’économie tunisienne».

Et il est vrai que l’on ne peut pas dire que notre Bourse ait été
affectée par la crise, outre mesure, à entendre le directeur général de la
BVMT s’exprimer sur son impact sur le comportement des investisseurs en
Bourse et sur les sociétés cotées. Il faut reconnaître que les mesures
protectionnistes prises par la BCT pour réglementer tout ce qui se rapporte
à la Bourse, le nombre assez réduit des entreprises tunisiennes cotées
conjugué avec l’exigüité du marché financier tunisien et ses relations
assez limitées avec le marché financier international plaident en faveur de
la thèse de Mohamed Bechiou, directeur général de la Bourse de Tunis qui
est intervenu sur le thème : «Impact de la crise financière sur le
comportement des investisseurs en Bourse et sur les différentes sociétés
cotées».

Car on ne peut guère investir de n’importe quelle manière et n’importe
comment dans les valeurs immobilières à la Bourse de Tunis, cette qualité
d’épargne est protégée et soumise à une réglementation rigoureuse tout en
bénéficiant d’un cadre fiscal assez incitatif pour le placement et
l’introduction des sociétés en Bourse.

D’autre part, la réglementation des opérations boursières, tels la
fixation des seuils de variation des cours par la Bourse ou la suspension de
cotation en cas de manquement d’information ou autres évènements limitent la
marge de manœuvre pour les courtiers ou les intermédiaires en Bourse qui se
hasardent à entreprendre des opérations trop risquées (les seuils de
fluctuation des cours sont limités avec un maximum de 6,09%). Toutes ces
mesures et d’autres qui tendent à réguler le marché boursier tunisien l’ont
en réalité protégé des conséquences de la crise financière et même la chute
de certaines valeurs au mois d’octobre ne s’expliquait pas par des raisons
objectives mais était la conséquence de la panique de certains actionnaires
influencés par les médias.

Mais tout ne va pas bien dans le meilleur des mondes. Car la crise n’a
pas fini de faire des vagues, et en parlant de vagues, l’on s’attend à une
deuxième encore plus importante qui se prépare, assure M. Ezzeddine Saidane,
expert financier intervenant invité par le CJD, pas aussi dangereuse que
celle des subprimes mais assez grave. Cette fois-ci, le coup viendra des
cartes de crédits. «Les ménages américains n’ont jamais atteint ce niveau
d’endettement au niveau de leurs cartes de crédit, un niveau qui s’élève à
un trillion, c’est-à-dire mille milliards de dollars de dettes, ces ménages
ont commis des actes suicidaires sur le plan financier, ils ont pris de
l’argent sur leurs cartes de crédits pour honorer les échéances de leurs
prêts immobiliers». Grave erreur, explique M. Saidane, ces gens là ont
prélevé de l’argent sur des prêts à court terme pour payer des prêts à long
terme et surtout ils ont réglé des prêts dont le taux d’intérêt s’élève de 4
à 5% avec d’autres dont le taux d’intérêt est de l’ordre de 15%. 2009 ne
sera donc pas de tout repos pour le monde entier.

«Notre situation est à l’envers de ce qui se passe dans le monde»

Rassurant les jeunes dirigeants sur l’avenir de l’immobilier dans notre
pays, M. Saidane a déclaré que l’immobilier ne risquait pas de chuter parce
que, dit-il «dans le monde, il y a le problème de manque de liquidités, dans
notre pays, il n’y a pas d’investissements, nous sommes dans une situation
tout à fait à l’envers de ce qui se passe dans le monde, notre pays est en
situation de surliquidités parce que nous n’investissons pas suffisamment».
L’immobilier étant un secteur refuge où il y a beaucoup de spéculation, il
ne risque donc pas d’être touché puisque sans investissements, il
n’absorbera pas les surliquidités. L’on s’attend même à ce que les prix de
l’immobilier se tassent.

Il faudrait, par ailleurs, ne pas perdre de vue qu’une baisse des
investissements peut avoir des conséquences telles l’inertie de l’économie,
le recul de l’emploi et du pouvoir d’achat.

Sur un tout autre plan, la Tunisie, n’étant pas sortie sur le marché
financier, renvoie le projet de convertibilité totale du dinar aux calendes
grecques, explique M. Saidane qui ajoute : «On en parlera peut-être dans 4
ou 5 ans mais ça n’est plus d’actualité aujourd’hui». Le risque ? c’est de
finir par pomper toutes les réserves en devises du pays parce qu’il faut
honorer les dettes extérieures. Rappelons à ce propos, que le président de
la République dans son discours, prononcé à l’occasion du 7 novembre, a
parlé des efforts du gouvernement pour abaisser les dettes classées à moins
de 10%, à l’horizon 2011. Tout comme il a annoncé sa décision de créer un
centre de recherches et d’études financières et monétaires, sous la tutelle
de la Banque centrale de Tunisie, qui procède au suivi des développements
internationaux, à la réalisation d’études et de recherches prospectives
requises à leur sujet, à l’analyse de leur impact sur l’économie nationale
et à la présentation des suggestions qui s’imposent. S’exprimant à propos de
cette décision lors de la table ronde, M. Saidane a exprimé l’espoir de voir
ce centre géré par les plus grandes compétences du pays, «dans le secteur
financier tunisien, il existe de qualifications hors pairs», assure-t-il.

Succédant à Ezzeddine Saidane, Ndiamé Diop, représentant de la Banque
mondiale a parlé de la nécessité pour certains pays du Sud de revoir leurs
modes de gouvernance pour que les décideurs ne fassent pas n’importe quoi et
qu’ils ne gaspillent pas autant d’argent. Car au-delà de la crise déclenchée
par les subprimes dans un pays comme les Etats-Unis, et qui s’est répercutée
sur l’ensemble des pays, le principal problème à l’échelle planétaire se
situe au niveau de la gouvernance. «Nous avons besoins d’un Etat pour
réguler… le système américain a été mis à plat parce qu’il a été basé sur
une liberté totale et sur des valeurs telle la cupidité qui a mené à
déconnecter la sphère financière de la sphère économique réelle». M. Diop
appelle à réfléchir à de nouveaux fondements, à de nouveaux mécanismes et à
une nouvelle gouvernance de la planète, des entreprises, des économies et de
la finance plus particulièrement. «Le cas de Lehman Brothers, selon moi, a
été sciemment utilisé pour prouver aux opérateurs du secteur financier que
ceux qui dépassent les limites doivent être sanctionnés, sinon la logique
aurait été que certaines personnes pillent sans scrupules et se réfugient en
cas de problèmes auprès de l’Etat, il fallait que quelqu’un paye et ça été
Lehman Brothers».

Selon le représentant de la Banque mondiale, pour prévenir la propagation
d’un phénomène nocif pour l’économie mondiale, il ne faut pas se mettre à
contre-courant mais être dans la tendance en préconisant le renforcement du
contrôle. «Personne n’aurait pu convaincre les banques américaines de ne pas
accorder des prêts immobiliers sans garanties ou les institutions
financières de ne pas développer des produits sophistiqués», dit-il. D’où
l’importance de créer des organismes mondiaux de gouvernance, car dans une
économie globalisée, les risques sont également globalisés. Une
multinationale aujourd’hui a la capacité de s’implanter dans tous les pays
du monde, conséquence dans une situation de crise est que cela se répercute
sur tous les pays d’accueil. Les organismes de contrôle servent à éviter les
déviations et des institutions financières et de leurs dirigeants.

Qui a profité de la crise ? Certaines banques qui ont acheté une partie
ou la totalité de certaines institutions financières en faillite à des prix
dérisoires par rapport à leur valeur réelle répond Ezzeddine Saidane. «En
situation de crise, le cash est le meilleur allié et ce qui s’est passé est
que les banques qui avaient assez de cash en ont profité pour faire de
nouvelles acquisitions tout comme les entreprises qui disposant des moyens
de gérer des situations de crise», explique t-il.

En attendant, le dollars se voit de nouveau apprécié parce que les
investisseurs et épargnants, en cas de problème, perdent confiance et
quittent la Bourse et les sociétés d’investissement. Ils évitent les
placements hasardeux pour investir dans des fonds plus sûrs qui s’appellent
les fonds souverains.