Politique monétaire et stabilité économique

Par : Autres


Par Ghanie Ghaussy*

La mission de la politique monétaire est
de gérer la politique relative à l’argent et aux crédits dans une économie
nationale. Elle concerne notamment la régulation de la masse monétaire par
la banque centrale, son objectif primaire étant de garantir la stabilité
monétaire.

 

L’Etat influence également, de manière
directe ou indirecte –à travers la politique financière, les taux de change
et le commerce extérieur– la politique monétaire. Dans la plupart des pays
arabes, cette influence est souvent directe et considérable. L’Etat
n’influence pas uniquement les décisions de la banque centrale mais
intervient également –souvent pour des raisons de stabilité– et par le biais
de la politique financière et monétaire, dans le processus économique. Cette
intervention s’explique également par le fait qu’à l’intérieur d’une
économie nationale les différents objectifs économiques –croissance,
stabilité des prix, équilibre de la balance des paiements– ne peuvent pas
tous être réalisés en même temps mais s’opposent partiellement. Ainsi, si
une augmentation de la masse monétaire peut stimuler la croissance, elle
menace en même temps la stabilité des prix et l’équilibre de la balance des
paiements. Les économistes parlent dans ce contexte du « triangle magique »
de la politique monétaire et de stabilité.

 

La croissance économique dans les pays
arabes est soumise à de fortes variations périodiques. Entre 1975 et 1982 et
entre 1985 et 1990, ces pays ont connu des taux de croissance élevés. Par la
suite, et jusqu‘en 1995, les taux de croissance ont diminué de manière
continue. Depuis 1996, les taux se sont de nouveau stabilisés à un niveau
relativement élevé (en moyenne autour de 5,6%). Cependant, cette croissance
n’a pas profité à tous les pays arabes en raison des différences qui
existent en termes de ressources naturelles et de politique monétaire et
fiscale dans ces différents pays.

 

S’agissant de la politique monétaire, il
est intéressant d’analyser la relation entre la masse monétaire (M1) [1], la
masse quasi-monétaire (M2) [2] et le niveau des prix (ici : indice des prix
à la consommation), car elle reflète la relation étroite entre la politique
relative à la masse monétaire et le taux d’inflation. Selon les indications
de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI), les pays
arabes relativement pauvres comme l’Egypte, la Jordanie, le Liban, le Maroc,
la Syrie et le Yémen ont connu, pendant des périodes assez longues, des taux
de croissance élevés de la masse monétaire M1 et M2 mais également des taux
d’augmentation des prix relativement importants. A l’opposé, les pays
producteurs de pétrole comme le Koweït, la Libye, l’Oman et l’Arabie
saoudite ont eu des taux de croissance de leur masse monétaire M1 et M2
relativement faibles, liés à des augmentations des prix assez modérées. Ces
exemples illustrent la relation directe entre la politique monétaire et
l’inflation.

 

Les banques centrales (banques
d’émission) sont les acteurs principaux de la politique monétaire nationale.
Ces institutions peuvent donc œuvrer à la stabilité du niveau des prix dans
les pays arabes. Les instruments dont ils disposent sont multiples. Parmi
les mesures de politique monétaire classique, nous pouvons citer la
politique d’escompte ou de refinancement, la politique de réserve minimale
et la politique d’open market.

 

Ajoutons à cela, la politique relative
aux devises que l’Etat contribue à concevoir, et la politique de restriction
des crédits directs de la banque d’émission.

 

La politique d’escompte ou de
refinancement concerne la variation des taux d’escompte par lesquels les
banques commerciales peuvent, en cas de besoin, obtenir à court terme des
crédits auprès de la banque centrale. Les banques remettent à la banque
centrale des effets de commerce réescomptables (politique d’escompte) ou
hypothèquent des titres (politique du taux Lombard) pour obtenir des crédits
à court terme de la banque centrale. Par la variation des taux d’escompte ou
de Lombard la banque centrale peut influencer la demande de crédits des
banques et du secteur privé. Les conditions pour de tels crédits dans le
monde arabe diffèrent d’un pays à l’autre. Soulignons que la politique
relative à la masse monétaire par ce biais ne peut fonctionner qu’en
présence d’un marché des capitaux bien développé. A la différence des pays
industrialisés occidentaux, la plupart des pays arabes ne remplissent pas
cette condition. Par conséquent, ces mesures de politique monétaire y sont
moins efficaces.

 

La politique de réserve minimale concerne
la variation des taux de réserve des dépôts (dépôts à vue et dépôts à terme)
que les banques commerciales doivent constituer auprès de la banque
centrale. L’augmentation du taux de réserve réduit la marge de manœuvre des
banques privées alors que la réduction de ce taux, augmente la possibilité
d’accorder des crédits. Cet instrument, souvent utilisé dans les pays
industrialisés, pilote directement la masse monétaire et influence ainsi la
demande de crédits du secteur privé. Dans les pays arabes cet instrument est
peu utilisé en raison d’un manque de législation adéquate.

 

Dans le cas de la politique d’open market
la banque centrale achète ou vend directement des effets du trésor ou des
obligations ainsi que les obligations du trésor des collectivités
territoriales sur le marché et influence ainsi la masse monétaire détenue
par le secteur privé. Cette mesure de pilotage de la masse monétaire très
utilisée en Occident se limite aux pays arabes qui ont recours aux effets de
trésor et aux obligations négociés à travers le système bancaire. Elle
exige, en outre, la confiance du secteur privé dans la politique financière
de l’Etat, qui, à quelques rares exceptions près, n’existe pas dans le monde
arabe.

 

Finalement et concernant la politique
relative aux taux de change, la banque centrale n’est pas autonome mais
travaille en étroite collaboration avec l’Etat. En effet, l’achat et la
vente de devises sur le marché au comptant et le marché à terme n’a pas
seulement des effets directs sur la masse monétaire mais influence également
le cours des devises sur le marché des changes et le taux de change de la
monnaie nationale. Cette mesure est très utilisée dans pratiquement tous les
pays arabes. Cependant, nous ne disposons pas de données statistiques
précises quant au volume de ces transactions dans les différents pays.

 

Finalement, il faut encore mentionner une
mesure non-conforme au marché, à savoir la politique de crédit direct de la
banque d’émission ou de l’Etat. Dans une économie inflationniste dans
laquelle les mesures indiquées ci-dessus n’ont pas l’effet escompté, non
seulement l’Etat est amené, dans sa politique de gestion du déficit, à ne
pas épuiser les crédits qui lui ont été accordés, mais la banque centrale et
les banques étatiques et privées sont également contraintes à ne pas
dépasser un certain plafond de crédit. Cette mesure très restrictive n’est
utilisée que très rarement. Le Fond monétaire international (FMI) recommande
cette mesure uniquement lorsqu’il s’agit de lutter contre un taux
d’inflation galopant comme l’Algérie l’avait connu au cours des années 1990.

 

En ayant recours à ces différentes
mesures de politique monétaire, il faut prendre en compte le fait que leurs
effets interviennent toujours avec un certain retard (time lag). Ceci est
particulièrement vrai dans les pays arabes dans lesquels le marché monétaire
et le marché des capitaux ne sont pas encore très développés. Dans le cas
des petits pays arabes, dont les marchés dépendent fortement des marchés
internationaux (p. ex. les pays du Golfe ou le Liban), les effets de la
politique monétaire de la banque d’émission et la politique de stabilité de
l’Etat peuvent, par ailleurs, être neutralisés par des éléments externes, p.
ex. par les flux financiers à partir ou vers l’étranger. En outre, la
réussite de la politique monétaire dépend également d’autres mesures de
politique économique et notamment de la politique financière et du commerce
extérieur.

 

[1]- Masse monétaire M1 : monnaie divisionnaire, billets, dépôts à vue
(soumis à aucune échéance, moyens de paiement toujours disponibles)

2- Masse monétaire M2 : M1 plus dépôts à terme avec une échéance inférieure
ou égale à 4 ans.

 

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* Ghanie Ghaussy
est professeur émérite en économie politique. Il a enseigné dès 1979 à la
Helmut Schmidt Universität/Université de l’Armée allemande à Hambourg. Pr. Ghaussy
est un éminent expert de l’islam et un grand connaisseur de l’économie
sociale de marché.

 

Né en 1932 à Kaboul,
ville où il étudie à l’Ecole allemande, il fait son habilitation en 1964 à
l’Université de Berne et enseigne, à partir de 1965, en tant que professeur
à la faculté des sciences économiques de l’université de Kaboul. De 1966 –
1974, il assume également les fonctions de gouverneur de la Banque centrale
afghane. Après avoir passé quelques années aux Etats-Unis pour approfondir
ses recherches, il retourne en 1977 en Allemagne pour y enseigner à
l’université.

 

 

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A propos de
Konrad-Adenauer-Stiftung – Programme Régional Proche Orient/ Méditerranée

La
Konrad-Adenauer-Stiftung (KAS), une des plus éminentes fondations politiques
en Allemagne est l’héritière fidèle du premier chancelier allemand Konrad
Adenauer (1876-1967) qui a introduit l’économie sociale de marché dans
l’économie allemande d’après-guerre en étroite collaboration avec son
ministre de l’économie Ludwig Erhard et en s’inspirant de l’Ecole de
Fribourg.

 

Animée par le désir de
promouvoir et de soutenir la démocratie, la liberté et la justice, la
Konrad-Adenauer-Stiftung déploie, depuis plus de 25 ans, ses activités dans
la région du Proche et Moyen Orient et la Méditerranée. Dans le cadre de ses
activités qui visent à développer un ordre économique adéquat, la KAS se
base essentiellement sur l’économie sociale de marché, un concept qui a fait
ses preuves en Allemagne et a été adopté par de nombreux Etats européens. La
KAS voudrait partager l’expérience allemande et contribuer à une
connaissance plus approfondie de l’économie sociale de marché parmi ses
partenaires et amis dans la Région Proche Orient / Méditerranée. La
Konrad-Adenauer-Stiftung reste convaincue que les principes de l’économie
sociale de marché offrent des solutions tout à fait adaptées aux défis à
relever, aujourd’hui, par les économies arabes. 

 

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