Investissement direct étranger, panorama jusqu’en 2011

Par : Tallel
Investissement direct étranger, panorama jusqu’en 2011

Par Jacques Cossart

La présentation d’une intéressante étude portant sur
l’investissement direct étranger. Les auteurs semblent découvrir que les
propriétaires du capital décident « d’investir » pour autant que… cela
protège leur capital !

L’hebdomadaire The Economist, dont le Financial Times est actionnaire, est
né au début du 19ème siècle à Londres ; il jouit d’une grande réputation
internationale. C’est, incontestablement, un périodique qui fait autorité
dans le monde néolibéral. Il fournit souvent d’excellents matériaux d’analyse.
Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’hebdomadaire a créé Economist
Intelligence Unit (EIU) qui a pour ambition de fournir aux policy makers,
les décideurs, une analyse globale et sectorielle de l’économie à travers le
monde. On imagine que cette analyse s’inscrit dans le droit fil de la pensée
néolibérale.

Dans une étude, largement documentée, l’EIU examine l’investissement direct
étranger (IDE) dans le monde jusqu’en 2011. Cette étude, en Anglais,
s’appuie sur la documentation de la CNUCED et de la Banque mondiale,
documentation à laquelle La Lettre a souvent fait référence. On peut accéder
à cette étude à l’adresse suivante :

http://a330.g.akamai.net

La Lettre examine régulièrement l’IDE (cf. par exemple, La Lettre 6, les
pays pauvres existent-ils ?), pour, notamment, en dénoncer les nombreux
aspects pervers qui n’ont pas toujours à voir avec la notion
«d’investissement» à laquelle pourtant il est fait explicitement référence.

On ne présentera pas, ici, un rapport détaillé de ladite étude ; on se
contentera simplement d’en souligner quelques aspects. L’un des avantages
incontestables de ce travail est de rassembler, dans un même document, les
chiffres portant sur 82 pays et sur 16 années (1996-2011), la dernière
période relevant évidemment de prévisions. On regrettera cependant que les
secteurs d’investissement ne soient pas examinés ; on se serait rendu compte
que s’agissant de l’Afrique subsaharienne, par exemple, une fois retiré le
secteur pétrolier du peu existant il ne resterait pratiquement plus rien !

1) La croissance et le «climat» des affaires

Le rapport nous apprend qu’il convient d’être optimiste puisque la
croissance continuera à être «soutenue», bien que se tassant quelque peu sur
les quatre années à venir, pour être supérieure (en parité de pouvoir
d’achat [1]). Mieux encore, puisque les échanges poursuivront leur avancée,
bien supérieure à la croissance de la production des biens et services, et
devraient montrer une augmentation, en 2011, supérieure à 8% par rapport à
2010.

On a là deux des piliers sur lesquels les néolibéraux -dont on sait combien
ils sont omniprésents, y compris chez ceux qui prétendent vouloir une
certaine régulation- la croissance hors laquelle il n’y aurait point de
salut et l’augmentation sans limites des échanges.

Pourtant, vanter les mérites de la croissance sans lui assigner un contenu
précis (par exemple l’augmentation des émissions de CO2 qui accompagnent la
plupart des secteurs de la croissance) est-ce, oui ou non, discutable ? De
même, prôner la croissance en «omettant» de préciser pour qui elle doit
avoir lieu (la construction d’écoles au Burkina-Faso ou la fabrication
d’armements «performants») est-il un objectif indépassable ?

Comment peut-on, tout à la fois, s’afficher dans toutes les rencontres
internationales et prendre l’air le plus contrit qui soit à l’écoute des
nombreux rapports sur la dégradation climatique, tous parfaitement clairs
sur les responsabilités en la matière, et se réjouir de voir les échanges
croître de plus en plus vite ? Personne ne peut ignorer, une seule seconde,
le rôle du commerce mondial dans la dégradation de l’environnement et celle
des équilibres sociaux, voire vitaux, pour beaucoup des pays du Sud en
particulier. Si l’EIU se montre optimiste, c’est essentiellement parce que
les «affaires» voient le climat dans lequel elles se déroulent aller
s’améliorant sans cesse, parce que les prix ne cessent de baisser et parce
que la concurrence exerce les pressions nécessaires sur les différents
facteurs de production. On comprend que ce qui est visé ici ce n’est pas
l’augmentation des profits qui ne peut qu’être favorable au «climat»
économique mais la pression sur les rémunérations qui, comme chacun sait,
sont un coût ; la contradiction entre la recherche effrénée de croissance et
la baisse de la demande qui ne peut que suivre la baisse relative des
salaires ne semble pas perturber nos penseurs.

Mais, voyez comme ce monde est difficile ! Décrivant les tendances qui
viennent d’être résumées, on pourrait s’attendre à ce que tout aille pour le
mieux. Patatras, «les risques macroéconomiques, géopolitiques et régulateurs
vont peser sur les flux». Voilà bien où le bât blesse, l’existence de 6,5
milliards d’être humains qui, décidément, ne veulent pas se plier aux «lois»
de l’économie. Ah si, par exemple, ces nombreux pays du Sud acceptaient sans
rechigner que les termes de l’échange [2] entre eux et les pays du Nord
soient moitié, voire moins, de ce qu’ils étaient en 1980, comme les choses
seraient plus simples ! Enfin quoi, depuis quand une pomme se mettrait-elle
à refuser la loi de la gravité ? Pour aggraver ces «déviances», on observe
des tendances à la régulation qui ne serait pas laissée aux seuls marchés ;
les peuples prétendraient choisir la société dans laquelle ils comptent
vivre !

Cependant, les auteurs ont repéré six tendances, incontestables selon eux,
qui sont censées soutenir l’espoir qu’ils forment quant aux IDE :

Les fusions acquisitions vont reprendre leur cours bénéfique normal. On
mesure, en effet, ce que le changement de propriétaires (ce qu’est cette
disposition), très souvent sans aucun accroissement des biens ou services
produits, va apporter !

Malgré des tentations protectionnistes, les États-Unis continueront à
«tirer» les IDE.

Parmi les pays «émergents», la Chine restera, de très loin, «le» pays
attirant les IDE. On peut parier qu’ils viseront à réduire les centaines de
milliers de morts dus, chaque année, à la pollution atmosphérique et les
dizaines de milliers de morts dans les mines de charbon !

Fort probablement on observera un mouvement de transfert, vers les pays
émergents, des industries manufacturières à forte intensité de main-d’œuvre
mais cela ne devrait pas être aussi dramatique que ce qui est, parfois,
avancé. Nous voilà rassurés.

La délocalisation des services, qui alimente d’ailleurs les sentiments
protectionnistes, va s’accélérer, pourtant elle n’entraîne que de faibles
flux de capitaux. On ne peut pas tout avoir !

Les IDE pratiqués par des sociétés domiciliées dans les pays émergents vont
s’accélérer. Que dans plusieurs de ces pays, de 40% à 50% des revenus
nationaux soient accaparés par les 10% les plus riches de la population
pendant que les 10% les plus pauvres doivent survivre avec 1% [3], ou moins,
ne semble pas émouvoir nos auteurs.

2) L’IDE

Le rapport examine donc l’IDE, passé et à venir, sous toutes les coutures.
On observera avec intérêt les courbes du tableau 3 page 20 : on notera que
les commentaires sont conformes aux relevés statistiques puisque les
fusions/acquisitions constituent bien la part la plus importante, et de
loin, des IDE et qu’ils sont, les uns et les autres très fluctuants. On
retrouve bien là le commentaire relatif aux principales tendances : celui
qui décide «d’investir» le fait en fonction, évidemment, des profits qu’il
anticipe de son investissement, lui-même très dépendant des conditions
géopolitiques globales. D’ailleurs, les auteurs ont défini 12 critères
susceptibles d’influencer la décision d’investissement et concluent que «les
résultats du modèle suggèrent que les IDE entrants [4] sont très sensibles
au cadre politique général» [5]. Les auteurs nous précisent que le retour
sur investissement et l’environnement des affaires (deux des 12 critères
retenus) expliquent à eux seuls plus des deux tiers des variations d’IDE.

Deux remarques à ce propos. D’une part, on peut manquer de sourire quand les
observateurs s’étonnent du fait qu’un propriétaire du capital prenne ses
décisions au regard de la meilleure protection qu’il estime pour celui-ci en
même temps que son meilleur rendement. D’autre part et en corollaire, cela
signifie que sans intervention de nature publique ce sont bien ces critères
qui dominent. Les notions de biens publics et d’intérêt des peuples ne
peuvent pas passer par l’IDE, et plus largement par la régulation par les
seuls marchés.

Voilà une bien étrange découverte ! Cependant, il est toujours piquant de
pouvoir présenter des études empiriques, menées par des experts peu suspects
de parti pris, qui mettent en évidence ces lapalissades.

S’il en fallait une démonstration dramatiquement aveuglante, il suffirait de
mesurer la part d’IDE consacrée à l’Afrique subsaharienne. Elle a culminé à
2,4% du total mondial en 2003 pour une prévision de 1,1% en 2011 après avoir
représenté moins de 1% pendant le tiers de la période de référence [6].

L’indécence des discours sur le rôle salvateur que va constituer l’IDE pour
les pays les moins avancés est véritablement scandaleuse. Ces discours ne
cherchent qu’à retarder la seule décision qui pourrait être utile en la
matière, l’instauration de taxes globales (plus de 1.000 milliards de
dollars par an selon les calculs d’Attac) ; elle seule est capable de
financer les biens publics mondiaux que la situation exige de toute urgence
en même temps que réduire les inégalités qui vont croissant. On est parfois
surpris de constater le côté fleur bleue, on ne peut pas croire en effet
qu’il s’agisse de cynisme… rencontré dans bien des rapports internationaux !

A cet égard, on pourra lire l’encadré de la page 91, tout simplement
intitulé «IDE et démocratie». Réjouissons-nous, la démocratie est un
déterminant dans la décision d’investir ! Dommage que, dans l’histoire
récente et d’aujourd’hui, tous les «investisseurs» n’aient pas été avertis
de cette donnée. Si cela avait été, on ne doute pas une seconde que les
transnationales ne seraient jamais allées dans tous ces pays d’Afrique sous
dictatures, d’ailleurs maintenues par plusieurs pays du Nord ; pas davantage
ils n’auraient réalisé de juteuses affaires dans le Brésil de la dictature
ou l’Argentine des colonels et de bien d’autre pays d’Amérique latine ;
Total ne serait pas présent en Birmanie et la foule des «investisseurs»
occidentaux n’irait pas en Chine !

Si on observe le tableau 11 page 34, on aura confirmation que la nature de
l’IDE est bien de procurer, pour celui qui le réalise, le maximum de retour.
Comment expliquer autrement que sur les cinq années 2007-2011, ce sont près
de 54% de l’IDE mondial qui, selon les prévisions, se porteront dans les 10
principaux pays de l’OCDE, à l’exception notable du Japon. Ce sont aussi 9%
qui iront en Chine et Hong Kong.

S’agissant du stock d’IDE, on notera, à partir du tableau 8 page 30, que sur
les dix années 2002-2011, ce sont 70% environ des IDE qui seront détenus par
les entreprises domiciliées dans les pays développés.

Conclusion

Elle est toujours la même, sans l’intervention de peuples de la planète,
celle-ci et ces habitants poursuivront leur marche vers les désastres
pourtant largement décrits.
—————————–
Notes
[1] La parité de pouvoir d’achat (PPA) vise à s’affranchir des différences
de prix entre pays en s’appuyant sur un « panier » standard pour mesurer la
quantité, dans ce panier, pouvant être acquise avec une devise déterminée.
[2] Les termes de l’échange mesurent le pouvoir d’achat des exportations
d’un pays au regard de ses importations
[3] PNUD, 2006, Rapport mondial sur le développement humain
[4] Par exemple si un investisseur états-unien décide d’investir 100 dans
une entreprise domiciliée en France, ces 100 constitueront, pour la France,
un IDE entrant
[5] Rapport page 60
[6] Tableau 20, page 59

(Source

http://france.attac.org
)