La convertibilité totale du dinar est possible mais n’est pas nécessaire

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coïncidence, hasard du calendrier ou simple mimétisme, plusieurs
institutions et associations ont consacré, cette année, leurs traditionnels
forums annuels à une question de brûlante actualité, la convertibilité
totale du dinar.

L’Association d’amitié tuniso-française et l’Amen Bank ont choisi, la
dernière semaine du mois de mars 2007, pour débattre de cette question.

La convertibilité totale du dinar tunisien, qui implique la liberté pour
tout détenteur de dinars de les convertir en n’importe quelle devise
étrangère dans la quantité qu’il veut, où il veut et quand il veut sans être
soumis à aucune réglementation de change, est officiellement prévue pour
2009, au plus tard pour 2011.

Elle est retenue comme un objectif stratégique en Tunisie et est
consignée dans le programme présidentiel «pour la Tunisie de demain»
2004-2009.

Au quotidien, cette convertibilité est instituée de fait. Autrement dit,
la convertibilité totale est déjà une réalité pour tous les acteurs,
c’est-à-dire pour les entreprises.

Premières concernées, les entreprises, fortes de la convertibilité
courante sont libres de transférer des devises à l’étranger et d’en
rapatrier en toute liberté. Concrètement, la convertibilité courante du
dinar, en vigueur, depuis 1993, n’est ni limitée ni totale. Elle se place à
mi-chemin entre ces deux paliers. Elle constitue une étape sur la voie de la
convertibilité totale du dinar.

D’abord, parce qu’elle est courante et concerne les affaires courantes
«définies par le FMI comme les paiements qui n’ont pas pour objet les
transferts de capitaux, c’est-à-dire les transactions liées au commerce
extérieur (import-export, assistance technique, frais de voyage,
représentations commerciales).

Ensuite parce que cette convertibilité courante va au delà de simples
opérations de commerce extérieur et touchent une partie des opérations en
capital. Il s’agit notamment de la transférabilité illimitée et libre, non
pas seulement des investissements, mais du capital au titre des
investissements étrangers et de l’autorisation donnée aux opérations
tunisiens d’investir à l’étranger dans des opérations liées à leurs
activités.

Idem pour les particuliers, ils sont désormais, autorisés, depuis 2007, à
disposer, annuellement, à l’étranger de montants substantiels en devises
lors de séjours à l’étranger à des fins diverses (études, soins, tourisme,
affaires…). L’allocation touristique est fixée à elle seule à 4 mille dinars
par an et par personne.

En clair, toutes les parties concernées sont servies à la carte et ne
voient pas du tout l’urgence de passer à la convertibilité totale de la
monnaie tunisienne.

Lors d’un forum organisé, à Tunis, il y a quelques années, sur la
convertibilité du dinar, Alain Cotta, économiste universitaire (Paris
Dauphine), déclarait que la convertibilité totale du dinar est peut-être
possible mais elle n’est pas absolument nécessaire. Il ajoutait que «si une
telle décision était prise, elle serait une faute politique, économique et
financière», faisant remarquer que «les taux de croissance élevés recherchés
à travers cette convertibilité totale risquent de se traduire par
l’émergence de nouvelles inégalités et de nouvelles tensions sociales».

M. Cotta estime que la convertibilité courante convient parfaitement au
degré de développement atteint par la Tunisie dont le gouvernement doit
concentrer ses efforts sur la mise en place d’un environnement toujours plus
attractif pour les investisseurs étrangers et favoriser l’émergence d’une
bourgeoisie nationale capable d’impulser l’investissement et d’intégrer
l’économie du pays dans l’économie de marché.

Ce n’est pas du tout l’avis des bailleurs de fonds. Pour eux, la
convertibilité totale du dinar est « irréversible». Elle vient couronner les
réformes de tendance libérale engagées pour consacrer la transition à
l’économie de marché et l’intégration dans la mondialisation. Certains
bailleurs de fonds et partenaires de la Tunisie, encouragés par les
performances accomplies par le pays, y ont vu une précieuse opportunité pour
accélérer le développement de la TUnisie et réaliser des taux de croissance
plus élevés.

L’accélération du taux de croissance est ainsi vivement recommandée par
les experts de la Banque mondiale. Ils y perçoivent une condition sine qua
non pour que la Tunisie puisse, à court terme, éviter d’éventuelles tensions
sociales et faire face, dans de meilleures conditions, aux fortes pressions
qui seront exercées sur le marché de l’emploi et, à long terme, rejoindre,
en l’an 2025, le peloton des pays à revenus intermédiaires de l’OCDE tels
que la Corée du sud et le Portugal.

Ces experts ont même estimé le taux de croissance requis pour la période
2005-2025 à 8,6%.

Pour M. Jean-Michel Severino, Directeur Général de l’Agence française de
développement, la convertibilité totale du dinar est une étape logique par
rapport aux ambitions de la Tunisie d’ici l’échéance 2009. «Loin d’être le
fruit de procédés techniques, a-t-il dit, la convertibilité totale de la
monnaie tunisienne doit consacrer la bonne santé de l’économie tunisienne».

Economistes, universitaires et bailleurs de fonds sont néanmoins unanimes
pour souligner la crédibilité de la démarche avec laquelle la Tunisie pilote
ce processus de libéralisation du dinar. Le plus visible dans ce processus
de libéralisation, c’est de toute évidence la gradualité et l’étalement dans
le temps des réformes qui se distinguent en plus par leur évolution des
segments les plus faciles, les plus sécurisants vers les segments les moins
contrôlables.

Par-delà cette approche nuancée, l’enjeu consiste, désormais, en les
mécanismes à mettre en place aux fins de s’y préparer d’abord et d’en tirer
ultérieurement les meilleurs profits. Parmi les préalables cités par les
participants à ces forums, figurent un système de change souple favorisant
le flottement du dinar, l’amélioration de la productivité de l’économie
nationale, le renforcement de la base de production, une gestion
macroéconomique saine et durable, la promotion des investissements directs
étrangers (IDE), la disponibilité d’un système bancaire et financier moderne
et efficace et d’un matelas de devises pour amortir d’éventuelles crises.

Au nombre des conditions à réunir également, M. Christian Boissieu,
économiste – universitaire et président du Conseil d’analyse économique
auprès du Premier ministre français, qui a animé un déjeuner-débat organisé
sur cette question par l’Association d’amitié tuniso-française, a évoqué la
nécessité de réaliser un taux de croissance soutenu et stable, de maîtriser
l’inflation et le déficit budgétaire, facteurs dont la dégradation a
provoqué, en 1997, une crise monétaire dans les pays du sud-est asiatique.

Autres préalables développés par le conseiller du Premier ministre
français, la mise en place d’un marché financier solide. Les banques sont
appelées à réduire au maximum, d’ici à 2009, leurs créances douteuses,
actuellement de l’ordre de 20% des engagements bancaires contre 24%, il y a
deux ans.

Last but not least, la Tunisie se doit, selon M. Boissieu, de développer
au niveau national une expertise de détection précoce des signes de crise.
«Car, avec la convertibilité totale, la Tunisie sera exposée à des
attaques…, d’où l’enjeu de concevoir cette convertibilité dans le cadre
d’une architecture financière régionale (euroméditerranéité) et de
solliciter, à cette fin, des garanties de la part des institutions
financières internationales.

Il ne faut pas pour autant jubiler. Parce que, même si tous ces
préalables et autres précautions précités sont pris, le zéro risque n’est
pas toujours garanti.