Interview Stéphane Boujnah : Deutsche Bank, un manitou de la haute finance qui s’intéresse au Maghreb…

Par : Tallel
 
 

michelbouj240.jpgEn marge des Journées
de l’Entreprise, organisées à Port El Kantaoui par l’Institut arabe des chefs
d’entreprise, les 1er et 2 décembre 2006, Webmanagercenter a pu
rencontrer M. Stéphane Boujnah, Managing Director à la Deutsche Bank. Il
nous parle de ce mastodonte de la finance qui n’a pas fini de tisser une
toile autour de toutes les activités et zones de croissance à travers la
planète, y compris le Maghreb. Mais au passage, ce natif de Sfax nous livre quelques
réflexions sur les institutions bancaires du Maghreb. Lisez plutôt pour
comprendre le comment et le pourquoi.


Présentez-nous,
d’abord, la
Deutsche Bank…

Deutsche Bank est une
banque qui a une tradition de développement dans les zones et pays
émergeants de croissance extrêmement forte, notamment dans les pays du Golfe
persique où nous avons, depuis de nombreuses années, développée une très
forte présence –plus de 300 banquiers entre Dubaï, Bahreïn, Qatar, Abou
Dhabi, Riadh ; la Deutsche Bank est devenue la plus grande banque d’affaires dans
cette région.

Il se trouve qu’un
certain nombre de nos clients de cette zone s’intéressent de plus en plus à
l’Afrique du Nord en général, notamment l’Egypte, mais aussi aux
opportunités d’investissement qu’offre la transformation du paysage
économique de l’Algérie. Ces clients nous ont demandé de les accompagner…
Ceci dit, au Maroc et en Tunisie, notre présence est plus ancienne,
essentiellement dans le secteur du tourisme.

Par ailleurs, la forte
croissance que connaît l’Afrique du Nord suscite l’intérêt des corporate,
les grands groupes industriels et commerciaux du Nord de la Méditerranée,
notamment français.

Le troisième aspect,
c’est que le développement d’un certain nombre d’entreprises dans la région,
notamment en Algérie, mais pas seulement, à travers les privatisations, les
investissements…, créent des opportunités pour les banques d’affaires.


Pourtant, tout le
monde s’accorde à dire que les banques étrangères se heurtent à plusieurs
difficultés … ?

Tout à fait, il n’y a
pas mal d’obstacles, tels que les problèmes de contrôle de change et de
convertibilité… qui font que certains financements ne sont pas possibles.
Ceci étant, l’important ce ne sont pas ces obstacles qui ont vocation à se résoudre
au moment opportun, mais les fondamentaux économiques des pays de la région qui sont
actuellement extrêmement puissants.

Et comme je l’ai dit,
Deutsche Bank est un groupe motivé; j’ai la responsabilité de l’équipe qui
développe nos opérations dans le Maghreb avec deux collègues algérien et
marocain, et d’autres corps à Londres, Dubaï et ailleurs.

Mais comme j’ai
l’occasion de le dire à plusieurs reprises, c’est que la caractéristique
fondamentale de la Deutsche bank dans la région, c’est que nous sommes l’une
des plus grosses banques internationales d’affaires et de marché, et nous
ne sommes pas une banque américaine ; l’une des plus grosses banques
d’affaires et de marché européennes et nous ne sommes pas une banque
française ; nous sommes une banque avec un nom et une tradition allemands
mais nous ne sommes pas une banque allemande mais au sein de laquelle on
travaille de manière tout à fait facile et naturelle en français. C’est le
fait d’être à la fois international, européen, et pouvoir travailler en
français, voilà qui nous permet d’être –je l’espère- efficace dans la
région, en particulier dans les trois pays du centre du Maghreb, en
l’occurrence le Maroc, l’Algérie et la Tunisie.

 Comment votre présence
dans la région est-elle perçue par les autres banques… ?     

Écoutez, nous ne
sommes que des humbles voyageurs de commerce, en ce sens que nous n’avons
pas encore un flux d’affaires significatif qui pourrait représenter la
moindre concurrence ; la Deutsche Bank est au départ une aventure qu’on
espère réussie. Ensuite, nous n’avons pas vocation à faire de la banque de
détail, ce que nous voulons faire, c’est essentiellement de la banque
d’affaires et de marché sur des produits sur lesquels nous pensons avoir un
avantage concurrentiel, et éventuellement au cas par cas, nous le ferons en
coopération avec des partenaires locaux.

Dans ce cas, est-ce
que vous allez financer des projets ou des entreprises autres que celles
dans lesquelles vos
clients prendront éventuellement des participations…?

Absolument, tout est
possible ; nous sommes ouverts à toute forme de projet dès lors que des
conditions commerciales de réussite sont réunies. Bien évidemment, notre préférence va à
la restructuration de projets qui, après avoir été financés, peuvent réunir
l’intérêt ou la technique de la communauté des industriels internationaux,
puisque nous sommes d’abord une banque de marché autant qu’une banque de
financement. Nous entrons dans un
processus très déterminé d’activités présentes dans la région.

Quelles sont les zones
de développement de la Deutsche Bank ?

Les grandes zones de
développement de Deutsche Bank ce sont l’Europe –pour des raisons
historiques-, le Moyen-Orient -à cause de la forte croissance que connaît
cette région-, l’Amérique du Nord –parce que la banque a fait sa mue pour
devenir une banque de marché depuis quelques années après avoir acquis une
banque américaine.

Pourquoi tout cet
intérêt pour le Maghreb, et qu’est-ce qui manque aux banques de la région
pour devenir des véritables banques régionales voire internationales ?

D’abord, notre intérêt
est simple : nous considérons que les zones de croissance sont de mutation
et de transformation, c’est-à-dire que si vous regardez le PNB de l’Algérie
qui repose aujourd’hui, essentiellement, sur les hydrocarbures, l’évidence
c’est que dans 50 ans -peut-être moins-, le PNB algérien ne devrait pas reposer sur les
hydrocarbures seulement ; c’est en tout cas la volonté des autorités
algériennes. Cela suppose une transformation complète des activités
industrielles et commerciales, donc il va y avoir des privatisations, des
introductions en Bourse, des financements dans la structure des projets. Tout
ceci pour dire que nous voulons être là tôt, quand le marché est peu
compétitif pour nous positionner.

Au Maroc, la situation
est différente, le pays dispose des banques d’affaires et de financement
d’excellente qualité –je pense notamment à Attajariwafa Bank- qui fournissent leurs
services sur le marché local dans des bonnes conditions ; il nous arrive de
travailler avec elles parce que nous avons quelque chose que les banques locales n’ont
pas pour le moment –que d’ailleurs très peu de banques dans le monde en possèdent-,
c’est l’accès universel et global à la communauté des investisseurs sur la
planète entière, autrement dit la capacité à entrer en relation avec tous
les interlocuteurs qui sont dans des logiques de placement dans des actifs.

Pour construire une
telle plate-forme, il faut plusieurs années de banque de marché, sur une
place mondiale. C’est ce que Deutsche Bank a réussi à faire en ayant une
liste de transactions significatives. Aujourd’hui, les institutions
bancaires de la région du Maghreb ou du Moyen-Orient sont encore émergeantes
et ne financent que des projets sur des marchés encore cloisonnés.

Par ailleurs, la
raison pour laquelle nous passons beaucoup de temps en Tunisie, c’est que,
même si les transactions restent de taille modeste, les entreprises
tunisiennes ont des réflexes d’ouverture vers des opérations extérieures qui
sont très puissants, car n’importe quelle entreprise tunisienne sait que son
marché intérieur est trop petit ; et pour croître, elle pense
automatiquement soit pour aller vers le Nord de la Méditerranée, soit vers
l’Afrique subsaharienne. C’est un réflexe commercial naturel.

Mais, si ces
transactions, dans un premier temps, restent de taille modeste, il n’en
demeure pas moins qu’il y a des belles choses à faire ici. Et puis il y a des
entreprises, comme Tunisie Télécom, qui vont avoir des besoins de croissance
énormes qu’on pourra éventuellement accompagner.

Est-ce que vous avez
envisagé d’ouvrir un bureau en Tunisie ?

Non, nous n’avons
d’ailleurs de
bureau nulle part au Maghreb, mais le pays où nous allons structurer notre
travail de manière la plus efficace, ce sera probablement l’Algérie, où,
dans quelques mois, nous serons en mesure d’avancer vers une forme plus
active de notre présence. Parallèlement, nous allons développer notre
stratégie de business dans les deux autres pays (Tunisie et Maroc), en
coopération avec des partenaires locaux.

Propos recueillis
par Tallel BAHOURY

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A propos
de la Deutsche Bank


Elle est
présente dans 84 villes dans le monde (dont 3 en Afrique subsaharienne, à
savoir Cape Town, Lagos et Johannesburg) ; emploie près de 68.000 personnes. A fin
novembre 2006, sa capitalisation boursière était de 50,85 milliards d’euros.


Il faut
également savoir que la Deutsche Bank a massivement développé ses effectifs
à Riyadh en Arabie Saoudite et à Dubaï pour participer à la croissance de
ces marchés et maintenir sa position de leader dans la région.


Elle est
aussi membre fondateur du Board du Dubaï international Financial exchange (DIFX) ;
c’est également la première banque internationale avec une licence de banque
d’affaires et de marché en Arabie Saoudite.