«Donner à l’Afrique une voix et une perspective propres» : Rôle de la Banque africaine de développement

 
 

kaberuka201106.jpgJe
suis très heureux de vous accueillir à Tunis, notre agence temporaire de
relocalisation, pour cette conférence inaugurale. Au nom de la Banque
africaine de développement et en mon nom personnel, je vous remercie d’avoir
accepté notre invitation.

2. Je tiens également à remercier les gouvernements de la République de
Corée, de Norvège et du Canada, dont la générosité a permis la tenue de
cette assemblée. Mes remerciements vont aussi au Consortium pour la
recherche économique en Afrique, qui a mis à contribution son vaste
savoir-faire en matière d’organisation de réunions et colloques de cette
nature et qui nous a ouvert l’accès à son réseau d’experts, comprenant des
hommes et des femmes qui, en Afrique comme à l’extérieur, font autorité sur
les enjeux de développement de l’Afrique. Je tiens aussi à remercier
l’économiste en chef et son personnel pour la rigueur avec laquelle ils ont
organisé cette conférence.

3. Au cours des audiences de la Commission Blair, M. Trevor Manuel, notre
distingué collègue, a dit, et je cite « Tant que le lion n’aura pas parlé,
seul le point de vue du chasseur fera foi.» Voilà qui motive notre rencontre
ici aujourd’hui, une réunion d’économistes de premier plan basés en Afrique
et leurs collègues de l’extérieur qui ont la passion de l’Afrique et veulent
réfléchir sur les questions d’actualité pertinentes sous un angle africain.

4. Forts de notre capacité de rassemblement, c’est nous, la Banque africaine
de développement, qui organisons cet événement, mais c’est vous qui menez
les débats. Nous vous encourageons à prendre cet événement en main et à
faire vôtres les résultats qui en sortiront. Nous invitons le personnel de
la BAD, les représentants des centre d’études, les universitaires, les
chercheurs et les membres de centres de développement hors de l’Afrique, de
profiter de l’occasion qui leur est offerte ici pour échanger des idées et
des expériences, de renforcer la compréhension qu’ils ont des défis qui se
posent à l’Afrique et de faire entendre plus clairement la voix de
l’Afrique. Nous entendons organiser une conférence comme celle-ci chaque
année, en collaboration étroite avec la CEA. Je vous encourage à profiter de
votre séjour pour échanger des idées sur la façon dont nous pouvons nous
approprier cet événement de façon durable.

5. Depuis sa fondation en 1964, la Banque africaine de développement a
contribué considérablement à mobiliser et à déployer des ressources pour le
développement socioéconomique de l’Afrique. Elle a financé des projets et
des programmes touchant à une vaste gamme de secteurs comme l’éducation, la
santé, la gouvernance, le renforcement des capacités, l’infrastructure et
l’agriculture. Elle a progressivement renforcé ses opérations d’appui
budgétaire là où les conditions le justifiaient. Pour cette année seulement,
nous entendons engager près de 3,2 milliards de dollars, hors opérations
d’allégement de la dette, au financement du développement. Nos pays
attendent plus de nous, quantitativement et qualitativement, à la fois sur
le front du secteur public et du secteur privé. Nous ne pouvons évidemment
pas tout faire, et nous ne devrions pas tout faire. Nous nous attachons à
faire davantage, mais de façon sélective ; à cultiver l’excellence dans un
certain nombre de secteurs clés et à collaborer étroitement avec nos
partenaires, dont certains disposent de ressources plus importantes que
nous.

6. Une prospérité sans précédent s’est généralisée dans le monde en ce début
du millénaire. Le commerce et l’investissement ont connu un essor, et la
pauvreté a reculé de façon spectaculaire dans certaines grandes économies.

7. Institution de financement de développement de premier plan en Afrique,
mais somme toute modeste agence par rapport aux grands organismes donateurs
présents en Afrique, la BAD s’emploie à déterminer la meilleure façon de
canaliser les efforts des divers partenaires – ceux des organismes africains
en particulier- qui concourent à aider notre continent à participer
valablement à la prospérité qui s’installe partout dans le monde. Il
n’existe pas de solutions miracles, mais il est clair que notre action doit
consister à favoriser l’éclosion d’un climat d’investissement plus sain, de
réduire les risques et le coût de faire des affaires en Afrique et
d’investir pour éliminer les obstacles qui gênent la compétitivité de
l’Afrique, tels que l’infrastructure, les compétences, etc.

Mais il y a une autre contribution très importante que nous sommes appelés à
faire. Nos pays ont désespérément besoin, non de ressources, mais plutôt de
conseils stratégiques sur la meilleure façon de faire les choses, sur les
réformes économiques, le développement du secteur privé, la meilleure façon
de prendre en main leur destin. Ils attendent de la banque de développement
de l’Afrique qu’elle aborde les questions sous un autre angle ou, en
d’autres termes, qu’elle leur ouvre la porte du savoir. C’est un domaine où
nos pays et nos actionnaires attendent clairement de la Banque qu’elle fasse
davantage.

Ce domaine n’a pas reçu, dans le passé, l’attention qu’il méritait. Le vide
a été comblé par d’autres partenaires, mais même ces partenaires n’ont pas
été satisfaits par le mutisme de l’Afrique. C’est cela que vous et nous
aimerions changer.

8. Au cours de l’année qui vient de s’écouler, dans le cadre d’une politique
d’édification d’une institution axée sur le savoir, nous avons lancé un
programme étendu visant la mise en place de cette capacité à la Banque.

C’est à cette fin que le Conseil a approuvé la création du Bureau de
l’économiste en chef, sous l’égide duquel cette conférence est organisée,
qui doit servir de point de convergence pour produire et diffuser les
produits intellectuels devant contribuer à imprimer une marque distinctive
au développement de l’Afrique.

9. Mais nous ne prétendons pas vouloir monopoliser cette voix ni être le
seul dépositaire de ce type de capacité en Afrique. Nous voudrions que ce
soit une oeuvre commune. La Banque utilise son potentiel de rassemblement
pour ouvrir un forum où vous pourrez exploiter les connaissances et
enseignements considérables qu’elle tire de ses opérations comme de ses
analyses économiques et sectorielles pour mieux comprendre l’Afrique. Je
dois redire que la Banque ne peut, à elle seule, relever tous les défis
majeurs de développement et elle ne compte pas s’y essayer. Nous
travaillerons en complémentarité et en concertation avec les centres de
réflexion et les autres institutions d’Afrique et d’ailleurs.

La Conférence économique africaine doit demeurer une affaire commune. Nous
avons tout à gagner à établir et raffermir les interactions de recherche et
les programmes de diffusion qui se renforcent et s’améliorent d’année en
année, en amont comme en aval.

9. Les domaines à aborder sont d’une grande ampleur et couvrent un horizon
assez vaste. Ils englobent les questions macroéconomiques et
microéconomiques, la bonne gestion des ressources naturelles, le climat
d’investissement, les problèmes sectoriels, les échanges et la finance, le
développement du capital humain, le rôle de la science et de la technologie,
et le changement climatique pour ne citer que quelques-uns. C’est notre
aptitude à regrouper nos énergies, les possibilités de travailler en réseau
qui donneront à nos penseurs et praticiens du développement l’occasion de
rassembler leur capital intellectuel, permettant ainsi aux lions de «
raconter leur histoire ».

10. Depuis le Sommet du millénaire il y a six ans, l’Afrique bénéficie d’un
intérêt sans précédent. Plusieurs initiatives ont vu le jour en réponse au
programme de développement élaboré par le continent lui-même. Ce qui doit
être fait en Afrique par les Africains eux-mêmes est bien connu et le
soutien attendu des partenaires bien argumenté et expliqué. C’est la volonté
politique pour le «dernier effort» qui doit à présent être réunie. Il faut
pour cela une voix africaine plus forte, mais qui ne peut que reposer sur
une connaissance suffisante de l’Afrique, de ses économies, de sa politique,
de ses potentialités et de ses promesses.

11. Bien que ce soit la conférence inaugurale, la première tentative, je
suis très impressionné par la carrure des participants et la qualité des
documents présentés.

12. Je salue plusieurs de nos collègues non africains en provenance
d’institutions partenaires, d’universités et de centres de recherche, qui
auront à faire des présentations. Si c’est aux Africains qu’incombe en
définitive de développer l’Afrique, le défi de vaincre la pauvreté – le
véritable défi humain de ce millénaire – est une oeuvre commune. Je tiens à
vous remercier de consacrer votre temps et vos talents à travailler et
parler pour l’Afrique. Que ce soit sur le programme de Doha, les échanges
commerciaux, le réchauffement de la planète ou l’apprentissage à partir de
l’expérience de l’Asie, votre travail contribue énormément à la voix de
l’Afrique et je veux vous assurer de notre partenariat sans faille.

13. On m’a souvent demandé : Pourquoi la BAD cherche-t-elle à développer sa
propre capacité de production des connaissances sur les problèmes de
développement en Afrique ?

Après tout, il y a d’autres organismes, comme les institutions de Bretton
Woods, l’OCDE, la CNUCED, qui le font déjà si bien. Cela m’a toujours rendu
perplexe ! Mais je me suis ensuite rappelé, à partir des souvenirs de l’un
des pères fondateurs de la Banque, qu’en 1964, lorsque l’idée de créer la
Banque était explorée sérieusement, certains se demandaient pourquoi on
avait besoin d’une banque régionale pour l’Afrique, alors qu’il y avait déjà
la Banque mondiale. Dieu merci, la sagesse de ceux qui croient dans des
banques régionales de développement solides a prévalu jusqu’à présent. Les
institutions soeurs sont des partenaires clés, qui apportent une perspective
mondiale et confirment la pertinence de la Banque pour l’Afrique. Je suis
certain que plusieurs d’entre vous avez dû lire deux excellentes
publications récentes de notre institution soeur, la Banque mondiale. L’une
est consacrée aux défis de la croissance africaine, et l’autre, la « route
africaine de la soie » par le professeur Broadman. Elles font un travail
remarquable sur l’Afrique et sur les problèmes de l’Afrique et je suis
heureux de la présence des collègues de ces institutions ici aujourd’hui.
Ils ont toujours été les premiers à préconiser une perspective propre à
l’Afrique et n’ont jamais ménagé leur soutien pour nous permettre d’y
arriver. Nous sommes la banque de développement de l’Afrique, nous sommes
censés connaître, comprendre plus intimement la situation de l’Afrique.

Nous ne cherchons pas à monopoliser la pensée sur les enjeux de
développement de l’Afrique. Nous ne nourrissons pas cette prétention et ce
n’est pas ce que veut l’Afrique. Notre seul but est d’offrir aux penseurs
africains et aux praticiens du développement une occasion, une plateforme
pour donner cette perspective grâce à laquelle, avec d’autres points de vue
provenant d’autres cercles, nous aurons une meilleure compréhension, une
base solide pour la «voix».

Je voudrais, pour conclure, vous assurer de mon engagement total et de celui
de mes collèges de la Banque dans cette oeuvre. J’attends vos travaux avec
grand intérêt.