A la veille de leur congrès, les patrons tunisiens face aux nouveaux enjeux

 
 

jeundir.jpgA la
veille de leur 14ème congrès,  les patrons tunisiens ressemblent
plus à des ‘’tigres en papier’’  qu’à  de véritables chefs d’entreprise
innovants et générateurs d’activités créatrices. C’est pourquoi ils ont du
pain sur la planche pour  changer leur image et transcender la réputation
qui leur colle à la peau en tant que «chasseurs de primes et de subventions»
et non, comme il se doit, de managers créateurs de valeur ajoutée.

Après cinquante ans d’indépendance, les
industriels et commerçants tunisiens, créés, de toutes pièces, des décennies
durant, par un Etat -providence et des banques publiques peu regardantes sur
la rentabilité- viabilité des projets, sont, hélas, à la périphérie de la
performance patronale conventionnelle et bien loin des standards et normes
internationales exigées en matière de qualité de gouvernance et de
management.

Ils présentent le désavantage structurel
de ne pas créer de la valeur ajoutée, de ne rien faire pour enraciner, dans
leurs usines et locaux, la culture d’entreprise et l’esprit d’innovation.
Ils ont évolué dans le sillage d’activités de bout de chaîne peu innovantes
et peu rémunératrices : sous-traitance, transformation, assemblage, montage,
confection…  

Cinq exemples notoires illustrent le
manque de professionnalisme de certains de nos patrons locaux.

Il y a d’abord les industriels du
textile dont le secteur assure environ 50% des exportations tunisiennes. Ces
derniers se sont avérés, après plus de quarante ans d’activités, n’être que
de simples sous-traitants aux ordres de maisons mères.

Pis, ces ‘’textiliens’’ de bout de
chaîne ne parviennent pas, après un demi siècle d’indépendance, à habiller
la population locale dont plus de 45% continuent, selon le bureau d’études
suisse Gherzi, à s’habiller chez… les fripiers.

Viennent en second lieu, les industriels
transformateurs de produits agricoles de grande qualité (huile d’olive,
vins, agrumes…). Ceux-ci continuent à les exporter, non comme des produits
de terroir, précieux et chers, mais comme de vulgaires produits anonymes de
coupage. Il en est ainsi de l’huile d’olive qui fait la réputation de la
Tunisie et qui est exportée en vrac vers l’Italie. En contrepartie, l’huile
conditionnée ne représente même pas 1% du total exporté contre 45 à 65% chez
nos principaux concurrents, l’Italie et l’Espagne.

Une prise de conscience est heureusement
enclenchée pour certains produits. C’est le cas notamment des dattes dont
l’exportation commence à se faire dans les règles de traçabilité exigée par
la clientèle étrangère.

Les
commerçants, eux aussi, ont fait preuve de peu de professionnalisme.
L’exemple des faillites des distributeurs de l’électroménager BATAM et
Electrokallel et les dégâts collatéraux qu’ils ont occasionnés aux banques
(créances douteuses) est désormais tristement célèbre et se passe donc de
commentaire.

Les hôteliers aussi, bien que forts d’une expertise de plus de quarante ans,
sont aujourd’hui excessivement endettés et en partie responsables, eux aussi
des créances improductives dans lesquelles se débattent les banques. Ils ont
eu la tendance fâcheuse à brader les prix et à confondre promotion
touristique et promotion immobilière. L’hôtelier tunisien se comporte comme
s’il était un simple propriétaire d’un hôtel -immeuble à remplir et non
comme un promoteur d’un produit et d’un service touristique à vendre au
meilleur rapport qualité/prix.

Et
pour ne rien oublier, les exportateurs peu scrupuleux qui,  par mauvaise foi
et poussés par la cupidité, ont fait perdre à la Tunisie de précieux marchés
de proximité, en Algérie et en Libye. Ces exportateurs, courant comme
toujours derrière les gains rapides et faciles, ont inondé ces marchés soit
de produits non conformes aux normes soit de produits non suivis de services
après-vente. Ou pire, de produits frelatés. Ainsi, des réfrigérateurs ont été exportés sur la Libye sans être accompagnés du
moindre service après-vente ou encore ces jeans d’origine sud-est asiatique
écoulés en Algérie avec une labellisation tunisienne.  

Est-il besoin de rappeler ici que le «non- Maghreb», qui est, entre autres,
le résultat naturel de ces agissements pour le moins irresponsables, coûte,
aujourd’hui, à la Tunisie (pays maghrébin qui a le plus besoin de ce marché)
moins 2% de croissance, soit l’équivalent d’un manque à gagner de 20.000
emplois par an !

Est-ce nécessaire de rappeler, également, que la non disponibilité d’un tel
marché a condamné la Tunisie à un face à face commercial terrible et fort
onéreux avec les pays de l’Union européenne et l’a empêché de bénéficier des
gains et avantages générés par la coopération horizontale.

Cette insuffisance de l’apport des privés tunisiens est signalée,
également,  par la Banque mondiale qui se préoccupe de la faiblesse de leur
part dans le volume global de l’investissement. Aux yeux de M. Theodore
Ahler,  Directeur du département Maghreb, à la Banque mondiale, la part de
l’investissement privé dans l’enveloppe globale de l’investissement, n’a été
que de 13 et 14%. Or, si la Tunisie projette d’atteindre, durant les
prochaines années, conformément au tableau de bord de l’économie tunisienne,
le programme ‘’Pour la Tunisie de demain’’, des taux de croissance de plus de
6%, il est impératif d’augmenter la part de l’investissement privé à 20
voire 25% du total, un taux du reste en vigueur dans des pays concurrents de
la Tunisie.

Toujours à propos de «la qualité du patron tunisien», interpellé, ces
derniers jours sur cette délicate question, M. Hédi Djilani, patron des
patrons, a été amené à rappeler le parcours difficile accompli par le patron
tunisien qui demeure à ses yeux encore «jeune».

Selon lui, l’homme d’affaires local a dû
faire face à des mutations douloureuses (collectivisme, économie mixte,
libéralisme…), concéder d’importants acquis dont la garantie d’un marché
local protégé  et accepter «l’inacceptable», c’est-à-dire, l’ouverture du
marché à une concurrence étrangère sans merci. «Aujourd’hui, a-t-il dit, le
chef d’entreprise tunisien est projeté dans l’économie de marché sans aucune
protection et se doit de créer impérativement de la valeur ajoutée pour ne
pas disparaître».

«Pour l’entreprise tunisienne, l’heure est désormais, a–t–il dit, à
l’internationalisation, au professionnalisme et à l’extraterritorialité,
relevant que l’entreprise tunisienne, pour sauvegarder ses acquis internes
et assurer sa pérennité, doit impérativement s’internationaliser et se
déployer à l’extérieur».

M.
Djilani a souligné que la réalisation de la valeur ajoutée doit être
accompagnée par un consensus national (administration, banques et
représentants des travailleurs…) sur la nécessité d’accepter «la faillite et
ses corollaires socioéconomiques comme une sanction naturelle  de la valeur
réelle des entreprises et de ne plus s’entêter à maintenir en vie des
canards boiteux».

Le
patron des patrons, qui s’est déclaré confiant quant à l’avenir et à la
capacité du patron tunisien de pallier ses insuffisances, a tenu à saluer
l’apport de l’Accord d’association avec l’Union européenne qui avait été,
rappelons-le, signé par le gouvernement. Cet accord, a
t-il révélé, a eu le mérite d’avoir exercé la pression requise sur
l’entreprise tunisienne et de l’avoir amenée à prendre connaissance du
véritable degré de sa compétitivité, et partant, à prendre conscience de
l’enjeu de la valeur ajoutée et de l’innovation qui doivent demeurer des
objectifs permanents à atteindre au quotidien.

Toujours est-il que les impératifs de la concurrence supposent l’émergence
d’un nouveau profil de patron maîtrisant les règles de jeu de l’économie de
marché et de la bonne gouvernance.

Les jeunes qui vont succéder à leurs aînés et aïeuls sauront-ils relever ce
défi ?