Conseil de la Concurrence : Premières condamnations de sociétés pour pratiques illicites

 
 


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Conseil de la Concurrence a récemment rendu son premier jugement dans une
affaire ayant trait au marché parallèle. Il a condamné huit entreprises et
commerçants convaincus de concurrence déloyale.

C’est l’élément le plus important du rapport 2005 du Conseil de la
Concurrence : cet organisme relevant du ministère du Commerce et de
l’Artisanat, a récemment condamné huit entreprises et commerçants (Mme Fatma
Missaou épouse Dhiabi, Société d’Equipement de Voitures, Société
Etablissement Sahli Pièces Auto, Mokhtar Ben Mahmoud Kheireddine, Ajbouni
Bouali, Comptoir de Verre et de Pièces de Rechange, Cap Bon Vitrage et M.
Habib Dhiabi) à une amende de 5.000 dinars chacune et à cesser la
commercialisation de pare-brises importées d’Egypte et l’introduction en
Tunisie a perturbé le marché local occasionnant de lourdes pertes aux deux
sociétés plaignantes, la Société Industrielle du Verre Feuilleté (SIVEF,
groupe Abderrahmane Ben Ezzeddine) et Glasserie Miroiterie et Verrerie de
Tunisie (GLAMIVER, de Mohamed Touzani).

L’importance du jugement tient au fait qu’il est le premier dans l’épineux
dossier du marché parallèle. A telle enseigne que la décision du Conseil de la
Concurrence n’était pas attendue en Tunisie seulement, mais également à
l’étranger. «En ce qui concerne le marché parallèle, il y a en gros deux cas de
figure dans le monde, explique M.Ghazi Jeribi, président du Conseil de la
Concurrence. D’un côté, nous avons des pays développés où le marché parallèle
existe, certes, mais constitue un cas si marginal, donc sans impact majeur sur
l’économie, qu’il ne justifie pas que les organes veillant au respect de la
concurrence s’y intéressent. De l’autre, il y a les pays en développement où ce
phénomène est très important et peut représenter jusqu’à 60% voire plus de
l’activité économique, mais ne peut être traité par les conseils de la
concurrence faute de moyens». Ce qui veut dire que l’affaire dont le Conseil de
la Concurrence a eu à connaître va servir d’exemple et faire jurisprudence.

Preuve de la complexité de l’affaire, il a fallu au Conseil près de 22 mois
pour en démêler les fils et rendre son jugement, alors que la durée moyenne
d’une affaire est de huit mois.

Les deux sociétés plaignantes ont introduit leur recours en avril 2004 pour
«demander l’intervention du Conseil» contre «un groupe d’importateurs et de
distributeurs qui, sur la base d’accords et de relations commerciales les
liant, ont procédé à l’importation intensive de pare-brises d’origine
égyptienne contrefaits et portant des marques imitées de nature à tromper le
consommateur». Ces actions ont permis «aux produits concernés de conquérir
et de perturber le marché intérieur d’une manière qui a causé d’importants
dégâts à la production locale, qu’illustre le recul des volumes de vente et
son incapacité à accompagner le rythme de la demande intérieure au cours des
trois dernières années et estimé à 8%, en plus de la non utilisation de
toute sa capacité conformément aux objectifs fixés par le Programme de mise
à niveau».

L’avocat de la société Glamiver, Me Mokhtar Trifi, a ainsi fait ressortir
dans son rapport que la marchandise importée n’est soumise à aucune taxe
«puisque totalement exonérée conformément à l’accord tuniso-égyptien ratifié
le 1er mars 1999», alors que «la même marchandise importée des pays de
l’Union européenne subit une taxe douanière de 12 ,4%, et qui peut aller
jusqu’à 43% pour les produits originaires d’autres pays». Ce qui fait qu’un
pare-brise importé d’Italie était vendu 112 dinars en 2003, contre 20 dinars
seulement pour le même article venant d’Egypte. L’écart au niveau des prix
s’est creusé davantage en 2004 (175 Dt pour 15,500 Dt).

La défense de Glamiver a également affirmé que les sociétés contre
lesquelles la plainte a été introduite «se sont mises d’accord entre elles
pour entreprendre ces pratiques illégales, puisqu’elles traitent toutes avec
l’entreprise «Amen Egyptienne pour le Verre de Voiture». De même, «elles
achètent pratiquement au même prix et les prix de vente sont proches, ce que
démontre l’existence entre eux d’une politique d’importation concertée, mise
en ouvre à des périodes différentes et alternativement par chacun». A quoi
s’ajoute «l’existence de relations familiales les liant et d’intérêts
commerciaux communs, surtout que les trois entreprises Sahli appartiennent à
la même famille et leurs documents ont été présentés par M. Nabil Sahli, que
«Cap Bon Vitrage» et l’Entreprise Sadok Fkih ont les mêmes associés, et que
Habib Dhiabi est le mari de Fatma Missaoui».

Me Tahar Bouaziz, avocat de Mme Fatma Missaoui, a, de son côté, fait valoir
que le plaignant n’a pas administré la preuve que sa cliente a fait quelque
chose qui puisse être assimilé à «un accord licite ou illicite avec les
autres importateurs» puisqu’elle «ne s’est pas abstenue d’approvisionner un
distributeur et n’a pas imposé une hausse des prix en vue d’obliger un
fournisseur donné à cesser de satisfaire la demande d’un client».

D’un autre côté, Me Tahar Bouaziz estime que le dossier ne contient rien qui
prouve que Mme Fatma Missaoui a fait preuve d’abus de position dominante sur
le marché. Sur la base de quoi l’avocat, qui a rappelé que les affaires de
concurrence déloyale dont les effets se limitent à une ou quelques sociétés
sans impact sur les mécanismes du marché sont du ressort des tribunaux
ordinaires, a demandé au Conseil de la Concurrence de se déclarer
incompétent dans cette affaire.

Confronté, durant l’enquête, à une facture prouvant la vente d’un pare-brise
portant la marque contrefaite de «Mercedès» aux côtés de celle du producteur
égyptien «Amen Verre», au prix de 150 dinars -alors que le vrai prix est de
447 dt, M. Fayçal Sahli «a refusé de répondre et s’est contenté de déclarer
qu’il ne vend pas de marchandise contrefaite».

MM. Mohamed Salah Mezoual et Sadok Fekih, respectivement gérants de la
société Cap Bon Vitrage à Hammamet et à Nabeul, ont affirmé s’approvisionner
principalement auprès des entreprises Sahli à Tunis. Priés d’expliquer le
fait que l’une des transactions ne soit documenté que par un simple reçu,
les deux gérants ont affirmé que le responsable des ventes et l’employé
chargé de l’informatique étaient absents au moment de la réalisation de
l’opération. M. Sadok Fekih a également admis avoir acheté des pare-brises à
des marchands ambulants, donc toujours sans facture.

De son côté, le délégué du gouvernement a, dans sa réponse au rapport de fin
d’enquête, estimé que «les pratiques soulevées dans la plainte, que ce soit
celle concernant la non soumission de la marchandise importée au contrôle
technique, la contrefaçon d’une marque ou le fait de tromper le
consommateur, relèvent toutes de lois spécifiques non concernées par
l’application de la loi de la concurrence et ne relevant pas des
prérogatives du Conseil de la Concurrence».

De même, le délégué du gouvernement a estimé que «l’intention d’entraver les
mécanismes de la concurrence n’existe pas, en raison de l’absence de
situation dominante du marché des pare-brises par les sociétés concernées et
d’un accord sur l’importation de cette marchandise d’Egypte». Aussi, le
représentant du gouvernement a-t-il demandé le rejet de la plainte pour non
compétence. Une demande que le Conseil a rejetée.