La différenciation des travailleurs, un préalable pour faire réussir son entreprise

Par : Tallel
 

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Une lecture du
livre de J. Welch

Par Omar
ABDENNEBI et Chiha GAHA

 

entrprise_130206.jpgJack Welch est un nom qui fait
autorité dans le domaine de la gestion. Pour beaucoup d’experts, l’ancien
patron de General Electric (GE) est un véritable gourou, un omniscient, un
génie. Elu durant quatre années de suite, de 1998 à 2001, par le Financial
Times comme le chef d’entreprise le plus respecté du monde, Jack Welch est
plus qu’un gestionnaire talentueux, c’est un manager gagneur. A la tête
d’une entreprise de plus de 300.000 salariés, Welch a fait de son GE la plus
puissante des entreprises. Lorsqu’il a pris les rênes du pouvoir, GE était
la 11ème entreprise américaine ; à sa retraite, en 2001, elle était devenue
num&eacu te;ro 1, avec une capitalisation boursière de près de 400 milliards
de dollars !

Quand on lui demande les secrets de son succès, les clés de sa réussite, il
répond qu’un PDG doit être omniprésent dans son organisation, bien la
connaître pour mieux définir et décider de sa stratégie. Pour Welch,
connaître l’entreprise, c’est connaître les activités qui marchent et celles
qui fonctionnent mal, c’est suivre l’apport de ses cadres et de ses salariés
; bref, être informé sur ce qui se fait dans son entreprise…

Pour mieux expliciter ses «secrets», Welch a écrit plusieurs articles et
livres qui semblent aujourd’hui devenir des références en matière de gestion
et sont de véritables best-sellers. Traduits en plusieurs langues, les
écrits de l’ancien patron de GE sont devenus une source d’inspiration pour
plusieurs gestionnaires en quête de performance. Le dernier ouvrage en date
a été publié en 2005 avec sa nouvelle femme Suzy : «Mes conseils pour
réussir».

Dans ce livre, de quelque 350 pages (vendu actuellement dans les librairies
spécialisées au prix de 58 DT), l’auteur investit plusieurs questions
relatives à la gestion des entreprises. Nous y trouvons des réflexions sur :
comment mobiliser tous les cerveaux, entreprendre un changement, faire des
fusions et des acquisitions, entamer un «six sigma» ou encore, comment gérer
sa carrière et concilier vie professionnelle et vie privée ?… Dans un style
simple, facile à lire et parfois anecdotique, Welch énonce ses idées et
rappelle ce qu’il a fait lui-même à GE.

Au-delà de toutes les questions analysées, les deux points essentiels que
nous pouvons dégager de ce livre sont ceux afférents à la gestion des
ressources humaines (GRH). Pour Welch, ce sont ces ressources qui font la
différence entre les entreprises qui réussissent et celles qui échouent. Et
en définitive, c’est la manière de favoriser le développement des
qualifications et des compétences du personnel qui détermine les résultats
financiers. La différenciation entre les travailleurs et la mobilisation de
l’intelligence de chacun sont essentielles.

Différencier entre les travailleurs

La différenciation constitue une idée maîtresse de l’ouvrage. Selon Welch,
les travailleurs ne sont pas d’un même niveau de compétence et leur apport
pour la marche de l’entreprise n’est pas de même nature ni de même
importance. Et parce que leur contribution n’est pas d’importance égale,
Welch préconise une différenciation nette quant à leur rétribution et autres
avantages accordés. Cette différenciation en termes de traitement, mais
aussi d’égards et de formation entre les travailleurs permet de discriminer
clairement entre ceux qui travaillent et ceux qui flânent, entre les
performants et ceux qu’il qualifie de «mé ;diocres».

Mis en place «avec succès», dit-il à la GE, son système de différenciation
divise les salariés en trois catégories: les 20%, 70% et 10%. Les 20%
du personnel sont considérés comme faisant partie d’une catégorie
«supérieure» parce qu ‘ils sont les plus performants de l’entreprise. Et
parce qu’ils sont les meilleurs, ils ont droit à tous les égards et à des
salaires volontairement supérieurs. «Les 20% supérieurs, écrit-il, sont
inondés d’avantages, de stock-options, de louanges, d’amour, de formation et
de toute une panoplie de récompenses qui s’adressent tant à leur
porte-monnaie qu’à leur âme (…) Ce sont les meilleurs et on les traite comme
tels».

Quant aux travailleurs les moins productifs et les moins impliqués et qui
représentent environ 10% du personnel, ces derniers «devront partir». Et
même s’il est souvent difficile de mettre un employé à la porte, il est
toujours préférable pour l’entreprise comme pour le travailleur lui-même de
se séparer. Il ne faut pas sauver les médiocres, ni les laisser moisir dans
une entreprise où ils ne trouvent pas leur place. Et Welch d’ajouter
d’ailleurs, «personne n’a envie de travailler pour une entreprise dans
laquelle on ne veut pas de lui». En outre, dans ces 10% du bas, il y a
certainement des personnes qui vont faire «une carrière couronnée de succès
dans une autre entrepri se et à des postes où elles sont vraiment à leur
place et où elle peuvent donner toute leur mesure». Pour Welch, il est
indispensable de pousser à la sortie ces 10% et ne jamais les laisser dans
l’entreprise, car, soutient-il «protéger un médiocre se retournera contre
vous
».

Quant à la catégorie intermédiaire, les 70% du personnel, qui constituent de
par leur nombre la majorité du personnel, Welch la considère très précieuse
et c’est grâce à elle que l’entreprise peut fonctionner. Tel est «le défi et
les dangers les plus importants : entretenir l’engagement et la motivation
des 70% du milieu». Leur gestion serait principalement une affaire de
formation, de feed-back positif et de définition intelligente des
objectifs». Ainsi, un individu ayant un haut potentiel et impliqué dans son
travail serait immédiatement pris en charge, formé et encouragé pour faire
partie des 10%. Pour cette catégorie, le suivi, la motivation et
l’encadrement permettront à l’entreprise d’y puiser ses futurs cadres
supérieurs, son élite directionnelle.

Tel est le système 20-70-10 de Welch. Une classification des travailleurs
permettant de les sanctionner selon leur apport, d’attirer et d’avantager
les meilleurs et de pousser à la sortie les médiocres.

Cependant, cette différenciation ne peut avoir l’effet voulu que si elle est
soutenue par un système d’évaluation du personnel bien fait. Pour éviter les
iniquités, Welch insiste sur l’importance de la mise en place de règles et
de critères d’appréciation du personnel clairs. «Un système d’évaluation
honnête et précis qui définit clairement les objectifs et les temps impartis
ainsi que par une grille d’appréciation cohérente». Dans un système
d’évaluation performant, un bon élément doit se sentir choyé par la
direction, récompensé selon sa juste valeur et sa juste contribution. Et
Jack Welch de conseiller tous les patrons de ne plus allouer des salaires et
des primes standards qui mettent tout le monde sur un même pied d’égalité.
Un tel système n’a pour résultat que de démotiver les meilleurs et de
confirmer les médiocres dans leur paresse. Ainsi, en différenciant, on
motive et on pousse les travailleurs à se prendre en charge et à chercher à
faire toujours mieux… Mais, si cette différenciation n’est pas transparente
ou simplement «dénaturée par le copinage et le favoritisme», tout le système
serait faussé et «l’équipe de direction (manquant) d’intelligence ou
d’honnêteté, ou les deux à la fois».

Enfin, pour l’ancien patron de GE, une telle politique de différenciation
n’est pas un modèle de gestion des ressources humaines et de motivation
spécifiques aux Etats-Unis d’Amériques ou à quelques pays occidentaux. Lors
de sa mise en exécution, plusieurs dirigeants de GE dans le monde, au Japon,
en Chine, au Danemark, en Europe et ailleurs, se sont interdits sa mise en
application prétextant des raisons culturelles, historiques ou sociétales…
Pour Welch, «tous ces discours sur les différences culturelles ne sont que
des excuses boiteuses», car, ajoute-t-il «très vite, nous avons décidé de
favoriser la différenciation partout où nous étions présents, quels que
soient les problèmes culturels auxquels nous avions affaire. Puis, s’est
produit un phénomène incroyable. Nous n’avons rencontré aucun problème
culturel».

Mobiliser tous les cerveaux

Au-delà de cette idée essentielle de différenciation, Welch a développé
plusieurs autres idées en rapport avec les ressources humaines et les
politiques à suivre pour mieux les conduire et motiver. Pour l’auteur, le
«work out» consiste à organiser des réunions entre les salariés «pour
discuter des pratiques les mieux adaptées et (…) leur mise en œuvre»
.
C’est une démarche à suivre et à généraliser sur les lieux du travail et où
chacun a un plein droit à la parole pour dire et critiquer et le poste qu’il
occupe et la structure dans laque lle il évolue. Tout travailleur, dit-il,
est le premier responsable de son travail. Il faut oublier le cliché
affirmant à tort que le «patron sait tout» et ériger en lieu et place une
véritable tribune de parole et d’expression pour tous. Face aux crises et
changements continus, la seule façon d’avancer et de faire face aux
imprévus, c’est de mettre en confiance ses travailleurs et de favoriser
l’échange et la liberté de la parole.

Welch rapporte les paroles d’un de ses salariés qui, un jour, l’a interpellé
en disant : «depuis vingt-cinq ans, vous me payez pour disposer de
l’utilisation de mes mains, alors que vous auriez pu aussi avoir
l’utilisation de mon cerveau».
Pour permettre la mobilisation de
l’intelligence et l’imagination de chacun, et pour «briser la glace et
délier les langues», Welch préconise la mise en œuvre et la généralisation
de ces «work out». La gestion est un long travail de communication et de
partage, répétait-il. Et toute organisation, aussi puissante soit-elle, ne
peut se pérenniser et croître qu’en recourant à la mobilisation de tous ses
cerveaux.

Pour Jack Welch, la GRH joue un rôle central et de première importance.
Gérer le personnel, dans une grande entreprise comme la GE, est certes
essentielle, cependant, une Direction de RH performante est plus que
nécessaire pour des organisations de plus petite taille et de moindre
importance ; elle est, soutient-il, vitale. Une direction des ressources
humaines performante doit être à la fois à l’écoute de son personnel, un
soutien pour les salariés durant les crises, un levier de développement et
de reconversion si c’est nécessaire mais aussi elle doit savoir «taper sur
les doigts» de ceux qui s’avisent de s’écarter du droit chemin…

En conclusion, le livre de l’ancien patron de GE est un ensemble de conseils
pratiques, des «clés pour réussir» sa gestion et mieux conduire ses
travailleurs. Ecrit dans un style direct et empreint d’une franchise
certaine, ‘’Mes conseils pour réussir’’ se laisse facilement lire et apporte
aux lecteurs, praticiens et académiciens, une vision pertinente de la
gestion des ressources humaines. Une vision, certainement différente.

* Master GRH – ISG Tunis
** Professeur – ISG Tunis