Est-ce la faillite programmée des agences de voyages tunisiennes ?

Par : Autres

Agences de voyages – Billetterie
Est-ce la faillite programmée des agences de voyages tunisiennes ?

 

une_12052005.jpgCertaines
compagnies aériennes européennes opérant en Tunisie ont pris une décision
unilatérale de réduire la commission payée sur la vente des billets par les
agences de voyage. Cette commission de 9% passerait, à partir du 1er de
juillet prochain à 7%. La Fédération tunisienne des agences de voyage est
plus que jamais déterminée avec le soutien de sa base à aller jusqu’au bout pour défendre ses intérêts.

Faisons d’abord l’état des lieux : la Tunisie compte actuellement environ
170 agences de voyages membres de IATA (International Air Transport
Association), et presque autant qui ne sont pas reconnues par cette
association. Le secteur emploie directement près de 5.000 personnes (et 3
fois plus d’emplois indirects), avec un chiffre d’affaires généré se situant
autour de 165 MDT (en 2004). L’agence de voyages distributeur de billets n’a
pas de statut juridique en Tunisie. C’est peut-être là une des clés du
problème actuel, et sans doute pour le futur.

Rappelons que les relations commerciales entre compagnies aériennes et
agents de voyages ont connu une stabilité, presque parfaite, durant près de
60 ans. Ces relations étaient régies par le «Programme IATA des Agences» (ou
IATA Agency) Programme qui, lui-même, est fondé sur :

– Un contrat (Résolutions 824)
– Un taux de commission (Résolution 016a, abrogée à partir de la conférence
de Montréal de 1999).

Dans le même ordre d’idées, il est à noter que «l’ancien régime» du
commissionnement de base à 9% remonte au début des années 80, resté inchangé
durant près de 15 ans.

Quand les technologies se substituent à l’agent de voyages traditionnel !

Ce feuilleton qui secoue aujourd’hui la profession des agents de voyages
tunisiens n’est pas le fruit du hasard, au contraire. En effet, l’historique
de la suppression de la commission aux USA et en Europe a débuté dès 1995,
les Américains ont amorcé une modulation de ce régime qui a permis aux
transporteurs aériens américains de plafonner les commissions des agents
américains à 50 dollars sur les vols domestiques (dont Delta Airlines et
l’initiateur). En novembre 1998, ce fut l’introduction d’un plafond de 100
dollars sur la vente de transport aérien international. Réduites à seulement
5% en octobre 1999 jusqu’à fin 2001, les commissions de base verront le coup
de grâce au début 2002 avec leur disparition pure et simple (commission
zéro).

Le marché européen va suivre le processus : les commissions passeront de 9 à
7% entre 1997 et 1999. Là également, 2001 va sonner le glas des commissions
de base payées aux agences de voyages ; la SAS ouvre le bal en Scandinavie à
partir de janvier 2003. Elle sera vite suivie par l’Irlande (1% de
commissions en janvier 2003), Royaume-Uni (1% à partir de décembre 2003),
l’Italie (1% en mars 2004), l’Espagne (2%, puis 1,5% et 1% effectif à partir
du 1er juillet prochain). En Allemagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en
France il n’y a plus de commissions de base depuis, respectivement, octobre
2004, et janvier dernier pour les autres.

Si quelques marchés secondaires conservent encore un taux de commissions
fragile, dans la majorité des marchés européens l’agent de voyages est
désormais rémunéré quasi exclusivement par ses clients, à travers
l’encaissement de frais de services (Service Fee).

Revenons un peu en arrière pour dire que la crise a été consommée lorsque la
conférence de Miami (juin 2002) s’est soldée par un échec suite au refus des
grandes compagnies aériennes de considérer l’agent de voyages comme canal de
distribution privilégié.

Ceci étant, il y a quelque chose de paradoxal dans cette affaire, puisque
l’agent de voyages assure encore aujourd’hui entre 70 et 80% des ventes de
billets des compagnies aériennes. D’ailleurs, dans une note d’information
confidentielle, datée du 31 mars dernier, on peut lire :

«Résultats ventes Air France : satisfaction d’Air France quant aux résultats
enregistrés sur le marché tunisien, consolidés par la contribution du
circuit agréé tunisien…, avec un taux de croissance des ventes qui a atteint
+15%». Plus loin, concernant sa politique de commissionnement, «Air France
estime que la réduction du taux de rémunération des agences est
incontournable», à cause des coûts engendrés par le poste «carburant» avec
un baril à 57 dollars US, et la mondialisation qui appelle à un nouveau
modèle économique en matière de rémunération des agences.

Toutefois, la raison profonde s’expliquerait par deux faits essentiels :

– les compagnies aériennes considèrent que le canal traditionnel ou
classique est devenu un lourd fardeau financier, donc une cible indiquée
pour la réduction des coût (on estime à 2,5 milliards de dollars d’économies
par an ; en Europe elles seraient de l’ordre de 1 milliards d’euros) ;
– l’existence d’un canal de substitution : les nouvelles technologies de
distribution, Internet (ou agences virtuelles), OPODO (Air France, Air
Lingus, Alitalia, Austrian Airways, British Airways, Lufthansa, etc.).

Des dommages
collatéraux incalculables

Mais est-il possible d’établir une comparaison entre les marchés américain,
européen et tunisien ? Autant les potentialités, les structures, la
concurrence, la pénétration des ventes par Internet et les produits sont
grands et illimités en Europe, autant ils demeurent limités en Tunisie.

Pourtant, les conséquences du décommissionnement sont lourdes aux Etats-Unis
(disparition de 50% des points de ventes avec 5.000 emplois perdus) et en
Europe (les prévisions tablent sur la disparition de 15 à 25% d’agences de
voyages, et les recettes des ventes du circuit ont chuté de plus de 30% dans
certains pays).

Que dire alors pour la Tunisie ? Les «dommages» directs et collatéraux
risquent d’affecter durement le secteur, miné qu’il est déjà par un régime
fiscal astreignant, l’indigence du produit (le dossier Inclusive Tour est en
veilleuse), et un système d’administration des agences déclaré hors la loi
mais maintenu et durci sur des marchés sous-développés. Dans ce cas, c’est
l’emploi qui risque d’en pâtir le plus, et l’éclatement du régime de
rémunération devrait entraîné la disparition de 20% des agences de voyages, dans
une première étape, et dans une seconde, les prévisions tablent sur 30 à
40%.

Que faire ?

La situation semble grave et délicate, puisque les compagnies aériennes
européennes semblent vouloir utiliser le principe divisé pour mieux régner.
A ce sujet, les compagnies en question auraient proposé une réunion
d’urgence des 40 premières agences de voyages tunisiennes, pour le vendredi
13 mai.

En attendant, les agents de voyages pris dans un mouvement de début de
panique, et compte tenu de la position de la direction de la FTAV –qui est
prise entre le marteau et l’enclume : ne pas décevoir ses adhérents, d’une
part, et ne pas mécontenter leurs clients européens.

Mais ce n’est pas tout, puisqu’ils envisagent, également, d’en référer aux
autorités «afin de sauver les emplois du secteur», considérant que la survie
de plusieurs milliers d’emplois en dépend.

L’avenir de tout un secteur semble être en jeu. Mais il y a une crainte,
puisque depuis la nuit des temps, la raison du plus fort a toujours –ou
presque- triomphé. Dans le cas actuel, on a vu que lorsque les Américains
ont imposé la commission zéro, les Européens ont suivi une année après, qui,
à leur tour, veulent l’imposer en Tunisie.

 


Tallel Bahoury

 

  
12 – 05 – 2005 ::
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