Fiabilité de l’information financière : qui est coupable ? Qui doit l’être ?

Par : Autres

Fiabilité de l’information
financière : qui est coupable ? Qui doit l’être ?

Entretien conduit
Par
Khaled Boumiza

 

A double titre les experts comptables sont actuellement sur la brèche.
D’abord devant la justice. Ensuite au niveau réglementaire où se prépare un
projet de loi sur la sécurité financière. Ce dernier, se fabrique encore
dans les coulisses du ministère des finances. Le séminaire international,
organisé dernièrement par leur Ordre sur le même thème de la sécurité
financière, vient donc à point.
A l’occasion de ce séminaire qui a ciblé les expériences étrangères, nous
avons rencontré M. Ahmed Belaïfa, président de l’Ordre des Experts Comptables.
Interview !

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Ce séminaire intervient dans une conjoncture
particulière, pour les experts comptables ; des actions en justice contre
certains experts et la préparation d’une loi sur la sécurité financière.
Est-ce qu’il a été préparé avant ou après les derniers remous sur la scène
comptable ?


Je ne suis pas d’accord sur l’analyse que vous sous-entendez,
lorsque vous évoquez une conjoncture particulière. De toutes les manières,
ce ne peut être qu’un séminaire décidé depuis longtemps et longuement
préparé, dans le contexte de la conjoncture nationale qui a eu à souffrir
de la conjoncture internationale, ainsi que dans le contexte de l’orientation
politique de haut niveau pour améliorer le dispositif existant et garantissant
la sécurité financière.

Quel peut être le rôle de l’expert comptable dans
la fiabilité de l’information financière ? Quel peut être aussi sa
responsabilité, au vu de certains articles de loi, comme l’article 271 du
code des sociétés commerciales ?


Il faut tout d’abord définir la mission de l’expert comptable. Celles-ci
sont des missions d’assistance et de conseil, d’analyse et d’interprétation
en utilisant les techniques comptables. Il a aussi la mission de commissaire
au compte. Dans la première catégorie, il joue un rôle très actif dans le
processus de la production de l’information financière et dans son
interprétation. Mais il le fait, bien qu’il n’existe là aucune
réglementation qui balise ce travail, dans un contexte contractuel.

Au contraire, pour le second volet de sa mission, l’expert comptable agit
dans un cadre très réglementé. Il agit dans un cadre très bien réglementé et
exécute une mission légale qui lui est dévolu par le code des sociétés
commerciales. Il a des objectifs précis et obligé de s’y tenir. Ces
objectifs, sont l’émission d’une opinion sur les états financiers et leur
fiabilité. Cette opinion peut être de certification ou de certification avec
des réserves ou encore de rejet des comptes.
 

L’article 271 impose pourtant à l’expert, d’avertir
le procureur de la République de tout fait délictueux dont il a eu
connaissance, au cours de l’exercice de ses missions.


Effectivement. C’est aussi un article, sur le plan pénal, qui met
aussi une très lourde responsabilité sur les épaules des commissaires aux
comptes. Dans la mesure où l’expert comptable contribue sciemment à la
divulgation de fausses informations, il est normal qu’il soit pénalement
responsable. Mais seulement s’il le fait sciemment, convaincu de
participation avec préméditation à la divulgation de fausses informations
financières sur la situation de l’entreprise !
 

Là, c’est votre interprétation dudit article !


L’article dit bien « sciemment » et l’interprétation ne peut être
faite que dans le sens strict du terme. L’expert comptable a donc cette
responsabilité très lourde de veiller à ne pas être partie prenante dans une
procédure de communication frauduleuse.
 

Dans les deux affaires qui ont secoué la place, à
savoir Batam et Sicav BH, est-ce que vous estimez que la responsabilité de
l’expert comptable est directement engagée, ou qu’elle est plus lourde que
ce qu’elle ne doit ?


Je ne voudrais actuellement pas parler de ce sujet. J’estime que
pour garantir la sérénité nécessaire au déroulement de la justice, il va
falloir respecter le devoir de réserve.

Et du point de vue strictement professionnel ?

S’il y a faute, il y a peine. Si l’expert a pris une part active dans la
dissimilation de la situation financière réelle de l’entreprise, il doit y
assumer sa responsabilité. Si encore, il a eu connaissance de faits
délictueux et qu’il n’en a pas fait rapport au Procureur de la République,
il doit aussi en supporter les conséquences. Là où il y a un problème, c’est
dans l’appréciation des faits. Il y a parfois des faits qui ne peuvent pas
être interprétés, par l’expert comptable, comme étant des faits délictueux
et qui peuvent l’être en tant que tels par les juges.

 

Il y a aussi l’élément découverte de ces faits délictueux et il se trouve
aussi que l’expert comptable n’en découvre pas. L’objectif de son travail
n’est en effet pas la découverte de ces faits frauduleux, mais d’attester la
sincérité et la régularité des comptes. Et s’il n’en détecte pas, il ne peut
donc pas en référer au Procureur de la République.
 

On sait qu’un projet de loi sur la sécurité
financière se prépare actuellement. Dans quelle direction aimeriez-vous que
ce texte aille ou dans quelle démarche aimeriez-vous que l’élaboration de
cette loi en projet se fasse ?


Je souhaiterais que le dispositif réglementaire s’améliore, en
faisant d’abord un benchmarking avec tout ce qui a été fait à l’étranger et
qu’il capitalise ensuite toute notre expérience, qui reste encore, à notre
sens, avant-gardiste. Il ne faut pas oublier que nous avons été les
premiers, depuis 1988, à introduire un contrôle, indépendant de la
profession, de la profession de commissaire aux comptes. Les américains ne
l’ont fait qu’en 2000.

 

Je crois donc que nous sommes en droit d’attendre qu’on capitalise notre
expérience, qu’on en tienne compte et qu’on fasse en sorte que cette réforme
ne vise pas uniquement l’institution de commissariat aux comptes, mais
balaie plus large en s’étendant aux obligations des dirigeants et des
conseils d’administrations, à la mise en place peut-être de comités d’audit,
à l’image de ce qui existe dans les sociétés internationales.

Il n’y a pas, en plus, que la loi qu’il faut mettre en place. D’autres
dispositifs seraient tout aussi nécessaires comme les normes
professionnelles, de standards et d’actions de nature à améliorer la
sécurité financière.
 

Une des solutions proposées, et évoquées par le
secrétaire d’Etat à la fiscalité, c’est la rotation. Est-ce que cela peut, selon
vous, mettre fin au dilemme de l’expert payé par l’entreprise à qui il doit
dire ses quatre vérités ?


Le plus important est en effet le problème d’indépendance. Il
faut qu’on puisse assurer le maximum d’indépendance à l’expert aux comptes.
Il est vrai que dans les faits, le commissaire aux comptes est choisi par
les dirigeants, même si dans les textes c’est l’AG qui les choisit. Il est
aussi rémunéré par l’entreprise qu’il contrôle et c’est à ses dirigeants
qu’il présente sa facture. Là aussi se pose le problème d’indépendance. Le
problème à résoudre est donc au niveau de la consolidation du dispositif
devant garantir cette indépendance, mais aussi de la relation du commissaire
avec les différentes parties prenantes de l’entreprise.

 

Depuis longtemps, les Américains ont choisit de déléguer le choix du
commissaire aux comptes, au comité d’audit, lui-même indépendant du conseil
d’administration. C’est ce comité qui choisit le commissaire aux comptes,
l’aide dans ses travaux, reçoivent ses rapports et c’est avec lui que se
discute le salaire du commissaire aux comptes. La rotation a été proposée
dans plusieurs pays. Le seul qui l’applique, c’est l’Italie, et pas en toute
réussite il faut le dire !

Pourquoi ne peut-elle pas aider à résoudre la
problématique de l’indépendance ?

La rotation, il faut que je sois claire la dessus, ne peut pas régler le
problème. Elle atténue d’abord la qualité et la performance de l’audit, en
inhibant la valeur ajoutée de la capitalisation des connaissances. Cela
influe aussi sur la qualité de l’information de l’entreprise. Dans un modèle
de rotation, qui implique aussi les dirigeants, qui garderait la mémoire de
l’entreprise ? La rotation et le changement de commissaires aux comptes peuvent
aussi influer sur l’efficience et l’efficacité de la mission où l’élément
coût est tout aussi important.
 

Qu’est-ce qui peut aider à résoudre ce dilemme
et assurer l’impartialité du commissaire aux comptes ?


Tout d’abord un règlement strict du comportement des dirigeants
de l’entreprise qui doivent souscrire à un code d’éthique, écrit, où ils
s’engagent à respecter un certain nombre de valeurs. Il faut aussi clarifier
et améliorer la relation commissaire aux compte-dirigeant, par la mise en
place d’un comité d’audit ou son équivalent, mais qui garantisse
l’indépendance du commissaire par rapport, surtout, au dirigeant et qui ne
doit être ni désigné, ni supervisé ou complaisant avec le dirigeant.
 

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé à vous en tant qu’expert comptable, de
refuser des comptes ?

Oui !

Est-ce qu’il vous est déjà arrivé de signer des
comptes pour lesquels vous aviez des réserves ?

Jamais ! J’ai parfois des difficultés avec certains clients, mais on m’a
toujours laissé faire mon travail !

Est-ce qu’il est déjà arrivé, dans votre
profession, qu’on certifie des comptes qui ne devaient pas l’être ?


Non. Dans notre Ordre, nous avons un certain nombre de
mécanismes, tels que la commission de contrôle et la commission de
discipline et ces deux structures n’ont pas eu à traiter pareils dossiers !
Elles n’en fonctionnent pas moins pour d’autres affaires en cours et n’en ont
pas moins pris position sur d’autres.
 

 

(c)
Webmanagercenter – Management & Nouvelles Technologies – 03 /
02 / 2004 à 07 : 00

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