Le rating : Entre Bourse, marché financier et banques

Par : Autres


Le rating : Entre Bourse, marché financier et banques

Entretien conduit par

Par

Khaled Boumiza

 


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L’homme est à la tête d’une entreprise qui
est en situation de quasi-monopole sur le marché de la notation. Ikbal
Bédoui n’est pas un homme pressé. Conscient du rôle fondamental de la
notation, pour le développement efficient d’un marché financier et fort de
sa connaissance (le réseau et l’expertise de la maison mère aidant) du
paysage économique, il préfère convaincre de la nécessité des avancées qui
restent à faire. Il ne ménage pour autant aucune des parties prenantes de ce
dossier.


Maghreb Rating, filiale de l’agence internationale de notation Fitch rating,
a réalisé en 2002 un chiffre d’affaire de prés de 600.000 DT et en prévoit
700.000 pour l’année en cours. Son action, que certains pourraient qualifier
d’utilité publique, n’a pas encore toute la reconnaissance qu’elle mérite.
Elle n’en intervient pas moins dans une conjoncture où le marché financier
et l’entreprise tunisienne en ont le plus besoin.
Interview



A quoi sert la notation ?


Une note, mesure la capacité d’une entreprise à rembourser sa dette en temps
et en heure. Plus la note est élevée, plus la probabilité que cette
entreprise fasse défaut est faible. Partout dans le monde, la note est
considérée comme outil précieux d’aide à la décision, car lorsque vous êtes
un investisseur, vous n’avez pas le temps, ou les moyens, d’analyser en
profondeur toutes les entreprises où vous envisagez un investissement. Vous
vous appuyez alors sur les compétences d’une agence de rating.


Malgré un souci, au moins déclaré, de transparence et d’information des
autorités, la notation n’est pas obligatoire pour les entreprises cotées en
bourse. Seule une douzaine d’entreprises d’entre elles sont notées. Pourquoi
? Qu’est-ce qui ne va pas ?


La réglementation n’oblige actuellement à la notation que les entreprises
qui émettent sur le marché obligataire. Pourquoi les autres entreprises
cotées en bourse ne sont-elles pas notées ? C’est auprès d’elles qu’il
faudrait chercher les réponses. Pour ma part, je constate qu’être coté en
bourse n’est pas en soit un gage de transparence et qu’il y a encore
beaucoup à faire avec les sociétés cotées pour les amener à communiquer,
régulièrement et en toute transparence sur leurs situations et perspectives.
 

Est-ce que vous avez démarché ces entreprises pour un rating, qu’elles ont
refusé ?


Je ne peux pas dire que je les ai toutes démarchées. Un grand travail de
prospection a été réalisé par mon prédécesseur, à la tête de Maghreb rating
et je le poursuis. Idéalement, je serais tenté de dire que si une entreprise
devait se faire noter, ce devrait être d’une manière spontanée. Si l’on veut
être plus pragmatique, force est de reconnaître que lorsqu’il y a une loi ou
une réglementation, les choses bougent un peu plus vite.


N’y a-t-il pas non plus une faille dans la loi, puisque celle-ci ne prend
pas en compte le droit à l’information claire et transparente des
investisseurs à la bourse et plus spécifiquement des entreprises cotées ?


Dans l’état actuel du développement du marché financier tunisien et dans
l’intérêt bien compris de tout le monde, il me semble nécessaire de passer,
au moins d’une manière transitoire en attendant que la culture de la
notation se diffuse plus largement, par des mesures réglementaires qui
obligeraient à la notation toutes les sociétés faisant appel public à
l’épargne et je dis bien toutes.


Sous d’autres cieux, la communauté des investisseurs est tellement forte que
c’est elle qui oblige à la notation et qu’un papier non noté n’aurait aucune
chance d’être vendu. En Tunisie, lorsqu’une entreprise émet sur le marché
obligataire sans notation, son émission est garantie par une ou un pool de
banques. Elle sait donc que son papier sera vendu, même non noté, car les banques
garantes feront tout pour. Il faut savoir que souvent, les banques garantes
peuvent par cette émission obligataire sortir de leur bilan une créance
classée et éviter ainsi d’avoir à la provisionner, tout au moins pendant
quelques temps.


La communauté des investisseurs tunisiens ne représente pas un poids
suffisamment fort pour dicter ses conditions et imposer le rating. En
rendant la notation obligatoire, la réglementation peut aider la communauté
des investisseurs et peut aider le marché à se développer d’une manière
saine et conforme aux standards internationaux.


Est-ce que vous ne faites la notation que sur sollicitation de
l’entreprise ?


Jusqu’ici oui.


Il est pourtant de notoriété que les agences de rating font aussi des
notations non sollicitées pour booster le marché. Pourquoi vous ne le faites
pas ? Pourquoi n’essayez-vous pas de pousser les entreprises vers le rating
sollicité ?


Il est déjà très difficile de noter les entreprises qui nous le
demandent, à cause de la difficulté d’accès à l’information. Vous pensez
bien donc que la difficulté n’en est que plus grande et qu’elle devient même
insurmontable avec une entreprise qui ne veut pas être notée et qui n’a
aucune obligation de le faire.


Est-ce qu’il n’y a pas derrière ce refus du rating, surtout de la part du
secteur bancaire, un manque de confiance dans le système de notation ?


Ce que nous constatons en effet, c’est qu’il y a très peu de banques en
Tunisie qui sont notées et ce n’est pas faute de les avoir démarchées. Il
faudrait être primaire ou naïf pour mettre en doute la validité de la
notation.


Des études statistiques ont été faites sur de longues séries historiques et
ont toujours démontré qu’à chaque catégorie de note correspondait une
probabilité statistique de défaut de l’entreprise.
 

Y a-t-il un refus et comment
est-il motivé par ces institutions financières qui sont les premières
émettrices sur le marché et qui constitue le plus gros des entreprises
cotées ?


En Tunisie, il n’y a que quatre banques notées de manière sollicitée. Je
pense que chez celles qui ne le sont pas encore, il y a dans certains cas un
blocage d’ordre psychologique et que dans les autres cas, la banque n’en
voit tout simplement pas l’intérêt. C’est en tout cas une situation
complètement atypique par rapport à tout ce qui se fait ailleurs. Dans la
majorité, sinon la totalité des pays où Fitch opère, toutes les banques se
font noter d’une manière sollicitée, car c’est quelque chose de fondamental
pour elles et pour les relations qu’elles établissent avec les banques
étrangères et avec les investisseurs.


Est-ce que la législation les exclue du devoir de notation ?


La réglementation est loin d’être claire à ce sujet. En pratique, les
banques ont toujours été exonérées de l’obligation de notation, lorsqu’elles
émettent sur le marché obligataire ou qu’elles garantissent une émission
obligataire. Je trouve cela inacceptable, car cela équivaut à traiter les
émetteurs selon la loi du « deux poids, deux mesures ». Il n’y a rien qui
puisse justifier qu’on oblige une société de leasing à se faire noter et
qu’on exonère une banque de le faire. Voudrait-on faire croire que les
banques sont invulnérables et ne pourraient jamais faire défaut ?


Cette exonération des banques de l’obligation de notation est
tendancieuse et de nature à induire les investisseurs en erreur. Il faudrait
peut-être aussi rappeler que d’importantes banques internationales ont été
en défaut de paiement et je ne crois pas qu’il y ait d’exception tunisienne
dans ce domaine.


A travers l’expérience du rating des 4 banques tunisiennes et sans
vouloir violer votre obligation de réserve, quel regard portez-vous
maintenant sur le secteur bancaire tunisien ?


Je ne voudrais pas déflorer le sujet, car nous allons prochainement
publier une étude sur le secteur bancaire tunisien qui donnera notre opinion
sur l’état de santé du secteur. Fitch publie ce type d’études pour tous les
pays où il note des banques.
 

Donnez-nous au moins quelques
pistes !
 

Le secteur bancaire tunisien est dans une
situation difficile.
 

Une situation difficile, grave ou
Catastrophique ?
 

La loi des chiffres est implacable. Par
comparaison avec les ratios observés dans d’autres pays, la situation des
banques est très mauvaise, notamment en matière d’exposition au risque de
crédit.
 

De combien est ce ratio ?
 

Aucun chiffre fiable n’est disponible pour le
moment sur le taux des créances classées des banques tunisiennes. Nous
pensons néanmoins qu’il se situe entre 25 et 30 %, s’il était calculé comme
il est d’usage de le faire internationalement.
 

Pour un taux de provision de
combien ?
 

Je n’ai pas encore le chiffre exact, mais le
taux de couverture de ces risques par des provisions n’est pas suffisant, du
point de vue d’une agence de notation.


Il y a certainement beaucoup d’explications valables à cette situation,
notamment des raisons historiques. Toutefois ces raisons historiques
n’expliquent en aucun cas la progression que continuent d’enregistrer les
créances compromises. La Tunisie a les moyens financiers de nettoyer les
créances classées héritées du passé. Mais il faudrait être certain que le
système bancaire s’est organisé, pour que de tels problèmes ne se
reproduisent plus. Tout l’intérêt de la notation réside à ce niveau.

 

Management &
Nouvelles Technologies > 13-10-2003 à 07:00