Fonction publique : Le gouvernement doit tirer les enseignements du passé

Parmi les conditionnalités posées par le FMI pour le versement de la 2ème tranche du prêt accordé à la Tunisie en mai 2016 (2,9 millions de dollars), figure l’engagement du gouvernement tunisien à maîtriser la masse salariale et, partant, à réduire au strict minimum les recrutements dans la fonction publique. C’est dans cet esprit que le gouvernement s’est empressé d’annoncer, lors de l’esquisse, en cette période, des grandes lignes du budget de l’Etat de 2018, qu’il n’y aura pas au cours de cet exercice de recrutements dans la fonction publique.

“Fini les 20.000 emplois par an dans la fonction publique, mais uniquement un taux de remplacement de 25% des départs à la retraite”, a déclaré, Taoufik Rajhi, ministre conseiller auprès du chef du chef du gouvernement chargé de ce dossier et de celui des négociations avec le FMI.

Les mécanismes mis en place pour réduire l’effectif des fonctionnaires

Le ministre conseiller, qui multiplie, ces temps-ci, les interviews à des médias rabatteurs, en prévision du prochain remaniement, devait énumérer les trois autres conditionnalités à respecter pour faire revenir la part de la masse des salaires dans le PIB à 12,5% (taux de 2010) contre plus de 14% actuellement.

La première consiste en un programme incitatif au départ volontaire à la retraite. La seconde est “un programme de départ négocié sur lequel le gouvernement est déjà en train de travailler”, selon Taoufik Rajhi. Parmi les scénarios envisagés pour financer ce programme, figure l’éventualité de contracter un crédit auprès des bailleurs de fonds (encore une fois la solution de facilité).

La 3ème exigence porte sur l’impératif de “rationaliser les négociations salariales”. L’objectif est double. Il s’agit, en premier lieu, de ne plus refaire les erreurs antérieures lesquelles consistaient à signer des conventions de majorations de salaires et à ne pas pouvoir les satisfaire ultérieurement.

Dans un second lieu, il s’agit de lier toute augmentation salariale à la création effective de richesse et à l’amélioration de la productivité.

C’est d’ailleurs là le principe que nous avons toujours défendu sur les colonnes de Webmanagercenter, celui du stratège allemand Peter Hart, père de la paix sociale en Allemagne, qui dit qu'”on ne peut redistribuer que la richesse qu’on crée”.

Nous ne pouvons que prendre acte de “cette prise de conscience salutaire, dans l’espoir que les syndicats adhéreront à cette thèse, ce qui est loin d’être garanti.

Néanmoins, cette prise de conscience demeure insuffisante, il faudrait l’accompagner par deux démarches.

La première consiste en la responsabilisation des dirigeants incompétents qui ont été à l’origine de cette situation peu reluisante dans laquelle nous nous retrouvons aujourd’hui.

Le mea culpa et pourquoi pas la sanction de ces soi-disant responsables est nécessaire pour que cela ne se répète plus.

Est-il besoin de rappeler que le pic des recrutements populistes a eu lieu au temps de la Troïka dont le parti majoritaire n’était que le parti Ennahdha que certains appellent, pour l’humour,  merveilleusement “nahba nakba”?

Plus simplement, au temps de la Troïka on recrutait au nom de l’allégeance et non à celui de la compétence ou du profil requis.

L’Union tunisienne du service public et de la neutralité de l’administration (UTSPNA) avait publié, le 21 mars 2013, des statistiques révélant que “93% des recrutements dans le secteur public ont été en faveur des partisans d’Ennahdha”.

Abstraction faite de ces données, certains seraient tentés de dire que ces responsables n’avaient pas le choix. Ils ont été acculés à procéder ainsi sous l’effet des fortes pressions syndicales et des mouvements sociaux non encadrés.

Nous rappelons à ces derniers que les syndicats et les simples citoyens indignés ne sont pas responsables des politiques et stratégies de développement mises en place par les politiques et les gouvernements qui se sont succédé depuis l’accès du pays à l’indépendance.

C’est pour cela qu’aucune partie n’oserait aujourd’hui dire que les revendications non encadrées du sud du pays et de certains syndicats ne sont pas légitimes. La responsabilité incombe désormais aux artisans du modèle de développement clientéliste et régionaliste mis en place depuis 1956. Ce modèle a connu des dérives plus graves avec l’avènement de l’islam politique. La situation aurait pu être encore plus grave n’eut été la résistance des Tunisiens, particulièrement des Tunisiennes, aux tentatives autoritaires.

Hélas, les nouveaux ministrables parlent peu de cet élément d’histoire par peur de provoquer l’ire les donneurs d’ordre. Le mouvement Nidaa Tounès qui, rappelons-le, est une excroissance du PSD et du RCD.  

Impératif de faire évoluer le dialogue social

La deuxième démarche à suivre porte sur l’enjeu de faire évoluer le dialogue social, sur de nouvelles bases. Le moment est venu pour que ce dialogue ne se limite plus, comme cela a été le cas, depuis plus de 60 ans, à des négociations avec les syndicats sur l’emploi et sur les majorations salariales dont l’effet sur l’amélioration du pouvoir d’achat est généralement gommé par les augmentations des prix qui suivent. Il doit transcender ce stade pour englober d’autres leviers de la productivité qui relèvent de la responsabilité totale des employeurs (Etat et patronat).

Mme Riadh Zghal, professeur agrégée en Sciences de gestion, a constamment souligné, à ce propos, que l’abnégation au travail n’est pas le seul levier de la productivité. Elle cite d’autres leviers non moins importants dont la bonne gouvernance, la motivation, l’assurance qualité, la chasse au gaspillage, la maintenance, les conditions de travail… Donc, autant de leviers à actionner ensemble pour améliorer la productivité qui demeure très faible en Tunisie, soit 52% contre 80% en Finlande, par exemple.

En somme, c’est pour dire que cette problématique de la triptyque emploi-salaire-productivité dans la fonction publique est une affaire plus complexe qu’on ne le pense. C’est tout l’ethos de la valeur travail qui est interpellé ici. Cette même valeur qui doit être perçue dans son acception la plus large et de ne plus être assimilée uniquement à l’emploi et au salaire. C’est tout simplement une philosophe. Malheureusement, jusqu’à preuve du contraire, nos cadres sont rarement philosophes…