En principe, lorsqu’on veut lancer un nouveau produit ou un créneau porteur, la première chose qu’un gouvernement ou une entreprise devraient entreprendre, c’est former les ressources humaines qui vont valoriser cette nouvelle activité. Nous sommes amenés à rappeler cette règle basique parce que nous sommes fortement surpris par une déclaration faite, début décembre 2023, sur la formation dans les énergies vertes, par le ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, Moncef Boukthir.

Ce dernier a révélé que son département vient d’obtenir de la Banque mondiale un don d’un million de dollars pour mener une étude de faisabilité technique pour la création, au sud du pays (Tataouine), d’un centre intégré pour la formation de techniciens dans les énergies renouvelables en attendant de trouver un investisseur pour le financer. Selon nos informations, cet investisseur serait italien. Il en a été question lors d’une réunion qui a eu lieu au mois de juillet 2023 entre le ministre et l’ambassadeur d’Italie à Tunis, Fabrizio SAGGIO.

Pour revenir à cette déclaration du ministre, elle nous paraît saugrenue. Elle arrive très en retard.

Une déclaration qui appelle trois remarques

La première remarque consiste à rappeler au ministre que la Tunisie a été pionnière en matière de prise de conscience des enjeux des énergies renouvelables. Le ministère de l’enseignement supérieur aurait dû normalement anticiper, depuis longtemps et programmé, des établissements d’enseignement supérieurs (Instituts, , ISET…) pour la formation de ressources humaines requises pour développer, par nos propres moyens,  le marché les énergies vertes en Tunisie.

Pour mémoire, concrètement la Tunisie a mis en œuvre, l’espace, d’une quarantaine d’années, trois belles réalisations dont les différents gouvernements acquis aux lobbys fossilistes, n’ont jamais voulu valoriser.

La première n’est autre que la création, en 1983, à Borj Cedria (banlieue sud de Tunis), du  Centre de Recherche et des Technologie de l’Energie (CRTEn). Ce centre de recherche et de développement (R&D) opérant sous la tutelle du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (MESRS), a été un pionnier dans le développement des énergies renouvelables.

Plusieurs innovations, voire des inventions, sont à son actif. A titre indicatif, il y a lieu de citer : l’installation de la première centrale thermodynamique fonctionnant à l’énergie solaire en Afrique, la fabrication de la première cellule solaire photovoltaïque à base de silicium à l’échelle tunisienne et africaine, la production à l’échelle pilote de cellules photovoltaïques, ce qui a constitué une première à l’échelle africaine et arabe, l’amélioration du rendement de conversion photovoltaïque des cellules de mauvaise qualité.

Une première internationale, la fabrication de 25 mallettes pédagogiques pour le compte de l’ALECSO, l’étude et fabrication de détecteurs de gaz, de cellules solaires organiques, de cellules solaires aux colorants, de cellules solaires inorganiques en couches minces, des applications de la nanotechnologie dans le domaine des cellules solaires photovoltaïques.

La deuxième réalisation consiste en la création, en 1985,  de l’Agence nationale pour la maîtrise de l’énergie (ANME). Il s’agit d’un établissement public à caractère non administratif.

Placé sous la tutelle du ministère de l’Industrie, de l’énergie et des mines,  sa mission principale consiste à mettre en œuvre les politiques de l’État tunisien dans le domaine de la maîtrise de l’énergie, et ce par l’étude et la promotion de l’efficacité énergétique, des énergies renouvelables et de la substitution de l’énergie. Son action reste toutefois limitée en raison du peu de moyens dont elle dispose.

La troisième a porté sur la mise au point, en 2009,  d’un plan solaire tunisien (PST). Ce plan prévoyait dans sa formulation initiale la réalisation de 40 projets, dont 17 d’énergie solaire, 3 éoliens, 7 d’efficacité énergétique, 7 de biomasse et 6 études de mise en œuvre du PST.

Le plan solaire tunisien présente l’avantage d’être éligible aux financements des différents mécanismes de la coopération internationale. Au nombre de ceux-ci, figurent le Plan Solaire Méditerranéen (PSM), le Fonds pour l’Environnement Mondial (FEM) et le Fonds des Technologies Propres, géré par la Banque mondiale.

A défaut de vision, le ministère de l’enseignement supérieur a été défaillant

Par delà ces réalisations positives, la question qui se pose est de savoir pourquoi le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique a trop traîné la patte et n’a pas accompagné, dans les temps, ces réalisations. Normalement, une enquête devrait être menée pour délimiter les responsabilités qui ont empêché l’université tunisienne de s’adapter aux besoins de la Tunisie en matière de formation des futurs diplômés et des chercheurs dans les domaines des énergies renouvelables et de l’environnement.

Pour l’histoire, un pays comme le Maroc, qui, jusqu’en 2010, importait son électricité d’Espagne est devenu, en quelques années un champion continental en énergies renouvelables, notamment avec son complexe solaire de Ouarzazate.

Il n’a pas pu le faire que grâce aux trois instituts de formation aux métiers des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique (IFMEREE) à Oujda, Tanger et Ouarzazate.

Malheureusement, le bon exemple nous vient toujours d’ailleurs. C’est frustrant, c’est malheureux, c’est affligeant…