Le marché de la dette reconsidère positivement les efforts de la Tunisie pour une meilleure gestion des finances publiques. Akram Gharbi, responsable gestion obligataire LFAM du Groupe Crédit Mutuel, analyse, dans l’interview ci-dessous, le récent changement de la notation de la Tunisie par l’Agence Fitch Ratings.

WMC : L’agence Fitch Ratings vient de relever la notation de la Tunisie. Quelle lecture faites-vous de cette annonce ?

Akram Gharbi : L’Agence Fitch notait la Tunisie triple C, soit l’échelon le plus bas du grade spéculatif. Cela signifie que le risque de défaut de paiement de la Tunisie, sur les 12 mois qui suivraient, avait une probabilité élevée de l’ordre de 70 % environ.

Jeudi 1er novembre 2022, l’Agence a annoncé qu’elle relevait sa notation à triple C+. Cela signifie qu’elle écarte le spectre d’une faillite imminente du pays. Cette première bonne étape indique une inflexion dans l’appréciation du risque du pays par les experts de l’Agence.

Peut-on espérer que les autres agences, dont Moody’s et SP, relèvent leur notation ?

Cela peut se produire mais ce n’est pas systématique. Chaque agence possède des critères d’évaluation qui lui sont propres.

Comment a réagi le marché à l’annonce de Fitch ?

Je préciserais que le marché développe sa propre vision sur la qualité du risque d’un pays sans dépendre de l’avis des agences. Il faut bien se dire que le marché est, in fine, dans la position du juge de paix. Et le marché véhicule la perception du risque comme la ressentent les investisseurs. Ce sont ces derniers qui, en bout de course, décident du financement.

En l’occurrence, le marché a anticipé cette inflexion positive depuis un mois environ. A titre d’exemple, les contrats d’assurance contre le risque de défaut de la Tunisie s’échangeaient à 1 500 points de base (pbs) au début du mois de septembre 2022, ce qui correspond à une probabilité de défaut ou de restructuration de la dette de l’ordre de 20 % à horizon du mois de juin 2023.

A l’heure actuelle, ces mêmes contrats se traitent à 650 pbs (6,50%), ce qui indique que la probabilité de défaut/restructuration a été divisée par deux. Autrement dit, le marché a changé sa perception concernant la Tunisie. Et il s’est fait à l’idée que le pays ne sera pas appelé nécessairement à restructurer sa dette, comme c’était le cas trois mois plus tôt.

Quel a été l’élément déclencheur de cette éclaircie financière ?

En réalité, il y en a eu plusieurs. Le marché a pris bonne note de l’accord passé avec l’UGTT à la fin du mois de septembre 2022. C’était le signal de départ. La Centrale syndicale a accepté que les salaires de la fonction publique n’augmentent que de 5,5% par an sur les trois prochaines années. Dès lors, on savait que la maîtrise de la masse salariale donnait une vision claire sur l’évolution du déficit budgétaire. L’hémorragie était garrotée.

De surcroît, le rapport publié par les experts du FMI à l’issue de leur revue qui a eu lieu à la fin du mois d’octobre 2022 confirmait bien que le pays ne sera pas exposé à restructurer sa dette, s’il engage les réformes nécessaires. Le vent avait commencé à tourner et les investisseurs reprenaient progressivement confiance.

De plus, le Staff Level Agreement du FMI, qui a accordé le crédit de 1,9 milliard de dollars US, a envoyé un signal de retour de confiance des investisseurs.

Last But not least, il y a le crédit de 1,3 milliard de dollars US auprès de l’Arabie saoudite et d’Abou Dhabi actuellement en cours de finalisation.

Les investisseurs voyaient que le pays surmontait, à court terme, son impasse de financement. La remontada s’est opérée de cette manière. Et d’ailleurs, l’obligation tunisienne libellée en euros, arrivant à maturité en octobre 2023 qui s’échangeait à 50 % de sa valeur faciale traite, actuellement à 90 %. C’est un progrès notable.

Quelle est la perception actuelle du marché pour l’avenir proche ?

Le marché retient que le pays maîtrise son déficit budgétaire lequel passerait, si tout va bien par ailleurs, de 7 % son niveau actuel à 5,3 % en 2023 et à 3,8 % en 2024, pas bien loin de son niveau d’avant 2011. Et même si la croissance est à la peine avec un taux voisin de 2%, eh bien le pays pourrait se tirer d’affaire s’il persévère sur la voie de réduction des transferts sociaux. Jusque-là la levée progressive des subventions est bien maîtrisée. Alors il faut poursuivre l’effort.

Le marché occulte les possibilités de redéploiement du secteur exportateur comme le laisse augurer le redémarrage du partenariat tripartite avec le Japon et le reste du continent africain dans le cadre de TICAD 8 ou le récent Forum économique de la Francophonie ?

Si cela se concrétisait, ce serait du bonus pour le pays. On peut tabler sur divers éléments ensemble, telles une possible reprise du secteur touristique, une relance du secteur exportateur, une météo clémente pour une bonne saison agricole. On espère que les taux américains se calmeront et que les marchés seront moins volatiles. Tout cela poussera dans le bon sens.

Le 17 décembre, le Conseil d’administration du FMI décidera du déblocage en faveur de la Tunisie. Un signe favorable à l’adresse des marchés ?

Oui, sans doute. On entrera dans une phase de concrétisation, et cela apaise les investisseurs.

La Tunisie pourra-t-elle sortir sur le marché en 2023 ?

Oui, c’est envisageable. Cependant, le marché continuera à scruter les événements à venir, tels le déroulement des élections, le retour du dispositif institutionnel, la paix sociale. Si tout se passe bien après le mois de mars 2023, le pays pourrait envisager d’y aller.

Dans cette hypothèse, que serait la prime de risque ?

Le spread serait de 9 à 10 % avec une maturité de 5 à 6 ans. Le pays ne doit pas hésiter. Il faut reprendre langue avec le marché. Le pays doit prouver qu’il est en situation d’accéder au marché et cela peut rassurer les autres bailleurs de fonds multilatéraux qui peuvent être d’un bon appoint. Accéder au marché est bien la preuve que le pays crée de la richesse et contient sa dette de manière mesurable.

Pros recueillis par Ali Abdessalam