Taoufik Bourgou Pendant que les citoyens courent derrière un bout de pain, le «tafsisriste» en chef, Monsieur Chafter se répand sur un plateau pour nous gratifier d’un obscur exposé économique auquel il colle le projet politique. Fidélité au dogme marxiste oblige !

Une langue de bois, des termes indéfinis, un discours digne d’un congrès du défunt Parti Communiste de l’Union Soviétique de l’époque sombre, on s’est crus revoir Beria. Ne manquaient plus que les applaudissements en rythme.

A l’approche des élections du 17 décembre, le camp présidentiel use des mêmes ficelles : l’indéfini, l’imprécis, la désignation du «on» ennemi perpétuel. Le vide de projet est rempli par des termes qui ne veulent rien dire, la fuite devant la contradiction, le défaut de stratégie et bien sûr l’absence du primus inter pares, qui ne daigne pas descendre dans l’arène en envoyant des doubles se répandre en «tafsirs» en tous genres.

Il y a quelques jours, Monsieur Chafter à qui on ne connait aucune compétence économique est venu dévoiler le projet de son patron. En plus de l’indigeste et ridicule exposé économique qui nous renvoie directement dans la collectivisation des années du soviétisme triomphant, il nous a administré une double dose de «comitologie» populaire kadhafienne le tout empaqueté dans une langue qu’il ne parvenait pas à comprendre lui-même.

Comme Lénine (pas le vrai, mais Ridha) Chafter parle une ancienne langue qui n’est compréhensible que par les derniers soviétologues encore en vie. Pas sûr que même Gorbatchev qui a quitté ce monde il y a quelques jours aurait pu comprendre la démonstration du tafsiriste en chef.

Monsieur Chafter, vicaire et son «Rais Oustedh», comme il se plait à l’appeler, ont en commun une langue qui ne veut rien dire, sauf à s’armer de patience à prendre note et à traduire dans la langue du commun des mortels.

Il était utile de résister et d’écouter jusqu’au bout la démonstration, car après la catastrophe du texte constitutionnel, une deuxième se profile à l’horizon. Ce n’est pas faute d’avoir prévenu à chaque fois, mais celle qui se prépare est d’une intensité maximale sur l’échelle des catastrophes économiques et politiques qui se sont abattues sur la Tunisie depuis la «vertigineuse».

Sur le plan économique : la solution tafsirienne ce sont les coopératives. «Chariket ahlya», des kolkhozes à la tunisienne. Les plus anciens, les connaisseurs de l’histoire économique du pays, reconnaissent les coopératives de Ben Salah et leur funeste fin.

Ce qui est proposé aux tunisiens comme stratégie après toutes ces années de destruction économique du pays et en cette fin 2022, c’est une mise en commun de capacités de production en coopératives. Notons juste que ces capacités sont faméliques voire inexistantes. Il a pris la précaution de souligner que les «chariket al ahlya», la grande trouvaille présidentielle, pourraient intervenir dans tous les domaines. Une sorte de partage du peu à défaut de créer le plus. En terme économique ça porte un nom : une mise en commun, «tacharoukya», les biens communs. Nous y voilà.

Alors regardons de près la chose.

Ce que le Tafsiriste en chef semble oublier c’est l’apport initial en capital dont il ne parle pas. La plus humble des coopératives a besoin de locaux, d’outils de production, de moyens humains, etc. Etre une coopérative ne veut pas dire être en dehors de l’économie, bien au contraire. Mais ce Monsieur ne semble pas l’avoir compris.

Dans quels domaines vont opérer ces « chariket ahlya » ?

Monsieur Chafter a renvoyé la question à plus tard. Pour fuite la question il a insisté sur la mort du monde capitaliste et la fin du monde libéral (sic). Pour peu il nous annoncerait comme le fait la télévision nord coréenne, que le monde développé est en train de s’entretuer pour un bout de pain dur. Nous l’invitons à prendre un avion et faire un tour en Chine qui a été le paradis communiste (avec tout de même quelques longues famines), aujourd’hui ce sont les grands groupes « capitalistes » qui ont sorti plus de 60% de chinois de l’extrême pauvreté, de la famine qui a été terrible et qui a coïncidé avec une révolution culturelle, supposée rectifier la voie de leur « vertigineuse » à eux. Sauf à prendre la Corée du Nord pour exemple, la stratégie proposée est une course vers l’abime, vers des guerres de clans, vers l’effondrement économique pur et simple.

Si le Président flanqué de son armée de tafsiristes s’engagent dans cette voie, qui semble être dans l’esprit de Monsieur Chafter, la seule et l’unique possibilité, on peut craindre de voir les dernières sources de revenus des tunisiens s’évaporer. Ce n’est pas ainsi que le pays va se redresser, et attirer ce qui lui manque et qui manque même au projet de Monsieur Chafter : l’investissement. En outre, si le domaine des coopératives c’est l’agriculture (comme semblent l’indiquer les rares actions économiques du Président), il suffit de relire l’histoire de la collectivisation agricole en Tunisie pour voir dans l’expérience d’hier les bêtises de demain. Il faut surtout de lire l’histoire de toutes les collectivisations et des mises en coopératives pour se rendre compte de ce qui se prépare pour la Tunisie.

N’avoir que cela comme solution est explicable : il n’y a pas de programme, il n’y en avait pas en 2019, il n’y en pas aujourd’hui. Il n’y en aura pas demain. D’ailleurs, il n’y a jamais eu l’ombre d’un programme depuis 2011. Ce fut une prédation.

Mais le pire est à venir, avec le projet politique et la poursuite du processus de démantèlement du système institutionnel. Personne ne va pleurer la fin de la République de 2014. Mais ce qui se prépare parait d’ores et déjà pire.

A bien écouter le Tafsiriste du jour, nous sommes réellement dans le cadre d’un projet des cellules de base, depuis les délégations, avec des candidatures individualisées en dehors de partis politiques. Ceci signifie clairement que sans interdire les partis politiques, ce qui aurait été mal vu par les bailleurs de fonds, l’objectif sera de les vider de leurs substances. Mais dans le Tsunami qu’il prépare, Monsieur Saied risque de faire disparaitre même la petite partitocratie identitaire, nationaliste arabe et oummiste qui lui a apporté son soutien. Ils vont certainement connaitre le même sort de Messieurs Mahfoudh et Belaid.

L’objectif est un « remplacement » social qui ne dit pas son nom. Un discours anti-élite avait précédé la mise en coupes réglées de l’Etat post indépendance à partir de 2011, avec ce qui se prépare, c’est tout simplement l’illusion d’une Etat par la base, pas uniquement au sens politique, c’est au sens de la clientèle, au sens social du terme. Plus besoin de passer par L’ENA pour être gouverneur, ou de passer par un le circuit classique de la haute administration, il suffit de partir de la base, les connaissances importent peu, le « cheffisme » local suffira.

La combinaison du « projet » économique et du « cheffisme » local a de quoi effrayer. Coopératives de base et cellules politiques locales, déni de partis, déni de syndicats, renversement du modèle social et économique antérieur. Un système qui va faire fuir les rares entreprises qui restent, qui fera peur aux investisseurs. L’étape ultime d’une descente aux enfers.

Voilà ce qui se prépare. Il fallait le dire pour l’histoire, même si entendre un tafsiriste parler en langue de bois était une torture intellectuelle. Pris dans le sens premier du terme, ce projet est un suicide pur et simple. Le régime d’Ennahdha, avait la prédation pour stratégie économique, il a servi au pays la langue de l’identitaire. Le régime actuel n’a de stratégie que l’exhumation des anciennes solutions habillées d’une novlangue populiste. Les deux se rejoignent, même s’ils font semblant de se combattre. Ni les anciens, ni les actuels ne sauveront la Tunisie. Leurs bilans respectifs parlent pour eux.

Taoufik Bourgou