Officiels et experts sont unanimes pour annoncer, en ce mois de mai 2022, que la prochaine récolte céréalière sera « bonne ». Cela signifie qu’elle sera ni moyenne avec les 16 millions de quintaux réalisés en moyenne annuelle, ni excellente comme la récolte record enregistrée en 2019, avec 24 millions de tonnes. Dans tous les cas de figure, nous sommes toujours loin de l’autosuffisance dans la mesure où les besoins annuels de la Tunisie en céréales sont estimés entre 30 et 33 millions de quintaux.

Abou SARRA

Plus simplement, la Tunisie, ancien “grenier de Rome“ et actuel premier pays consommateur de pain dans le monde, continuera, en 2023, à produire à partir de son blé, une baguette sur cinq écoulées sur le marché. Le reste sera importé.

Par les chiffres, la récolte 2021-2022 sera entre 19 et 20 millions de quintaux, selon Mahmoud Elyes Hamza, ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, qui s’exprimait, le 10 mai 2022, sur la chaîne de télévision El Watania1, et entre 17 et 18 millions de quintaux, selon Mohamed Rjaibi, membre du bureau exécutif de l’Union tunisienne de l’agriculture et de la pêche (UTAP), qui faisait une déclaration au site électronique Sabah News.

Une évidence : par-delà ces diverses quantifications, la prochaine récolte, pour peu qu’elle soit bien gérée, ne manquera de contribuer à la réduction de la dépendance du pays des importations en matière de céréales et de l’économie de sorties de devises. L’enjeu est de taille en cette période où les deux plus grands pays producteurs de blé sont en guerre (Russie et Ukraine).

Néanmoins, abstraction faite de ce facteur exogène, d’importantes menaces internes pèsent sur la prochaine récolte si certains risques ne sont pas prévenus et si les précautions nécessaires ne sont prises.

La menace des incendies

La première menace a trait aux incendies. En réagissant, le 5 mai 2022, aux incendies qui ont eu lieu partout dans le pays, le président de la République Kaïs Saïed, a été le premier à évoquer cette menace : «Nous sommes là pour protéger le pays de ces personnes qui veulent mettre le feu au pays », a-t-il dit à l’adresse des cadres du ministère de l’Intérieur avant d’ajouter : «vous devez les poursuivre. Ils planifient de mettre le feu à la récolte, alors que nous avons une récolte record cette année. Je vous appelle à prendre les mesures pour sécuriser les champs de blé et pour protéger la récolte ».

Pour leur part, les céréaliers, par le biais de leurs syndicats (UTAP et Synagri), craignent certes les éventuels pyromanes criminels auxquels le chef de l’Etat fait allusion, mais également, les menaces que font peser les incendies déclenchés dans les décharges anarchiques. Le feu peut s’étendre facilement vers les champs de blé. Cela s’est produit plusieurs fois dans le passé.

Dans les deux cas, les céréaliers du pays appellent toutes les parties concernées – départements ministériels (Agriculture, Transport, Equipement, Environnement, Défense nationale, Intérieur…), et municipalités à contribuer à la protection de la prochaine récolte et à assumer pleinement leurs responsabilités.

A titre indicatif, parmi les manquements cités par Mohamed Rjaibi, membre du bureau exécutif de l’UTAP, figure le retard qu’accuse l’intervention du ministère de l’Equipement. A deux semaines du démarrage de la saison de moisson, ce département n’a pas encore entamé les travaux d’aménagement des pistes agricoles et des pare-feu ou pare-étincelles.

Réduire les pertes de production

Autre menace qui risque de compromettre la récolte, les pertes post-récolte au niveau des différentes chaînes de collecte, de transport et de stockage.

En effet, « sur 10 millions de quintaux de céréales, un million de quintaux est perdu en Tunisie, soit entre 6 et 10% de pertes post-récolte », a rappelé la directrice des grandes cultures à la Direction de la production agricole au ministère de l’Agriculture, Rabiaa Ben Salah.

Ainsi, on risque de perdre bêtement 2 millions de quintaux sur un total de production prévu de 20 millions de quintaux.

A l’origine de ces pertes, la vétusté des engins agricoles (moissonneuses-batteuses…) et des camions de transport. D’ailleurs ce mode de transport risque d’être défaillant comme c’était le cas en 2019. Le gouvernement de l’époque était obligé de recourir à la logistique de l’armée pour transporter le blé collecté.

Le fret par camion risque de poser problème

A l’origine, un problème du coût du transport pris en charge en principe par l’Office des céréales. Depuis, en quasi faillite, l’Office a toujours refusé de reconnaître  les surcoûts générés pour les camionneurs (augmentation du prix des véhicules, des pièces de rechange, du carburant par l’effet de la dépréciation du dinar…).

Une chose est sûre : le transport routier par camion reste le principal moyen de fret des céréales. Pour les cinq/six dernières années, 97% du transport des céréales a été assuré par les camions, et les 3% restants par le transport ferroviaire.

C’est pourquoi la menace d’une grève des transporteurs par camion risque de chambouler les plannings de la collecte et du transfert vers les silos. D’où l’importance de prévoir la solution en amont à ce genre de problème.

Espérons que les mesures incitatives prises en novembre 2021 (révision à la hausse des prix des céréales à la production y compris la prime de livraison) et en avril 2022 (augmentation de 30% du prix d’achat des céréales auprès des agriculteurs, au titre de la récolte 2022) vont être assez suffisantes pour améliorer l’attractivité de la céréaliculture et motiver davantage les céréaliers.