Après avoir réussi l’exploit de dépasser le Ghana et le Nigeria, deux pays regorgeant de richesses naturelles, la Côte-d’Ivoire, pays francophone d’Afrique de l’Ouest, vient de dépasser le Nicaragua pour devenir le premier pays africain au sous-sol pauvre de l’histoire à devancer un pays d’Amérique hispanique.

Selon les statistiques récemment publiées par la Banque mondiale, le PIB par habitant de la Côte d’Ivoire s’établissait à 2 286 dollars fin 2019, soit un niveau désormais supérieur à celui du Nicaragua (1 913 dollars). Ce dernier avait, en fait, déjà été dépassé au cours de l’année 2018, mais ce n’est qu’après la récente mise à jour de la base de calcul du PIB de la Côte d’Ivoire (comme, avant elle, pour le Ghana et le Nigeria) que cette évolution a pu être mise en évidence.

Un événement historique dû à une croissance record

La Côte d’Ivoire est donc aujourd’hui le seul pays africain au sous-sol pauvre à devancer en richesse un pays d’Amérique hispanique (hors très petits pays de taille négligeable et de moins de 1,5 million d’habitants, majoritairement insulaires et ne pouvant être pris en compte pour de pertinentes comparaisons).

Ce pays de six millions d’habitants, situé en Amérique centrale et faisant partie des 18 pays du continent à avoir l’espagnol pour langue officielle, a par ailleurs une population aux deux tiers exclusivement ou majoritairement d’ascendance européenne. Ce qui fait de cette origine la principale des origines présentes dans le pays, loin devant les racines amérindienne et africaine.

L’importante progression de la Côte d’Ivoire résulte de la très forte croissance que connaît le pays depuis plusieurs années. Sur la période 2012 à 2019, période suffisamment longue pour pouvoir établir des comparaisons internationales (et hors micro-États, et plus précisément Nauru, pays insulaire du Pacifique sud ne comptant que 11 mille habitants et pour un territoire de seulement 21 km2), la Côte d’Ivoire a réalisé la plus forte croissance au monde dans la catégorie des pays ayant un PIB par habitant supérieur ou égal à 1 000 dollars, avec une croissance annuelle de 8,2% en moyenne (6,9% en 2019).

Plus impressionnant encore, elle se classe deuxième toutes catégories confondues, pays très pauvres inclus, faisant ainsi mieux que 30 des 31 pays au monde qui avaient un PIB par habitant inférieur à 1 000 dollars début 2012. La Côte d’Ivoire n’est alors dépassée que par l’Éthiopie, qui a connu une croissance annuelle de 9,2% en moyenne (8,3% en 2018). Une performance qui résulte essentiellement du très faible niveau de développement de ce pays d’Afrique de l’Est, qui était le deuxième pays le plus pauvre au monde début 2012 et qui en demeure un des plus pauvres avec un PIB par habitant de seulement 857 dollars fin 2019 (soit près de 2,7 fois moins que la Côte d’Ivoire).

Sur cette même période de huit années, le Nicaragua a enregistré une croissance annuelle de 2,7 % en moyenne.

Ce grand dynamisme avait d’ailleurs permis à la Côte d’Ivoire de dépasser auparavant le Kenya (1 816 dollars par habitant fin 2019), avant de réussir l’exploit de devancer deux pays voisins regorgeant de matières premières que sont le Ghana et le Nigeria (respectivement 2 202 dollars et 2 230 dollars par habitant).

En effet, le Ghana est devenu le premier producteur d’or du continent, avec une production plus de quatre fois supérieure à celle de la Côte d’Ivoire (142,4 tonnes en 2019, contre seulement 32,5 tonnes, soit +338%).

De plus, le pays fait désormais partie des pays pétroliers du continent, se classant aujourd’hui à la quatrième position en Afrique subsaharienne, devant le Gabon (avec une production d’environ 200 000 barils par jour, contre moins de 40 000 pour le pays d’Houphouët-Boigny, soit cinq fois plus). Et ce dans un domaine qui continue à être largement dominé par le Nigeria, premier producteur d’or noir du continent, avec une production annuelle qui se situe, en moyenne, à environ deux millions de barils par jour.

Sur la période 2012-2019, le Ghana et le Nigeria ont enregistré, respectivement, une croissance annuelle de 5,7% et de 2,9% en moyenne.

Un pays particulièrement dynamique et en chantier

Les résultats de la Côte d’Ivoire s’expliquent par les profondes réformes réalisées par le pays afin d’améliorer le climat des affaires, ainsi que par une politique de développement tous azimuts et se matérialisant notamment par de nombreux chantiers d’envergure à travers le pays.

Plusieurs mesures ont en effet été prises afin de faciliter et de sécuriser les investissements, en vue d’instaurer un environnement favorable à ces derniers : mise en place d’un nouveau code des investissements en 2012, d’un guichet unique de création d’entreprises, d’une plateforme d’échanges pour centraliser les appuis des partenaires au développement de l’environnement des affaires… Le tout assorti d’une assez faible pression fiscale de l’ordre de 14% du PIB au total pour l’année 2019 (cotisations de sécurité sociale incluses).

L’ensemble de ces mesures a ainsi permis à la Côte d’Ivoire de faire un bond considérable dans le classement international Doing business, publié chaque année par la Banque mondiale et relatif au climat des affaires, en passant de la 167e place en 2012 à la 110e pour l’année 2020.

Dans ce classement, elle fait donc désormais largement mieux que le Nicaragua (142e), le Nigeria (131e), ou encore que l’Éthiopie, passée de la 111e à la 159e place sur la même période. Ce pays, où les répressions policières et les tensions interethniques ont fait plusieurs centaines de morts ces quelques dernières années, est d’ailleurs l’un des pays qui connaissent les plus fortes tensions sociales sur le continent, avec l’Afrique du Sud (où l’on compte plus de 15 000 homicides par an).

Cette importante progression de la Côte d’Ivoire s’accompagne également d’une remarquable maîtrise de l’inflation (comme dans l’ensemble de l’espace UEMOA), qui s’est située à seulement 0,8% en moyenne annuelle sur la période de huit années allant de 2012 à 2019, selon les dernières données de la Banque mondiale. Un taux particulièrement bas, notamment en comparaison avec le Nicaragua (5,2%), et plus encore avec le Ghana et Nigeria, dont les populations ont grandement souffert d’une inflation qui s’est établie à 11,9% et à 11,6% par an, en moyenne et respectivement, et ce malgré une croissance largement inférieure à celle de la Côte d’Ivoire.

Ces deux pays souffrent d’ailleurs également d’une importante dollarisation de leur économie, la monnaie nationale étant souvent refusée et substituée par le dollar dans les échanges économiques quotidiens. Enfin, la Côte d’Ivoire n‘oublie pas d’investir massivement dans l’éducation et la formation, dont les dépenses avaient atteint jusqu’à 27% du budget national en 2017 (un des taux les plus élevés du continent).

Sur les cinq dernières années, autant de classes ont d’ailleurs été ouvertes à travers le pays qu’au cours des vingt années précédentes. Une accélération qui s’explique, notamment, par la scolarisation rendue obligatoire à partir de la rentrée 2015 pour les enfants âgés de 6 à 16 ans.

Au passage, il convient de rappeler que la maîtrise de l’inflation et la formation, deux éléments ayant une incidence certaine sur l’environnement des affaires, ne sont pas pris en compte par l’enquête annuelle Doing business de la Banque mondiale. Ce qui constitue une lacune fort regrettable, et pénalisante pour le classement de la Côte d’Ivoire (tout comme le sont, dans un autre registre, les données servant à l’ONU de base de calcul pour l’indice de développement humain, mais qui sont en général relativement anciennes pour les pays en développement, et qui ne prennent donc pas en considération les toutes dernières évolutions économiques et sociales).

Cet environnement particulièrement favorable aux investissements que connait aujourd’hui la Côte d’Ivoire s’accompagne d’une politique ambitieuse de développement et de grands chantiers, dans tous les domaines : routes, ponts, transports publics (comme le futur tramway d’Abidjan), centrales électriques, hôpitaux, réseaux télécoms, industries de base… et ce sans oublier l’agriculture qui continue à se développer, le pays étant même devenu récemment le premier producteur mondial de noix de cajou (en plus d’être déjà le premier producteur de cacao).

Des noix de cajou qui sont d’ailleurs partiellement transformées par des machines de fabrication ivoirienne, grâce à une entreprise locale qui la seule du type en Afrique subsaharienne. Pour leur part, les secteurs de la technologie et de l’informatique se développent eux aussi assez rapidement, notamment avec la multiplication des jeunes pousses (ou start-up), ou encore avec la construction d’une usine d’assemblage d’ordinateurs qui contribue à la réalisation du projet national «un citoyen, un ordinateur».

Une fabrication locale qui constitue une avancée rare sur le continent. Quant à l’électrification du pays, point d’une grande importance pour la réussite de toute politique de développement, le taux de couverture est passé de 33% des localités ivoiriennes début 2012 à 73% au mois de mai 2020. Et ce, avec une augmentation parallèle du taux d’accès à l’électricité, qui atteint désormais près de 90% de la population du pays.

Sur la même période, celui-ci a connu une progression d’environ 60% de sa production d’électricité, devenant un des principaux exportateurs en la matière sur le continent (11% de la production ivoirienne est actuellement exportée vers six pays d’Afrique de l’Ouest).

Par ailleurs, la Côte d’Ivoire commence enfin à s’intéresser au développement du secteur touristique, encore embryonnaire. Une situation totalement anormale pour un pays qui ne manque pas d’atouts en la matière, et que le monde doit enfin connaître et découvrir.

À titre d’exemple, la quasi-intégralité de la population française (et donc également des autres populations occidentales) ignore l’existence même de la Basilique Notre-Dame de la Paix de Yamoussoukro, qui n’est autre que le plus grand édifice chrétien au monde, et quasi-réplique de la basilique Saint-Pierre de Rome.

Une situation absurde qui résulte de la longue négligence dont a souffert le secteur du tourisme, contrairement à ce que l’on observe dans des pays comme le Kenya ou l’Afrique du Sud, ou encore la Tunisie et le Maroc, qui investissent depuis longtemps dans ce domaine qui contribue de manière importante à leur développement. Au passage, il convient de rappeler que la Côte d’Ivoire est un pays bien plus grand qu’on ne le pense, étant, par exemple, légèrement plus étendue que l’Italie et un tiers plus vaste que le Royaume-Uni, et non deux ou trois plus petite comme l’indique la majorité des cartes géographiques en circulation (y compris en Afrique). Des cartes qui dressent généralement une représentation terriblement déformée des continents, en réduisant considérablement la taille des pays du Sud.

La montée en puissance de l’Afrique subsaharienne francophone

Ces différents éléments font que la Côte d’Ivoire devrait continuer à connaître une croissance robuste dans les prochaines années, du moins une fois que la crise mondiale majeure liée au Covid-19 sera passée (et dont les conséquences définitives pour l’année en cours, et pour l’ensemble du continent, ne peuvent encore être correctement estimées).

La Côte d’Ivoire fait d’ailleurs partie de l’espace UEMOA, qui n’est autre que la plus vaste zone de forte croissance du continent, avec une hausse annuelle du PIB de 6,4% en moyenne sur la période de huit années allant de 2012 à 2019. Un espace faisant lui-même partie de l’Afrique subsaharienne francophone, qui constitue globalement la zone la plus dynamique – et historiquement la plus stable – du continent, dont elle a enregistré en 2019 les meilleures performances économiques pour la sixième année consécutive et pour la septième fois en huit ans. Sur la période 2012-2019, la croissance annuelle de cet ensemble de 22 pays s’est ainsi établie à 4,4% en moyenne (5,0% hors cas très particulier de la Guinée équatoriale), contre 2,8% pour le reste de l’Afrique subsaharienne.

Un dynamisme par ailleurs soutenu par une assez bonne maîtrise de la dette publique, les pays francophones n’étant qu’au nombre de deux parmi les dix pays les plus endettés du continent (à savoir la Mauritanie et le Congo-Brazzaville, qui n’arrivent, respectivement, qu’à la 9e et à la 10e place début 2020, selon le FMI).

Une maîtrise de la dette qui fait que l’Afrique francophone sera globalement mieux armée pour faire face à la présente crise économique internationale. Pour la Côte d’Ivoire, cette dette s’est établie à 38 % du PIB fin 2019 (après rebasage tardif du PIB), soit un niveau largement inférieur à celui de la grande majorité des pays développés, et un des taux les plus faibles du continent (par exemple, largement inférieur à ceux du Ghana, 63,8%, et du Kenya, 61,6%).

Par ailleurs, il est à noter qu’il n’y a désormais plus qu’un seul pays francophone parmi les cinq pays les plus pauvres du continent, tous situés en Afrique de l’Est (en l’occurrence le Burundi, avec quatre pays anglophones que sont le Soudan du Sud, devenu le pays le plus pauvre du monde, le Malawi, la Somalie et le Soudan).

Enfin, il n’y a aujourd’hui plus aucun pays francophone dans les six dernières places du classement international relatif au climat des affaires de la Banque mondiale, désormais majoritairement occupées par des pays anglophones (en 2012, cinq des six derniers pays étaient francophones).

Cette évolution globalement favorable de l’Afrique francophone n’était d’ailleurs pas aussi facilement prévisible il y a quelques décennies, au moment des indépendances. En effet, il convient de rappeler que le Royaume-Uni avait pris le contrôle des terres les plus fertiles du continent (le Ghana, la Nigeria – avec le delta du fleuve Niger et ses affluents, le Soudan et le Soudan su Sud – avec le Nil et ses affluents, la Tanzanie, le Zimbabwe…), ainsi que des territoires les plus riches en matières premières (les trois premiers pays producteurs d’or du continent, que sont le Ghana, le Soudan et l’Afrique du Sud – longtemps premier producteur mondial en la matière, le premier producteur de pétrole qu’est le Nigeria – devant l’Angola, ancienne colonie portugaise, le premier producteur de diamants qu’est le Botswana, ou encore le deuxième producteur de cuivre qu’est la Zambie).

L’Afrique francophone a donc réussi son rattrapage par rapport au reste du continent, dont elle constitue même désormais la partie la plus prospère, globalement (ou la moins pauvre, selon la manière de voir les choses). Des pays comme le Mali et Bénin, qui ne font pourtant pas partie des pays les plus riches d’Afrique de l’Ouest, ont même un PIB par habitant supérieur à des pays comme l’Éthiopie ou le Rwanda, situés en Afrique de l’Est et bénéficiant étrangement d’une couverture médiatique exagérément favorable.

Le Honduras, l’Angola et la Tunisie en voie d’être dépassés

Selon les prévisions économiques internationales, et grâce à sa forte croissance, la Côte d’Ivoire devrait très rapidement dépasser à son tour un deuxième pays d’Amérique hispanique, à savoir le Honduras. Pays également situé en Amérique centrale, et comptant une population de 10 millions d’habitants, le Honduras affichait un PIB par habitant de 2 575 dollars à la fin de l’année 2019, et devrait continuer à connaître prochainement une croissance économique assez faible (2,7% en 2019).

La Côte d’Ivoire devrait ensuite réussir l’exploit de devancer un troisième pays très riche en matières premières, à savoir l’Angola. Ancienne colonie portugaise, ce pays de 32 millions d’habitants est en effet le deuxième producteur africain de pétrole, après le Nigeria, et disposait d’une richesse par habitant de 2 974 dollars fin 2019.

Mais à l’instar du Nigeria, ce pays connait un déclin économique depuis plusieurs années, avec en moyenne une croissance annuelle négative de -1,0% sur la période de cinq années allant de 2015 à 2019 (et seulement 1,2% pour le Nigeria), soit un taux largement inférieur au taux de croissance démographique du pays (3,3% en moyenne sur la même période). Une évolution qui s’est notamment traduite par un baisse de 85% de la valeur de la monnaie nationale par rapport au dollar depuis 2014 (près de 60% pour le Nigeria) et qui devrait se poursuivre pendant les quelques prochaines années, au moins, selon les prévisions en la matière et comme pour le Nigeria. En effet, l’Angola et le Nigeria connaissent une tendance à la baisse de leur production pétrolière, et ne sont pas parvenus à diversifier leur économie et leurs exportations, qui reposent toujours presque uniquement sur les hydrocarbures (environ 94% pour le Nigeria et 98% pour l’Angola).

La Tunisie devancée par le Maroc et l’Egypte ?

Après le Honduras et l’Angola, entre autres, la Côte d’Ivoire qui, au passage, devance déjà non moins de 12 pays asiatiques (comme la Birmanie, le Cambodge, le Pakistan ou encore l’Ouzbékistan), devrait dépasser à moyen terme la Tunisie, et devenir ainsi le premier pays d’Afrique noire au sous-sol pauvre à dépasser dans l’histoire un pays d’Afrique du Nord.

Après avoir été longtemps un modèle de réussite économique et de développement pour l’ensemble du continent, la Tunisie, peuplée de 12 millions d’habitants, connaît hélas une très faible croissance depuis sa révolution de janvier 2011, et qui a même été la plus faible de toute l’Afrique du Nord sur la période 2012-2019 (seulement 2,2% en moyenne annuelle). Avec une richesse par habitant s’établissant à 3 317 dollars fin 2019, le pays devrait d’ailleurs devenir assez rapidement le pays le plus pauvre de cette partie du continent, se faisant d’abord devancer par le Maroc (3 204 dollars fin 2019), puis par l’Égypte (3 020 dollars).

Même dépourvus de richesses naturelles, les pays d’Afrique noire sont donc parfaitement capables de dépasser en prospérité des pays ayant une population majoritairement d’origine européenne ou nord-africaine. Et le peuple ivoirien peut donc être considéré comme le premier à en avoir fait l’éclatante démonstration.