En prévision des difficiles négociations en perspective avec le Fonds monétaire international (FMI), pour l’obtention de nouvelles facilités de crédit et face à la poursuite de «la grève d’investissement» observée, depuis 2011, par les chefs d’entreprise locaux, la marge de manœuvre du gouvernement Fakhfakh pour relancer l’économie du pays et entreprendre les réformes structurelles souhaitées s’annonce mince.

ABOU Sarra

C’est du moins ce que pensent beaucoup d’observateurs de l’économie tunisienne. Les plus pessimistes d’entre eux estiment que le FMI demande toujours aux gouvernements tunisiens de sabrer dans les investissements.

En effet, début avril 2020, le FMI a exigé du gouvernement Fakhfakh la mise en œuvre de quatre conditionnalités en contrepartie d’un financement d’urgence d’environ 753,2 millions de dollars.

Octroyé dans le cadre de l’Instrument de financement rapide (RFI) pour faire face aux conséquences de la pandémie Covid-19, ce financement a été accompagné par quatre engagements.

La lettre du 10 avril 2020

Dans une lettre d’intention, en date du 10 avril dernier adressée au FMI, cosignée par le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Marouane Abassi, et le ministre de Finances Nizar Yaïche, le gouvernement tunisien s’est engagé à réduire les subventions à l’électricité, au gaz naturel et aux carburants, d’augmenter le prix du tabac et de contenir la masse salariale de la fonction publique en empêchant, pour 2020, toute embauche, promotions non statutaires ou nouvelles augmentations de salaire. 

Point d’orgue de ces engagements, celui qui consiste à rééchelonner temporairement, selon la lettre précitée, des investissements publics de 3,4 milliards de dinars et de les allouer à des dépenses d’investissement liées à la Covid-19.

Il s’agit d’une situation peu motivante pour le gouvernement Fakhfakh d’autant plus qu’après la Covid-19, experts et autres agences spécialisées de l’ONU (PNUD, Banque mondiale…) recommandent le retour de l’“Etat social“, voire l’“Etat providence“, et son corollaire, l’intensification de l’investissement public dans les domaines prioritaires de l’éducation, de la santé et du transport.

Plus grave encore, le gouvernement Fakhfakh ne peut pas compter sur l’investissement privé tunisien pour suppléer l’investissement public en raison de la poursuite de «la grève d’investissement» qu’observent les hommes d’affaires locaux, depuis 2011.

Ces derniers, diabolisés pour leurs accointances avec l’ancienne dictature de Ben Ali (en tout cas la plupart d’entre eux) et arnaqués abusivement par les partis politiques, dix ans durant, refusent d’investir, notamment à l’intérieur du pays. Principale raison évoquée : ils n’ont pas confiance dans les syndicats et les politiques du pays.

La dimension dramatique de ce rapport avec le FMI réside dans le fait que la Tunisie ne peut pas se passer de cette institution et ne peut pas la contourner. La tradition est ainsi faite : sans un accord avec le FMI, la Tunisie ne peut pas bénéficier de l’assistance financière d’autres bailleurs de fonds comme la Banque mondiale, la BEI, la BERD, l’AFD, la BAD et même le FADES.

Pour mémoire, le FMI a été amené, fin 2019, à annuler les deux dernières tranches (1,2 milliard de dollars) du crédit de 2,9 milliards de dollars, accordé en mai 2016, sur quatre ans à la Tunisie au titre du mécanisme élargi de crédit (MEDC). Le Fonds a justifié cette annulation par la non-exécution par le gouvernement Youssef Chahed des réformes convenues.

Un accord avec le FMI doit s’insérer dans une vision globale

Sur ce sujet, en fin observateur de l’économie tunisienne, Hédi Larbi, économiste et ancien ministre de l’Equipement, a un point de vue très intéressant. Il en a longuement parlé en marge des dernières élections générales.

Globalement, il estime que la principale erreur des gouvernements qui se sont succédé depuis 2011 a été leur focalisation sur le programme d’ajustement du FMI et sur les réformes recommandées par cette institution. «Ils ont omis de s’occuper de la croissance et de la relance économique», relève-t-il.

Quatre mois après sa nomination, le nouveau chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh semble tomber dans le même piège que ses prédécesseurs, celui de se focaliser sur le FMI.

«Car généralement, dit-il, le champ d’intervention du FMI n’est pas la politique de croissance mais l’équilibre budgétaire et monétaire. C’est pour cela que les réformes proposées par le Fonds ciblent en priorité l’équilibre budgétaire et celui des finances publiques. Ainsi, les réformes engagées depuis 2015, à titre indicatif, n’étaient pas des réformes de relance de l’économie, de la croissance et de l’emploi. L’objectif était de limiter les dégâts avec des mesurettes du genre : la masse salariale ne devait pas dépasser tels seuils, rétablissement de l’équilibre des fondamentaux, augmentation du TMM, augmentation de la pression fiscale, dépréciation du dinar… Le gouvernement était focalisé sur les pécules qui devaient rentrer (versement des tranches du crédit du FMI) et sur les réformes qui devaient les accompagner».

Pour Hédi Larbi, le gouvernement de Youssef Chahed n’a jamais dévoilé un quelconque programme de relance, parce que cela supposerait d’intégrer les réformes préconisées par le FMI. «La règle étant de faire en sorte que le programme d’ajustement du FMI soit une simple composante d’un programme global du gouvernement et non l’unique programme à exécuter. En plus clair, le programme du FMI ne devait pas se substituer au programme du gouvernement», pense-t-il.

Le message de Hédi Larbi est clair : les relations avec le FMI ne doivent être qu’une composante d’une vision globale de l’économie du pays.

Quelles niches pour relancer l’économie ?

En quelque sorte, Hédi Larbi conseille au gouvernement Fakhfakh d’explorer, parallèlement au programme du FMI, d’autres niches à même de générer des milliers d’emplois, soulager les finances publiques et dégager d’importantes ressources fiscales. Trois d’entre elles méritent qu’on s’y attarde.

La première consiste à engager une politique de digitalisation tous azimuts ; laquelle politique présente l’avantage d’éradiquer la corruption et de faire rentrer dans les caisses de l’Etat d’importantes sommes d’argent.

La deuxième niche porte sur l’accélération de l’adoption de deux projets de loi qui devraient réduire, de manière significative, l’impact négatif du secteur informel, en l’occurrence le projet de loi sur l’Economie sociale et solidaire (ESS) et celui sur le statut du micro-entrepreneur ou auto-entrepreneur. Ensemble, ces deux projets, s’ils étaient adoptés dans les meilleurs délais, sont à même de créer plusieurs centaines d’emplois et de de petits métiers, mais également de contribuer à “formaliser“ le secteur du commerce parallèle.

Quant à la troisième, elle consisterait à encourager les Tunisiens à accéder à la propriété, soit en leur cédant les terrains domaniaux sur lesquels ils ont construit leur logement, soit en leur vendant les logements sociaux qu’ils louent.