La crise du Covid-19 est totalement différente des crises antérieures. Elle se manifeste par un double choc d’offre et de demande inédits touchant au passage la finance publique.  

Le risque est qu’elle se transforme en un choc permanent ce qui compliquerait la capacité des politiques économiques pour la sortie de crise et le retour au trend pré-crise qui pourrait prendre du temps. 

Par Taoufik Rajhi

L’incertitude sur la durée du confinement et son impact sur les entreprises ainsi que l’ampleur du choc émotionnel et psychologique sur le comportement des ménages seraient importants à comprendre. 

Le choc de la demande viendrait du comportement imprévisible des ménages qui risquent de se tourner vers la thésaurisation et l’épargne par précaution et se détourner de la consommation des services par peur d’un risque sanitaire invisible. 

Le changement des habitudes, l’angoisse permanente d’attraper le virus conduirait à un confinement psychologique désastreux dont les conséquences seront gravissimes sur la demande. 

La meilleure politique de relance est la politique publique de santé qui organiserait le dé-confinement atténué et dédramatisé pour ne pas entraîner une baisse durable de la demande. La consommation, hors alimentaire, en particulier celle des services (cafés, restaurants, loisirs, hôtels, cinéma…) est le moteur de la croissance. Les autorités publiques doivent rassurer tout en responsabilisant les citoyens quant à la nécessité de se protéger et de se prémunir pour préserver leur santé.

Les professionnels doivent, pour leur part, prendre les mesures adéquates pour travailler avec le moins possible de risques.

L’impact sur le pouvoir d’achat des salariés est, il faut le reconnaître, une préoccupation majeure, car, avec un pouvoir d’achat amoindri, la demande serait sapée. Soutenir le pouvoir d’achat des salariés, au-delà de l’aspect social, est la meilleure des politiques de relance. 

Ce soutien devrait être mieux organisé dans un cadre économique et non social comme celui d’une “caisse d’assurance chômage”.

Le soutien aux tranches vulnérables de la population est aussi de mise mais devrait être plus ciblé et organisé.

Les politiques fiscales incitatives telles la réduction de l’impôt ou de la TVA vont sûrement se heurter à la contrainte budgétaire de l’Etat. Elles pourraient toutefois être sélectives par secteur, comme la baisse de la TVA sur les installations des énergies renouvelables ou l’immobilier qui pourrait être un refuge pour certains. 

Les pouvoirs publics doivent être totalement engagés pour protéger le tissu productif

Le choix du confinement était indispensable mais l’incertitude sur son impact sur l’économie dépend de sa durée. Il est certain que les marges des entreprises, leurs trésoreries, leur profitabilité, leurs capacités d’investissement, leurs taux d’endettement vont fortement chuter.

Si pendant le confinement les entreprises font face à des problèmes de liquidités et de trésoreries, le dé-confinement sera synonyme de problèmes de solvabilité. Le risque de fragiliser le tissu productif de l’économie est réel et la responsabilité des pouvoirs publics dans l’accompagnement des opérateurs doit être pleinement engagée.

Dans cette situation, ce qu’il faut c’est une relance classique de type microéconomique et pas une relance keynésienne. La meilleure des politiques de relance est le dé-confinement rapide et sans risques.

La politique de soutien au tissu productif ne doit pas du tout être globale mettant dans le même sac des entreprises hétérogènes. Elle doit être sectorielle et s’attacherait à venir au chevet des secteurs sinistrés en premier lieu. Elle pourrait passer par les allègements fiscaux, aménagement des cotisations sociales, multiplication des garanties de crédit et autres.

Soutenir l’investissement des entreprises serait un enjeu considérable, mais là aussi, il faudrait innover. L’ajustement budgétaire par l’investissement public serait néfaste aux entreprises parce qu’il est la locomotive de l’investissement privé et accentuerait la récession.

Le pays est déjà en sous-investissement structurel, et réduire l’investissement dans un contexte d’épargne de précaution ne ferait qu’empirer la situation. Il faudrait à tous prix penser aux mesures d’amortissement dégressif et physique. Penser à mieux doter les agences de garantie des risques et accélérer le processus de mise en place de la Banque de région fruit de la fusion des principaux instruments de financement des PME.

Et l’Aigle, l’Etat, dont de la survie dépend la survie de ses enfants (entreprises, salariés, population vulnérable…)? L’Etat a aujourd’hui une double incertitude et un double problème. Une incertitude sur les recettes mais aussi sur les dépenses. Un problème conjoncturel mais aussi structurel. Aujourd’hui, le conjoncturel est en train d’aggraver le structurel. C’est la situation des entreprises publiques et des caisses sociales et en prime la CNAM. Du jamais vu de mémoire d’économiste. C’est l’Etat qui devrait financer le confinement et le dé-confinement. Deux principes se dégagent.

On ne gagne pas une guerre si on ne connaît pas l’ennemi

La première tâche est de lever l’incertitude. On ne gagne pas une guerre si on connaît pas les capacités destructrices de l’ennemi, le terrain et si on n’envisage pas les différents scénarios.

Partout dans le monde, on navigue à vue. La France, par exemple, est à son troisième collectif budgétaire. Réduire l’incertitude sur l’impact de la crise-c est important, car à partir de là on arrive à évaluer l’ampleur des dégâts et les coûts et les moyens de l’intervention.

Gagner une guerre ne nécessite pas d’attaquer tous les fronts en même surtout lorsque vous n’avez pas les moyens. Priorisez et attaquez le conjoncturel en premier lieu, mais agissez pour accélérer les reformes structurelles liées à la Crise-C.

En jargon d’économiste, travaillez pour ramener l’économie à son trend central et ne cherchez pas à relancer car vous n’avez pas les moyens. Protéger le niveau du PIB potentiel qui risque de diminuer par la Crise-C. Ramener les courbes d’offre et de demande globales à leurs niveaux d’avant-Crise, c’est une tache urgente. Car il y a un temps pour le conjoncturel et un autre pour le structurel.

Employer l’artillerie lourde de type « Hélicoptère monétaire » ou rééchelonnement de la dette est très dangereux. On peut invoquer, sans menace inflationniste, la facilité de caisse et la baisse des taux et l’achat massif des bons de trésor sans risques de sanctions des marchés financiers, la réattribution de la dette. Le reste. Il faudrait l’explorer avec prudence et assez vite.

Il est légitime aujourd’hui en temps de crise de se tourner vers la BCT et les institutions internationales (IFI) pour trouver le financement nécessaire. D’ailleurs, aucune organisation nationale ne pourrait aider en matière de financement. Le salut viendra de la BCT et les IFI.