Pour assurer en cas de crise majeure, il faut savoir anticiper et avoir un coup d’avance. C’est ce qu’a fait la Pharmacie centrale de Tunisie (PCT) en lançant, depuis le début de l’année, des commandes fermes payées d’avance pour l’acquisition de stocks de médicaments vitaux et de première nécessité et garantir l’approvisionnement du marché national en équipements de protection nécessaires pour lutter contre la pandémie du Covid-19.

Mieux encore, la PCT a acheté des stocks importants de chloroquine pour éviter tout risque de pénurie au cas où le protocole de soin chloroquine s’avère efficace contre le virus. Entretien avec Khalil Ammous, PDG de la PCT.

WMC: Au-delà de la crise du covid-19, un problème se pose : celui de l’approvisionnement de notre pays en médicaments destinés à d’autres maladies au vu du ralentissement des échanges commerciaux. Le chef du gouvernement a assuré à ce propos que les stocks dont a besoin le pays sont assurés. Qu’en est-il au niveau de la PCT?

Khalil Ammous: Dans un premier temps, nous avons négocié avec les fournisseurs étrangers et passé nos commandes depuis le début de l’année. Les commandes sont échelonnées sur janvier, avril et juillet.

Conscients que les délais de livraison allaient être retardés de 15 jours, nous avons avancé la commande de juillet au mois en cours.

Ceci étant, ne paniquons surtout pas, les frontières ne sont pas totalement bloquées, les livraisons des médicaments sont assurées.

D’ailleurs, un bateau est en route vers la Pharmacie centrale avec la livraison du plaquénil et l’hydroxychloroquine.

Pour parer aux retards de certaines livraisons, nous avons revu notre planning et examiné avec nos fournisseurs les raisons des retards afin d’y trouver des réponses.

Afin d’éviter les risques des pénuries, nous avons établi des listes comprenant de nouveaux fournisseurs pour pallier aux défaillances. Nous sommes confiants, nous aurons tout ce dont nous avons besoin et en prime les produits de première nécessité disponibles sur le marché national.

Nous avons, comme vous le savez, convenu avec le ministère des Finances et accord du Premier ministère, du déblocage de la somme de 300 millions de dinars pour honorer nos engagements.

Aujourd’hui, nous pouvons affirmer que notre pays dispose d’un stock de médicaments valable pour les trois mois à venir, et je spécifie, il s’agit des médicaments vitaux et essentiels pour éviter tout manque surtout s’agissant de maladies chroniques ou graves comme le cancer ou les maladies cardiovasculaires.

Donc il n’y a plus de problème de règlement des fournisseurs ?

Nous n’avons pas de problèmes de paiement, il s’agit plus d’une question d’approvisionnements en produits médicamenteux. Les fournisseurs locaux sont tous payés et nous avons informé nos fournisseurs étrangers que leurs règlements seront effectués dans les 15 jours, et que par conséquent ils doivent nous préparer les livraisons programmées.

Qu’en est-il des équipements de protection contre le coronavirus ?

Les équipements de protection sont aujourd’hui devenus un problème mondial ! Et nous avons même assisté à des détournements de livraisons d’équipements ou de matériel médical.

Il y a aujourd’hui une surenchère sur les médicaments et les équipements, et comme on le voit, la base de l’approvisionnement est la Chine où les pays riches se servent directement en payant sur place.

En ce qui nous concerne, nous avons envoyé nos commandes depuis le 24 mars et payé d’avance de surcroît, et ce en collaboration avec le ministère des Finances et la BCT.

Notre ambassadeur en Chine a assuré le suivi depuis l’avancement de la production, la collecte de la marchandise, le transfert des commandes vers les aéroports, etc. Une opération compliquée mais bien menée grâce à une parfaite coordination entre la PCT et notre représentation diplomatique sur place.

D’ici la fin de cette semaine, nous aurons, dans un premier temps, ce qu’il nous faut : des masques FFP2, des visières, des blouses et des sur-blouses, des coiffes, des cagoules, des tabliers imperméables et des surchaussures.

Face à la guerre que se livrent plus puissants que nous, n’avons-nous pas les moyens nous en Tunisie pour au moins fabriquer des masques ?

A l’échelle nationale, il y a déjà 5 industriels spécialisés dans la fabrication des masques chirurgicaux jetables, et la fabrication locale ne peut satisfaire à nos besoins qui sont énormes pour lutter contre le Covid-19.

Les ministères de la Santé et de la Justice ont signé une convention qui permet aux détenues à la prison de La Manouba de confectionner des masques 100% coton (3 couches) lavables. La Pharmacie centrale a acheté la matière première, le tissu spécial, l’élastique, l’emballage et les cartons.

Nous tablons pour commencer sur 200 mille masques, et j’espère, en impliquant les privés, atteindre les 2 millions de masques.

Concernant la lutte contre le Covid-19, on accuse l’Etat tunisien d’avoir privilégié la PCT en lui fournissant l’alcool pour la fabrication du gel hydro-alcoolique via la régie d’alcool et d’en avoir privé les privés.

Il est vrai que le gel hydro-alcoolique a fait l’objet d’un débat houleux et pour de nombreuses raisons.

Tout d’abord, beaucoup d’industriels le fabriquent sans avoir l’agrément de la direction d’hygiène et de l’environnement et sans respecter les critères de qualité pour la fabrication du produit.

Sans oublier que conjoncture oblige, les autorités de la santé et le gouvernement ont décidé d’orienter tout le stock d’alcool vers les besoins de l’heure pour la lutte contre le Covid-19. Ce qui veut dire minimiser son usage à destination d’autres produits comme les cosmétiques ou les parapharmaceutiques.

Rappelez-vous, avec la hausse de la demande, les prix ont augmenté. Il y a même des fournisseurs qui ont acheté l’alcool et au lieu de fabriquer avec leurs produits se sont empressé de le revendre à prix forts. Parce qu’il y a eu spéculation. Nous avons discuté avec les ministères de la Santé et des Finances et après étude de la situation, les autorités ont convenu d’accorder le droit de fabrication du gel à 3 secteurs.

Il s’agit des sociétés privées qui ont l’agrément légal de la Direction de la santé et de l’hygiène, de l’industrie pharmaceutique, ou les industriels qui ont un pharmacien agréé au sein de leurs équipes même s’ils n’ont pas l’agrément. Ceci pour garantir la qualité du produit et non pour bloquer les privés.

Lors d’une précédente interview, vous aviez assuré que toutes les tractations de la PCT seront digitalisées et ce depuis le lancement de l’appel d’offres jusqu’à la livraison et le paiement. Qu’en est-il aujourd’hui ?

Nous avons beaucoup avancé sur ce dossier. Maintenant les appels d’offres de 2020 sont injectés au niveau du système, et c’est le système qui procède au lancement des bons de commande et qui permet de contrôler toutes les opérations jusqu’au paiement du fournisseur.

Nos opérations avec les grossistes sont elles aussi automatisées.

Et pour ce qui est de l’approvisionnement des hôpitaux publics ?

A la PCT, nous nous sommes organisés de manière à ce que la première semaine de chaque mois, nous honorions les principales commande de tous les hôpitaux. C’est le meilleur moyen d’optimiser l’efficience et faire des économies.

Ainsi, au lieu de livrer 4 fois, nous avons mis en place un planning pour livrer une seule fois. Les camions de la Pharmacie centrale se déplacent et livrent pour tous les hôpitaux les besoins d’un mois.

Même chose pour ce qui est des besoins des structures régionales de la Pharmacie centrale parce qu’elles aussi livrent aux hôpitaux.

Il est évident que nous assurons, s’il y a urgence ou des besoins supplémentaires. Cette nouvelle approche nous permet d’identifier les médicaments les plus demandés, de parer au manque, et nous pouvons même, en nous basant sur la demande médicamenteuse, avoir plus d’informations sur la cartographie sanitaire dans notre pays.

Face à l’évolution des maladies infectieuses de par le monde et aux risques encourus par nos pays, ne pensez-vous pas qu’il est temps qu’il y ait développement de la recherche sur les nouvelles maladies dans notre pays, surtout que l’Institut Pasteur tunisien figure parmi les meilleurs dans notre région ?

C’est impératif. Le ministère de la Santé et celui de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ont eu des réunions à ce propos. Un budget a été consacré à la recherche scientifique dans le secteur médical. Le ministère de l’Enseignement a alloué un montant de 5 millions de dinars pour la recherche.

Pour ce qui est de l’Institut pasteur, il est important de lui donner les moyens pour qu’il procède à plus de recherches.

Les mois à venir verront la consolidation des lignes budgétaires consacrées à la R&D.

Entretien conduit par Amel Belhadj Ali