Le confinement est nécessaire mais il ne résoudra pas tous les problèmes. Faire face au coronavirus nécessite une feuille de route et la combinaison de plusieurs stratégies.

Pour résoudre le problème définitivement, il faudrait :

  • Affaiblir ou neutraliser le virus avec un vaccin ou un médicament et,
  • Renforcer les capacités des individus à résister à ce virus en développant leur immunité individuelle ou collective.

Ce sont les deux seules vraies solutions qui pourraient résoudre le problème (du moins provisoirement).

Mais, faute de pouvoir rapidement stopper le virus, il faudrait rapidement limiter sa progression et atténuer ses effets sur les individus, sur le système de santé et sur la société. Les décisions et les actions devraient alors concerner trois principaux axes stratégiques :

  • Gagner du temps en freinant la propagation du virus et en cassant ses chaînes de transmission de façon à subir moins de pression et à mieux se préparer pour répondre à la demande de soins;
  • Agir sur l’offre de services de santé et renforcer les capacités de notre système de santé afin d’amortir le choc des malades en situation de détresse et enfin,
  • Renforcer les capacités de résilience de l’ensemble de la société.

Cette réflexion vise à faire le point sur les réponses possibles à cette épidémie et à aider les lecteurs à mettre un peu d’« ordre dans leurs idées » sur un thème relativement confus et traversé de bout en bout par les émotions. Nous essayerons de vulgariser et de présenter, de façon simple et synthétique (pédagogique), chacun des cinq axes stratégiques qui nous semblent devoir structurer la lutte contre le COVID-19. Nous conclurons par les conditions essentielles pour la réussite de la stratégie de lutte contre le COVID-19.

Les stratégies pour stopper le virus

Axe stratégique 1 – Affaiblir ou neutraliser le virus avec un vaccin ou un médicament. La recherche scientifique progresse rapidement mais les informations sont relativement confuses. Les considérations mercantiles des grands groupes pharmaceutiques et des intérêts financiers ne manquent pas. Certains annoncent un vaccin pour septembre ou pour fin 2020, d’autres pronostiquent au moins une année pour la commercialisation du premier vaccin . D’ici là, le virus aura fait des milliers de victimes. La piste d’un autre médicament (notamment la chloroquine qui serait utilisée comme traitement dès le diagnostic) devrait être envisagée très sérieusement. (L’Etat devrait lancer dès aujourd’hui des tests et une opération de production ou de commande en masse de ces médicaments).

Axe stratégique 2 – Renforcer les capacités des individus à résister au virus en développant leur immunité individuelle et collective.

  • Sur le plan individuel, il faudrait travailler de façon préventive sur la demande (et les besoins) en services de santé en améliorant l’immunité des personnes saines. Pour cela, on pourrait classer la population par type (âge, vulnérabilités, etc.) et lançer un programme qui s’adresse spécifiquement à chaque groupe social afin d’essayer d’améliorer son immunité. Ceci exige notamment une hygiène de vie et des comportements préventifs (faire du Coronavirus une « occasion unique » pour arrêter de fumer et s’abstenir de tout comportement pouvant avoir un risque sur la santé ou pouvant affaiblir l’immunité individuelle). Ceci nécessité également d’aider les individus à avoir un régime alimentaire équilibré, riche en protéines et en produits qui renforcent leur immunité.
  • Sur le plan collectif, et sans vraiment le dire, certains pays semblent avoir choisi d’essayer d’opérer une sélection de la demande de services de santé « solvable », en acceptant (et en surveillant) une diffusion lente et contrôlée du virus qui permettrait une « immunisation collective » et, à l’image d’autres pandémies (la grippe espagnole), une disparition « spontanée » du virus. Ceci passe par la concentration de l’offre de services de santé sur les cas urgents et par sa canalisation vers les personnes les plus vulnérables. Les personnes les moins vulnérables, qui auraient a priori, plus d’immunité pour résister aux effets du virus, ne seraient prises en charge que dans les situations extrêmes. Le problème est que cette stratégie est risquée : le virus peut très bien muter (et comme toutes les souches de la grippe qui mutent d’une année à l’autre, le coronavirus l’aurait déjà fait), on n’est pas certain que l’on ne peut attraper qu’une seule fois le coronavirus, on ne connait pas de façon précise le « seuil d’immunité grégaire » qui permettrait ensuite de protéger l’ensemble de la population (l’estimation de 60 à 70% de la population reste hypothétique) et on prend le risque de compter un plus grand nombre de morts (surtout dans les populations les plus fragilisées).
  • Les stratégies pour atténuer les effets du virus

Axe stratégique 3 – Gagner du temps en freinant la propagation du virus et en cassant ses chaînes de transmission de façon à subir moins de pression et à mieux se préparer pour répondre à la demande de soins. Il s’agit de viser deux objectifs : éviter un « pic » de malades qui désorganiserait le système de santé, le paralyserait et entrainerait un trop grand nombre de décès ; gagner du temps en attendant une solution radicale (médicament ou vaccin).

Cet axe stratégique suppose de minimiser les déplacements (viser un idéal de zéro déplacement) ; minimiser les contacts entre individus (viser un idéal de zéro contact physique entre les individus) et systématiser les « gestes barrières » et la « chasse au virus » par des opérations quotidiennes de désinfection (surtout des lieux publics).

Concrètement, la réponse collective progressive consiste à :

  1. Stopper toute entrée de personne porteuse du virus (malade ou pas) sur le territoire national
  2. Confiner les porteurs du virus et les soigner (le confinement devrait se dérouler dans un lieu isolé et gardé)
  3. Avoir une traçabilité de toutes les personnes qui ont été en contact avec des porteurs du virus et traiter ceux-ci comme des porteurs potentiels du virus (notamment en les testant)
  4. Mettre en quarantaine toutes les personnes à risque (les personnes à risque sont celles qui ont été en contact avec des porteurs du virus. Pour des raisons de logistique, leur confinement peut se faire à domicile).
  5. Tester toute personne à risque (Si le virus se diffuse de façon très importante, toute la population est considérée comme « à risque ». Le test de toute la population est difficile, couteux et peut s’avérer inutile)
  6. Isoler les personnes âgées
  7. Interdire les rassemblements (soit toutes les formes de rassemblements, soit, dans certaines situations, ceux qui dépassent un certain nombre de participants)
  8. Stopper toute entrée de l’étranger de personnes à risque (fermeture partielle ou complète des frontières)
  9. Limiter et ensuite interdire tous les déplacements non nécessaires (confinement partiel, local, régional ou total).

Chaque mesure (détecter ou isoler des porteurs potentiels, tester, interdire les rassemblements ou la mobilité, confiner, etc.) exige une adhésion populaire et un grand sens de la responsabilité. Chaque mesure a également un coût économique et social qui devra être évalué et optimisé. Ces mesures sont compliquées par le fait que des personnes porteuses du virus peuvent ne pas être malades et par le décalage (estimé à une à deux semaines) entre l’infection par le virus et l’apparition de la maladie.

Aujourd’hui, la Tunisie a choisi de passer au confinement des populations. Une solution difficile à mettre en œuvre et qui ne peut durer éternellement.

Il est clair que le confinement total et à l’infini n’est pas possible. A partir de ce moment il faut avoir une feuille de route et choisir les solutions les moins “pénibles”.

Alors que certains spécialistes prônent d’alterner des périodes de confinement avec des périodes plus « souples » de façon à essayer de gérer le nombre d’infections en le gardant en dessous des capacités d’accueil du système de santé et de gagner du temps, une solution alternative serait de faire suivre une période de confinement renforcé, par une généralisation progressive (mais rapide) des tests de dépistage. A la limite seuls ceux qui auraient passé un test de dépistage auraient le droit de circuler partiellement alors que les autres resteraient en confinement. Le confinement serait ici utile pour se donner du temps et préparer le test de 40 à 50% de la population.

A moyen terme, il faudra trouver des solutions pour :

  • Gérer efficacement le confinement en ayant recours, s’il le faut, à des moyens forts pour s’assurer de son respect.
  • Développer les moyens et améliorer les conditions du transport collectif (transport par l’armée, réquisitionner les bus touristiques, plus grande fréquence des dessertes, nombre maximal d’usagers par moyen de transport, etc.).
  • Développer une organisation du travail qui évite autant que possible les rassemblements (travail à distance, aménagement des espaces de travail, gestion des flux, etc.).
  • Mettre en œuvre une nouvelle organisation du temps de travail (temps de travail plus court, mieux réparti sur toute la journée, sur toute la semaine et sur toute l’année).
  • Généraliser rapidement les tests de dépistage du COVID : l’OMS préconise cette stratégie qui permettrait notamment de détecter les personnes asymptomatiques et de les confiner. Cette stratégie qui expliquerait les bons résultats de la Corée du sud, exige elle aussi des moyens importants. Elle reste moins onéreuse qu’une hospitalisation ou qu’un arrêt complet de l’économie.

Le principal avantage de la stratégie « gagner du temps » est de permettre de développer une meilleure offre de services de santé, d’adapter graduellement les comportements des individus et de mieux se préparer sur tous les plans (logistique, technologique, humain, etc.). Son deuxième avantage est qu’elle permettrait une évolution graduelle et possiblement contrôlée vers une immunité collective (plus de 60% de la population touchée, mais en limitant le nombre de décès).

Axe stratégique 4 – Agir sur l’offre de services de santé et renforcer les capacités de prise en charge des malades : il s’agit notamment de :

  • Concentrer et rationaliser l’offre de services de santé en adoptant une posture de management de projets
  • Commencer à aménager des hôpitaux de campagne ou des lieux (hôtels, foyers, ou autre) susceptibles d’être transformés en hôpitaux de campagne
  • Se préparer pour le cas échéant, réquisitionner rapidement un certain nombre de cliniques privées
  • Focaliser l’offre de services de santé sur les cas urgents réellement liés au COVID-19 et éviter la dispersion des moyens et des efforts. Il s’agira de dissuader (reporter) toute demande de services de santé non réellement urgente et d’essayer de limiter la pression sur les hôpitaux et les services d’urgences. Cela exigera notamment de bien faire fonctionner une médecine de première ligne (médecin de famille, dispensaires, SAMU, etc.), de faciliter et d’accélérer les tests, de faciliter une forme d’autodiagnostic sur internet ou à distance, de lancer des consultations à distance, de bien informer afin de rassurer et d’éviter les « malades imaginaires », etc. Bref, tout faire pour éviter tout congestionnement des services de santé et faire en sorte que seuls ceux qui ont réellement besoin d’une prise en charge urgente puissent se présenter à un service d’urgences. Ceci permettrait de limiter le nombre de décès liés directement au Coronavirus, mais également le nombre de « dommages collatéraux » liés aux décès de personnes à cause de la saturation du système de santé.
  • Mettre en place une organisation efficace des hôpitaux et notamment des services des urgences et des soins intensifs (services d’accueil et de tri des malades, réaffectation d’espaces aux soins intensifs, service de sécurité pour éviter toute violence, service d’accueil des familles, transfert des malades, gestion des décès, etc.). Chaque hôpital a déjà sa cellule de crise, il faudrait veiller à la cohérence et l’efficacité de l’action et à l’unicité du commandement.
  • Mobiliser, organiser, soutenir et surtout protéger les ressources humaines nécessaires. Il faudrait notamment prévoir toute l’aide matérielle, logistique et psychologique nécessaire au personnel de santé de façon à lui permettre de se dédier entièrement à ses missions et de le préserver aussi bien des risques de contamination que des soucis du quotidien.
  • Disposer des stocks de médicaments, des instruments et des outils de travail et de protection du personnel de santé nécessaires (renforcer rapidement le stock de lits de soins intensifs, de ventilateurs, de masques, bavettes, blouses, instruments de travail, etc. nécessaires)
  • Accélérer la circulation des informations et des connaissances sur tout ce qui se passe dans le pays et dans les différents centres

Axe stratégique 5 – Renforcer les capacités de résilience sociale et agir sur l’ensemble des secteurs de l’économie et de la société afin de permettre à la vie de continuer dans des conditions acceptables et pour apporter le soutien nécessaire au système de santé. L’équilibre économique, social mais également psychologique des citoyens doit être l’objet d’un travail à part. Les emplois et les entreprises devraient être préservés. L’enseignement à distance, les aides sociales, etc. ne doivent pas s’arrêter. Le recours aux TIC devrait permettre aux élus de rester proches et à l’écoute de leurs électeurs. Des comités de quartier peuvent être mis en place.

La résilience de la société c’est notamment la capacité des plus faibles à s’adapter. Un « contrat social » entre des personnes (notamment des jeunes) qui n’ont plus grand chose à perdre, et d’autres qui ne veulent rien perdre, voire qui voient en la crise une opportunité pour gagner encore plus, ne sera pas tenable. Si le virus « touche toutes les classes sociales sans distinction », l’Etat devra quand même donner des signaux forts de soutien aux plus faibles.

  • Les conditions de réussite de la stratégie

Nous finissons en présentant sept conditions pour la réussite de la stratégie de lutte contre le COVID-19

  1. L’anticipation et la rapidité de l’action : le temps est une variable fondamentale dans la lutte contre le virus. Il faudrait lever tous les obstacles réglementaires et bureaucratiques et anticiper toutes les évolutions possibles en s’inspirant de ce qui se passe ailleurs. Toute hésitation est un cadeau fait au virus.
  2. Le partage de l’information grâce à l’usage des plateformes de façon à créer une intelligence collective et à éviter les émotions collectives négatives.
  3. La mise à disposition et la bonne organisation et formation de toutes les ressources humaines mobilisables (y compris les médecins du secteur privé, les forces armées et les étudiants en médecine ou dans d’autres spécialités utiles)
  4. L’innovation : celle-ci peut-être liée à des technologies particulières ou à des accomodements voire des bricolages locaux qui auraient des résultats positifs.
  5. La stricte application de la loi de façon à imposer une discipline individuelle et collective
  6. La solidarité de l’ensemble des tunisiens
  7. La confiance envers la parole des dirigeants qui devront avoir des qualités de leadership.

Karim Ben Kahla