Sécurité : Voici pourquoi la démission d’Abderrahman Belhadj Ali n’est pas une surprise

En dépit des réussites accomplies, depuis un an et 15 jours à la tête de la sûreté nationale, la démission-limogeage d’Abderrahman Belhadj Ali et son remplacement par Ramzi Rajhi à la tête de la Direction générale de la Sûreté national n’est vraiment pas “une surprise” pour les gens qui connaissent bien la chose sécuritaire tunisienne.

Certains Tunisiens savaient que ce superflic au temps du dictateur Ben Ali, repêché par l’ancien chef du gouvernement Habib Essid, n’était pas du goût de la famille royale actuelle.

Il était particulièrement dans le viseur de la progéniture du président de la République, Hafedh Caïd Essebsi, qui, par le canal de Abdelaziz Kotti, alors porte-parole du parti Nidaa Tounès, l’avait accusé, en juillet 2016, d’espionnage et de filature.

Abderrahmane Belhadj Ali était dans le collimateur

D’après Kotti, “au lieu de s’occuper de faire tourner la machine sécuritaire, Abderrahman Belhadj Ali aurait constitué une brigade spéciale chargée d’espionner le président de la République, sa famille et des membres de Nidaa Tounes”.

Beaucoup d’observateurs et d’analystes ont perçu dans cette déclaration “frontale” les motifs qui ont amené Béji Caïd Essebsi à proposer sa fameuse initiative de gouvernement d’union nationale. “L’ultime but non avoué de cette initiative n’étant, selon eux, ni un but d’union ni un but d’intérêt national. Il s’agissait, tout simplement, d’écarter Abderrahman Belhadj Ali de son poste. L’écartement de l’ancien chef du gouvernement était juste un alibi”. Cela pour dire combien Abderrahman Belhadj Ali dérangeait l’establishment.

Seulement, compte tenu des succès notoires accomplis par ce dernier en matière de lutte contre le terrorisme, son limogeage n’était pas facile, à l’époque.

Il a fallu attendre qu’il commette quelques erreurs pour s’en débarrasser. Et apparemment, c’est ce qui s’est passé. Il s’est fait piéger, ces dernières semaines. Sur les réseaux sociaux, le super flic, connu pour être partisan de la manière forte, aurait abusé en réglant ses comptes, de manière trop musclée, avec quelques bloggeurs qui l’ont pris à parti.

Guerre des écoutes

Pour d’autres observateurs, c’est l’annonce en marge du marathon budgétaire par Selim Azzabi, directeur du cabinet présidentiel, de la création d’une Agence nationale des renseignements relevant de la présidence de la République qui aurait accéléré son départ.

Cette agence présidentielle aurait reçu pour mission de partager le délicat dossier de l’écoute avec trois autres départements, à savoir le ministère de la Défense nationale -qui a sa propre agence créée en 2014-, le ministère de l’Intérieur avec ses deux têtes -la police et la garde nationale.

Charismatique et héritant une arrogance et un orgueil déplacés, Abderrahman Belhadj Ali, se sentant menacé dans son propre fief et refusant le partage de ce dossier, aurait été acculé soit d’accepter le fait accompli, soit de démissionner.

La seule zone d’ombre dans cette démission-limogeage c’est la nature du rôle qu’aurait pu jouer le président de la République, Béji Caïd Essebsi. Les questions qu’on ne peut pas s’interdire de se poser sont: comment, en sa qualité de président du Conseil supérieur de la sécurité nationale, a-t-il toléré qu’une décision de cette ampleur, en l’occurrence “la démission-limogeage de Abderrhaman Belhadj Ali” soit concoctée et prise alors qu’il était à Alger, en train de discuter de problèmes sécuritaires stratégiques avec le président algérien, Abdelaziz Bouteflika? Est-ce qu’une telle décision, fût-elle personnelle, n’aurait pas pu attendre quelques heures? Ou au contraire y a-t-il un lien entre sa visite à Alger et ce limogeage-démission, d’autant plus que les problèmes sécuritaires étaient au centre de l’entretien qu’il avait eu avec le dirigeant algérien?

Quant au superflic démissionnaire, après s’être cantonné dans un silence absolu après sa décision de démission, il a fini par lâcher quelques éléments d’information. Il a déclaré, samedi 17 décembre, au quotidien Essabah, qu’il a pris cette décision pour protester contre la tendance d’un parti (apparemment allusion à Nidaa Tounès) à mettre la main sur le ministère de l’Intérieur”.

Vivement un FBI tunisien à l’américaine

Par-delà tous ces éléments d’information, le moment est venu pour légiférer l’indépendance et la neutralité absolue du département de l’Intérieur, comme ce fut le cas pour la Banque centrale de Tunisie.

Faut-il rappeler que toutes les études et rapports sur les problèmes sécuritaires en Tunisie ont mis en garde contre les risques de la mainmise d’une seule partie (présidence, présidence du gouvernement, parti politique dominant…) sur le ministère de l’Intérieur.

L’idéal serait de créer un FBI tunisien selon les normes occidentales, et particulièrement américaines.

Au regard des dérapages qui ont eu lieu, au temps des dictatures de Ben Ali et de Bourguiba et dont les victimes ont aujourd’hui, dans le cadre de séances d’exorcisation  de l’Instance Vérité et Dignité, la possibilité d’en témoigner, l’opinion publique, les partis politiques et la société civile doivent se mobiliser pour dissuader tout retour à ces pratiques moyenâgeuses, s’agissant de la torture, des filatures, du contrôle administratif, de la culpabilisation arbitraire…

C’est la moindre des choses…