Tunisie-Economie : «Nous n’avons pas vu l’UGTT pousser à faire de nos villes des pôles d’attractivité»

Par : Autres

Mercredi 28 octobre, la Banque centrale de Tunisie a décidé de baisser son taux d’intérêt directeur de 50 points de base, le ramenant à 4,25%, pour contribuer à stimuler une économie qui se dirige vers la stagflation. La baisse du taux directeur devrait contribuer, théoriquement, à relancer l’économie par la demande (accroissement de l’investissement privé et de la consommation des ménages). Or, la baisse du taux d’intérêt n’est pas une condition suffisante pour relancer l’investissement, et ce au moins pour deux raisons.

D’abord, le milieu des affaires exige un environnement sociopolitique stable en vue de réaliser des investissements, car le retour sur investissement se fait progressivement sur une longue période.

Ensuite, le taux de rémunération de l’épargne, qui est indexé sur le taux d’intérêt directeur, reste tout de même assez confortable pour un placement sans risque à l’issue de la récente baisse du taux directeur.

Une observation rapide de ce qui s’est passé dans les pays occidentaux lors de la dernière crise financière montre que la baisse des taux d’intérêt des principales Banques centrales n’a pas réalisé les résultats escomptés en termes d’accroissement des investissements. En réalité, le modèle selon lequel l’arbitrage entre investissement et épargne se fait via le taux d’intérêt est obsolète et a montré empiriquement ses limites.

En ce qui concerne l’impact de la baisse du taux d’intérêt sur la consommation des ménages, on s’attend à ce que celle-ci augmente et soit un moteur de croissance. En admettant que la pratique soit conforme à la théorie, il ne faut pas perdre de vue qu’une partie non négligeable et croissante de la consommation des ménages tunisiens s’opère sur le marché parallèle. Ce type de consommation, plutôt que d’être un moteur de croissance, en devient le frein puisqu’il n’encourage pas l’investissement.

En conclusion, la BCT a observé un léger recul de l’inflation et elle a jugé bon d’abaisser son taux d’intérêt. Elle est dans son rôle et il n’y a pas lieu d’être euphorique outre mesure quant à l’impact de cette décision.

La demande de l’UGTT est légitime…

Le recul de l’inflation mentionné par la BCT est une première depuis 2011. Il faut rappeler que les prix à la consommation ont fortement augmenté en Tunisie durant les cinq dernières années. Les gouvernements qui se sont succédé ont brillé par leur incompétence à maîtriser l’inflation. En conséquence, l’UGTT a tout naturellement demandé à ce que les salaires soient augmentés.

Ici, il convient de rappeler deux points. Le premier est que la plupart des économistes s’accordent à dire que le niveau des salaires dans une économie donnée est déterminé par le niveau général des prix et non l’inverse. Le second est que le rôle d’une organisation syndicale est de défendre les intérêts de ses membres notamment en matière salariale. Donc, le comportement de notre centrale syndicale semble légitime à première vue surtout quand on connait mal le mode de fonction du marché du travail et les méthodes dont disposent les syndicats pour augmenter les salaires. C’est ce que nous allons voir dans la suite à l’aide d’une approche graphique simple destinée à des non-économistes.

… mais a politique syndicale peut avoir des effets néfastes sur le niveau de l’emploi

Rappelons d’abord que le marché du travail fonctionne à peu près comme un marché des biens et des services en ce sens que l’équilibre est déterminé par l’intersection entre l’offre et la demande de travail comme cela est indiqué sur la figure 1. Il convient de souligner que la demande émane des entreprises et que ce sont les salariés qui offrent leur temps de travail.

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Voyons à présent les trois moyens par lesquels les syndicats peuvent augmenter les salaires.

1.  Les syndicats peuvent augmenter le taux de salaire standard en négociant avec les employeurs pour fixer un salaire plus élevé que le salaire d’équilibre dans certains secteurs. Les syndicats sont susceptibles de réussir cela dans la mesure où ils sont en mesure d’organiser un large segment de la population active et d’utiliser les tactiques de négociation, y compris la volonté d’appeler et d’endurer les grèves. C’est un peu ce qui se passe en Tunisie ces dernières années. Ce qui n’est pas souvent apprécié, c’est que cette politique syndicale peut avoir des effets néfastes sur le niveau de l’emploi dans une industrie. Graphiquement, supposons qu’un syndicat soit en mesure de gagner un salaire,  au-dessus du taux d’équilibre. Les employeurs devront réagir en réduisant l’emploi à  puisque c’est le niveau d’emploi qu’ils sont prêts à engager pour ce niveau de salaire.
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2.  Les syndicats peuvent restreindre l’offre de main-d’œuvre dans des professions particulières en exigeant par exemple de très hautes qualifications pour exercer certains métiers. Graphiquement, les politiques syndicales peuvent déplacer la courbe de l’offre (de) provoquant l’augmentation du salaire d’équilibre et la baisse de la quantité d’emploi.

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Les syndicats peuvent accroître la demande de main-d’œuvre dans certains secteurs d’activité. Le lobbying politique pour des programmes spécifiques d’amélioration des infrastructures, de l’environnement, de la qualité de la santé publique, du transport, etc. combinés à la publicité d’image (par exemple Tunis est une ville propre et attractive) peuvent tous jouer un rôle ici. Graphiquement, cette politique a pour effet d’augmenter la demande au niveau  mais aussi d’augmenter le salaire d’équilibre et la quantité de l’emploi.

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On voit ainsi que l’UGTT devrait privilégier cette dernière politique puisqu’elle est la seule politique qui permette l’augmentation des salaires et la baisse du chômage. Nous n’avons pas souvenir d’avoir entendu la centrale syndicale appeler à voir des rues propres, des villes propres, de meilleures infrastructures pour notre pays. Nous n’avons pas vu la centrale syndicale pousser à faire de nos villes des pôles d’attractivité. Pourtant, l’UGTT serait là pleinement dans son rôle; elle défendrait les intérêts des salariés et placerait le bien commun, la patrie, au-dessus de tout. Cela nécessite du courage et une certaine maturité politique. L’UGTT en sera-t-elle capable?

* Maître de conférences des universités