Tunisie – Economie : Quelle nouvelle politique d’investissement?

econoie-radisocopie-680.jpgAller d’une économie de sous-traitance vers une économie de flux est l’objectif du gouvernement. Dans cette perspective, un écosystème nouveau pourrait donner le strike de la dynamique d’investissement. Et c’est bien par là qu’il faut commencer. Cependant, réformer n’est pas changer, mais au moins reconfigurer si on ne peut refonder.

Le dernier rendez-vous des mardis de l’entreprise, mardi 2 juin accueillait Yassine Brahim, ministre du Développement, de l’Investissement et de la Coopération internationale. Le thème du dîner débat donné pour la circonstance est tout à fait d’actualité : “Les cent premiers jours du gouvernement: La nouvelle politique d’investissement de la Tunisie“.

Entre Grands Ecoliers on s’épaule. Atugéen, le ministre pouvait faire une répétition avant la grande première prévue pour le 5 juin à l’ARP. A l’ATUGE, le ministre disposait d’un parterre d’opérateurs et décideurs économiques, une sorte de grand Jury, certes acquis à sa cause, mais néanmoins critique et pertinent. Et, cela a donné du pep aux débats.

La cause est entendue. Le pays est sclérosé par une façon de faire qui est totalement obsolète et par voie de conséquence, réformer est le point de départ de toute action gouvernementale. Et de toute façon, tous nos partenaires, FMI compris, nous le font savoir chacun à sa manière et même avec une certaine fermeté, parfois.

L’état des lieux et l’état de l’art

Investir, oui, disent en chœur les opérateurs. Mais l’écosystème n’y aide pas. Un grand coup de balai s’avère nécessaire, laisse entendre le ministre, rappelant que le code actuel remonte à 1993 et qu’il a été amendé à répétition. Ce cadre n’offre plus de lisibilité, son heure a donc sonné.

Mais faut-il remplacer un code par un autre code, sachant qu’un code est toujours contraignant? Pourquoi ne pas abandonner le code, à l’instar des pays développés et se contenter de textes réglementaires sectoriels? On pourrait se suffire d’une liste négative répertoriant les activités administrées signifiant que tous les autres sont de libre accès.

L’investissement est un acte libre, de même que l’accès au marché. Le pays a bien opté pour la liberté d’entreprise, dira le ministre mais pas pour le libéralisme intégral. Beaucoup de secteurs, notamment peu concurrentiels, resteront sous autorisation. Le chemin de fer restera public. Le transport aérien n’y échappera pas de beaucoup. On devra donc se doter d’un code et d’ailleurs celui-ci est dans le pipe à l’ARP. Cependant, ce ne sera un code d’un type nouveau, qui s’intègre à une vision rénovée du dispositif global de promotion de l’investissement.

Les contreperformances du système actuel

L’investissement dans le pays est à son étiage. De 2011 à 2014, il a baissé de 24 à 19% du PIB alors qu’il caracole à 30% au Maroc. L’enveloppe publique est à 5 milliards de dinars. Elle est rarement utilisée à plus de 60%.

L’investissement privé, bon an mal an, oscille entre 6 à 8 milliards de dinars. Pour sa part, l’IDE plafonne à 2% du PIB et s’oriente à près de 60% vers le secteur de l’énergie. Outre cette anémie quantitative, les couacs procéduriers ne manquent pas. Il faut de 7 à 18 mois pour réaliser un investissement. On a beau dire que les secteurs soumis à autorisation ont une inertie économique élevée, n’empêche qu’ils génèrent 75% de la valeur ajoutée du PIB. Et 5% des activités protégées génèrent 80% de l’Impôt sur les sociétés.

Par ailleurs, 90% des subventions et autres primes publiques vont à 10% des opérateurs. Le système est totalement vicié et il est en total déphasage par rapport aux priorités du moment.

Une meilleure fonctionnalité, une meilleure opérabilité

La réactivité de l’appareil administratif est le credo qui inspire l’esprit des réformes du gouvernement Essid. Dans cette perspective, la chaîne de promotion de l’investissement sera profondément remaniée, compactée en vue d’une meilleure opérabilité. Ainsi donc, il y aura une seule et unique autorité d’investissement, avec des représentations régionales. C’est elle qui délivrera les approbations. Elle sera comme supervisée par le Conseil national de l’investissement, qui aura un conseil d’administration mixte composé du public et du privé. Et c’est lui qui gérera les choix publics en matière d’orientation économique.

Dans son sillage, il existera un fonds souverain dont les participations viendront appuyer les choix de l’Etat en matière de promotion industrielle. Toutes les agences sont appelées à fusionner. Ce dispositif institutionnel semble plus cohérent, et mieux à même de traduire les choix forts de l’Etat en matière de promotion de l’investissement.

“Dégraisser le Mammouth“ ou mette un tigre dans son moteur

Réformer le dispositif institutionnel est nécessaire mais d’abord peut-on compacter la ligne de front actuelle avec l’efficacité requise? Compacter toutes les agences entre elles, malaxer le Foprodi avec toutes les lignes de subvention publiques, peut-il s’opérer d’un coup de baguette magique?

Des contingences peuvent survenir mais l’esprit des réformes pourrait irradier. Toutes les parties prenantes devront mettre la main à la pâte. Aller d’une économie dirigée vers une économie où l’administration serait dans une posture de régulation est un changement de paradigme qui peut susciter une certaine adhésion. Le ministre reconnaît que l’Etat d’esprit des responsables de l’administration fera la différence. “Faut-il dégraisser le mammouth“? Non, on ne sera pas dans une logique de rabotage des effectifs et des attributions tout en essayant que l’administration bascule de fait vers une culture de la performance. C’est un pari de taille. Rien n’empêche que l’administration mette un tigre dans son moteur. De toute façon, l’indicateur de performance fondamental sera la mesure de la progression de l’investissement. Et c’est au vu de son évolution que l’on fera le point. Et en la matière, l’opinion ne manquera pas de réagir aux résultats.

Le déficit d’investissement nous a coûté des sommes colossales qui ont servi à payer la patience des couches les plus défavorisées. La vitesse de reprise de l’investissement devra assurer le relai, sans quoi la réforme tournera court.