Tunisie – Contrebande : Le président de l’ODC s’attaque au secteur formel

commerce-parallele-680.jpgAu moment où les experts font assumer à la contrebande et au commerce parallèle tous les maux dont pâtit le consommateur par l’effet de la cherté de la vie, et au moment où la police commence à mener une guerre sans merci contre les étalagistes qui ont envahi toutes les villes du pays, le président de l’Organisation de défense du consommateur (ODC), Mohamed Zarrouk, se démarque de la diabolisation de l’informel et décide de mener une campagne contre le secteur formel, particulièrement contre les lobbys qui, selon lui, à défaut de lois dissuasives, font main basse sur le marché et imposent, en toute impunité, leurs règles mafieuses.

La décision du président de l’ODC de s’attaquer frontalement au secteur formel et de lui faire porter toute la responsabilité de la récession économique et de la flambée des prix relève certes du courage. Mais, elle est surtout fort intéressante en ce sens où elle lève le voile sur les véritables responsables de la cherté de la vie et met, publiquement, en cause la qualité morale des hommes d’affaires tunisiens dont les plus puissants ne seraient, à la limite, que de minables barons de la contrebande et de “soudoyeurs“ d’agents publics.

Les barons de la contrebande seraient de faux hommes d’affaires

A preuve, la récente affaire de la saisie par la police de quelque 350.000 pièces de feux d’artifice d’une valeur de 3 MDT importés illégalement et sans dédouanement, au port de Sfax. Des hommes d’affaires sfaxiens et des douaniers y seraient impliqués. Pis, une des personnes impliquées directement serait un membre de la représentation régionale de l’Organisation patronale nationale (UTICA). Ce qui dit long sur la qualité de l’encadrement de cette organisation. Cette même organisation qui s’était empressée de publier un communiqué pour “mettre en garde contre la diabolisation des patrons“ alors que son rôle était, justement, de moraliser ses troupes et de se débarrasser des brebis galeuses lesquelles seraient en grand nombre.

Pour certains observateurs, cette affaire de feux d’artifice ne serait qu’une partie visible de l’iceberg. Ces faux hommes d’affaires, voire ces barons de la contrebande, seraient à la tête de réseaux puissants qui seraient capables, selon l’expert Moez Joudi, de garantir, de nuit comme de jour, le transport, en toute sécurité, des marchandises illicites sur toutes les routes du pays, et ce en corrompant certains agents publics en service sur ces voies de circulation.

Les propositions de l’ODC pour contenir la cherté de la vie

Pour y remédier, le président de l’ODC, qui semble exaspéré par le laxisme des autorités et par tant d’impunité, propose une série de mesures. Parmi celles-ci figure la promulgation de lois sévères et dissuasives. A ce propos, l’ODC refuse la nouvelle loi sur la concurrence et les prix dans sa version actuelle. Il estime qu’elle n’est pas suffisamment dure pour protéger le consommateur.

Le président de l’ODC, qui a qualifié cette nouvelle loi de «loi des lobbies», a expliqué l’impératif de conférer à cette législation plus de rigidité afin de contrer la mainmise des grands industriels sur plusieurs produits de base (oignon, pommes de terre…) au point d’en détenir le monopole.

Pour y mettre fin, il propose deux solutions. La première consiste à faire en sorte que tout industriel ne puisse détenir plus de 40% des parts du marché pour un produit donné. La seconde est une conséquence de la première. Il s’agit d’assurer un contrôle plus sévère des circuits de distribution et des entrepôts frigorifiques qui seraient la logistique préférée des contrebandiers aux fins de stocker les produits, de ne les sortir qu’en cas de pénurie et de fixer les prix qui les arrangent.

L’informel ne serait qu’un produit du formel

Par-delà ce coup de gueule du président de l’ODC, il faut reconnaître que le secteur formel (hommes d’affaires, entreprises publiques, administration corrompue…) est toujours à la hauteur de sa mauvaise réputation et de son mauvais rendement.

Mention spéciale pour les patrons tunisiens qui continuent à ressembler plus à des “tigres en papier“ qu’à de véritables chefs d’entreprise innovants et générateurs d’activités créatrices.

Nos patrons investissent peu et ne créent pas de la valeur

Après plus de cinquante ans d’indépendance, les industriels et commerçants tunisiens, créés de toutes pièces des décennies durant par un Etat-providence et des banques publiques peu regardantes sur la rentabilité, la viabilité des projets, sont, hélas, à la périphérie de la performance patronale conventionnelle et bien loin des standards et normes internationales exigées en matière de qualité de gouvernance et de management.

Ils présentent le désavantage structurel de ne pas créer de la valeur ajoutée, de ne rien faire pour enraciner, dans leurs usines et locaux, la culture d’entreprise et l’esprit d’innovation. Ils ont évolué dans le sillage d’activités de bout de chaîne peu innovantes et peu rémunératrices: sous-traitance, transformation, commerce, assemblage, montage, confection…

Après le soulèvement du 14 janvier 2011, beaucoup d’entre eux, travaillés génétiquement par la cupidité et dotés d’importantes liquidités, sont tombés dans le piège de la contrebande et son corollaire, le trafic des produits contrefaits, portant, ainsi, des coups durs à plusieurs entreprises publiques. La situation que connaît actuellement l’entreprise El Fouledh en est une illustration éloquente. Cette entreprise est, aujourd’hui, au bord de la faillite en raison de la concurrence déloyale que lui livrent les contrebandiers et importateurs non réglementaires de l’acier à béton en provenance d’Algérie.

Enfin, les patrons tunisiens investissent très peu en dépit des juteuses incitations fiscales et financières dont ils avaient bénéficié des décennies durant.

D’après la Banque mondiale, la part de l’investissement privé dans l’enveloppe globale de l’investissement n’a été que de 13 et 14%. Or, si la Tunisie projette d’atteindre des taux de croissance de plus de 5%, il est impératif d’augmenter la part de l’investissement privé à 20 voire 25% du total, un taux du reste en vigueur dans des pays concurrents de la Tunisie.

Moralité: les patrons tunisiens ont, désormais, du pain sur la planche pour changer leur image et transcender la réputation qui leur colle à la peau en tant que «chasseurs de primes et de subventions» et non, comme il se doit, de managers investisseurs et créateurs de valeur ajoutée.