A Cuba, le nouvel espoir d’un internet ouvert à tous

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à La Havane (Photo : Adalberto Roque)

[29/01/2015 08:56:26] La Havane (AFP) Deux fois par semaine, Alfredo Castellano doit se rendre dans le centre-ville de La Havane pour rédiger à la hâte quelques mails sur un ordinateur vétuste d’une salle internet.

A l’instar d’une majorité de Cubains, Alfredo ne peut se connecter à domicile mais il nourrit depuis quelques semaines l’espoir d’un changement à la faveur du rapprochement historique annoncé mi-décembre entre les États-Unis et Cuba.

“Je suis très enthousiaste parce que cela pourrait changer beaucoup de choses. Ce qu’on ignore, c’est le temps que ça va prendre”, explique le jeune homme de 28 ans avant d’expédier un message à une amie résidant à Winnipeg, au Canada.

Casquette de baseball et débardeur, ce guide touristique en formation paie 1,5 dollar de l’heure pour consulter sa boîte mail sur l’un des douze écrans de cette petite salle confinée.

“Ici, la technologie est un peu en retard”, regrette Alfredo, qui n’avait pas accès au réseau lorsqu’il suivait ses études d’informatique il y a dix ans. Aujourd’hui, il préfère passer une demi-heure dans les transports en commun pour bénéficier d’un débit correct.

“Les gens sont très frustrés. Il y a beaucoup de choses qu’on ignore parce qu’on n’a pas internet”, poursuit-il.

– Projet encore flou –

Pour contourner le problème, les plus débrouillards ont trouvé le moyen de pirater les mots de passe des signaux wifi de certains hôtels et bureaux de la capitale.

D’autres profitent du “paquete”: des centaines de mégabytes de films, émissions de TV, jeux et programmes informatiques, actualisés chaque semaine, qui circulent sous le manteau à prix modique.

Dans certains quartiers périphériques de La Havane, des centaines de passionnés des jeux en ligne ont créé leur propre réseau en installant illégalement de puissants routeurs wifi. Ils peuvent ainsi échanger des contenus et jouer en groupe dans leur intranet.

Les autorités ferment pour l’instant les yeux, tant que les règles tacites – pas de pornographie, de politique ni de connexion au “vrai” internet – sont respectées.

Il y a une dizaine de jours, Washington a annoncé l’assouplissement des exportations vers Cuba dans ce secteur, que ce soit au niveau des infrastructures, des logiciels ou des terminaux grand public, dans le cadre du dégel avec l’île communiste annoncé le 17 décembre.

Mais si le gouvernement cubain se dit disposé en principe à recevoir les entreprises américaines, la matérialisation du projet demeure floue.

Les observateurs identifient trois principales inconnues: la disposition de La Havane à laisser la population accéder librement à internet (seules quelques professions sont aujourd’hui autorisées à être connectées à domicile), la fin du monopole de la compagnie d?État Etecsa et les moyens financiers du gouvernement cubain.

“Si Cuba veut vraiment avancer et si Etecsa ne fait pas blocage, reste le problème du manque de fonds”, explique à l’AFP Larry Press, professeur de sciences de l’informatique à l’université de California State.

En outre, selon ce dernier, La Havane doit libéraliser l’accès mais aussi anticiper les changements technologiques à venir.

– ‘Coincé dans les années 1990’ –

A l’issue d’une visite à Cuba en juin dernier, la président de Google, Eric Schmidt, a affirmé que l’internet y demeurait “coincé dans les années 1990” et que l’embargo commercial américain rendait difficile le changement des infrastructures en place, venues d’Asie.

En 2013, Cuba a concédé une avancée en ouvrant plus d’une centaine de salles de navigation publiques, aux tarifs inférieurs à ceux pratiqués dans les hôtels (4,5 dollars au lieu de 10 en moyenne), mais toujours prohibitifs pour la majeure partie de la population d’un pays où le salaire moyen est d’environ 20 dollars.

Quant aux connections privées, elles sont strictement réglementées et ne concernent que 3,4% des foyers, selon l’Union internationale des télécommunications.

“Cela limite mes affaires”, se plaint Belkis Basail, 45 ans, qui a ouvert en 2011 une “casa particular”, auberge privée dont Raul Castro a facilité le développement dans le cadre de ses réformes économiques.

Mme Basail voudrait pouvoir faire sa publicité en ligne et offrir ce service à ses clients venus de l’étranger, mais c’est pour l’instant impossible.

Elle aussi compte sur le rapprochement avec les États-Unis pour voir les choses évoluer. “Mieux vaut avoir des amis que des ennemis”, plaide-t-elle.