Les mythes du commerce informel dans les pays en développement

Commuters at the Wynberg Taxi rank in Cape Town on their way home. Par définition, le commerce informel est difficile à mesurer car même si tout le monde l’a vu, il n’apparaît pas dans les statistiques officielles.

Ainsi, les estimations sont souvent difficiles à mener et souvent assez coûteuses car demandent de recouper de nombreuses informations (données douanières, données d’enquêtes aux frontières, statistiques économiques et sociales locales, interviews des acteurs et parties prenantes dans les secteurs concernés).

Mais ceci semble porter ses fruits: à mesure que la production d’informations et de données avancent, certaines affirmations fondées sur des rumeurs voire des croyances sont contredites par la réalité des chiffres. C’est d’autant plus intéressant que les mêmes phénomènes et caractéristiques du commerce informel se retrouvent, que ce soit en Asie centrale, Afrique sub-saharienne et Afrique du Nord.

Ce sujet est désormais d’autant plus important que le commerce informel semble avoir pris de l’importance. Ce dernier est important car il crée des pertes de recettes pour les pays en développement mais, dans le même temps, contribue au développement local, souvent dans des régions frontalières loin éloignées des grands centres économiques.

Il est ainsi temps de briser certains mythes concernant le commerce informel en s’appuyant sur les études chiffrées récentes sur la Tunisie, le Nigeria ou l’Asie centrale.

1. Le commerce informel génère des revenus faibles

On a souvent l’image du commerçant qui survit grâce au commerce informel en passant la frontière en voiture ou à pied avec des fruits et légumes. Il est vrai que dans ce cas-là, les revenus générés pour ces passeurs sont souvent à peine au-delà du seuil de pauvreté.

Mais le commerce informel, pour qui possède la cargaison, est extrêmement profitable. Au Nigéria, ce sont des milliards de dollars qui entrent en contrebande. Avec des taux de marge supérieurs à 50%, ce sont des milliards de profits que se partagent les têtes de réseaux. L’histoire est similaire en Afrique du nord ou en Asie centrale. Cela permet alors aux commanditaires du commerce informel de devenir des hommes politiques, comme A.Salymbekov au Kirghizstan, et être protégés par une certaine impunité.

2. Les pratiques du commerce informel sont similaires

Les autorités, notamment les douanes, perçoivent souvent le commerce informel comme un tout. Pourtant, à l’étude détaillée des pratiques du commerce informel, on s’aperçoit que le commerce informel reproduit quasiment le même continuum de pratiques que le commerce formel (Benjamin and Mbaye 2012): ainsi, des importateurs peuvent être considérés comme « professionnels », c’est-à-dire payant quasiment intégralement les droits de douanes ou bien ayant les mêmes niveaux de taxation que les importateurs formels mais de l’autre côté du spectre, il existe des importateurs qui ne comptent que sur des relations personnelles avec des douaniers et font des « coups » en négociant des niveaux de taxation très faibles voire inexistants.

3. Le commerce informel rapporte peu de recettes

Il est vrai qu’étant donné les volumes relativement faibles d’importations informelles, le commerce informel peut difficilement expliquer les problèmes de recettes douanières des pays en développement. Néanmoins, proportionnellement, ce commerce, comme il est souvent assujetti à des pics tarifaires ou des droits d’accise, est potentiellement pourvoyeur d’une part non négligeable de recettes. Ainsi, en Tunisie, on estime que les importations représentent 5 à 8% des importations totales mais au moins 12% des recettes douanières. De même, la friperie au Cameroun, qui est un des secteurs importants du commerce informel, est l’un des principaux postes de recettes du pays.

4. Les équipements aux frontières permettent d’endiguer le commerce informel

Les autorités expliquent souvent que la contrebande s’explique par un manque d’équipements et de matériels à la frontière et désirent alors avoir des scanners, caméras et vont même jusqu’à miner la frontière ou installer des barrières de fils barbelés comme en Asie centrale dans la vallée de Ferghana. Un scanner est bien en place à la frontière tuniso-libyenne mais le commerce informel est loin d’avoir été endigué. Lorsque les différences de prix sont d’un facteur de 3-4 fois au minimum, l’importateur informel trouve toujours des autorités douanières ou sécuritaires conciliantes moyennant le paiement de pots-de-vin. Nick Megoran et al. (2005) ont ainsi montré que, malgré la fermeture avec des barbelés et des caméras de la frontière entre Ouzbékistan et Kirghizstan, les flux continuent de prospérer grâce à la collaboration de certaines autorités locales de contrôle.

5. Les importateurs informels sont responsables des mauvaises pratiques

On pense souvent à tort que ce sont les importateurs qui possèdent les clés dans le commerce informel. Or ceci est erroné, ce sont avant tout les commissionnaires en douane, qui sont chargés du dédouanement, qui tirent les ficelles car ceux sont eux qui connaissent les procédures (ou pas) et réalisent pour le compte de l’importateur les procédures d’importation comme cela a été montré au Cameroun (Cantens et al. 2014).

On connaît ainsi mieux comment fonctionne le commerce informel et quelle est son ampleur mais que faire?

Il est tout d’abord important de comprendre encore mieux les pratiques et générer des informations car il existe des pratiques spécifiques à des secteurs d’activité qui s’expliquent souvent par le niveau de profit et le niveau de taxation.

Il est important pour les douanes et services de sécurité de différencier beaucoup plus le traitement des importateurs et commissionnaires mais pour cela il est crucial que ces administrations essaient de mieux les comprendre et les connaître. Quand c’est possible, il est important d’essayer d’identifier les têtes de réseaux qui sont des menaces pour l’intégrité des institutions et s’enrichissent au détriment des consommateurs.

Il est enfin besoin de renforcer le contrôle hiérarchique au sein d’institutions comme les douanes.

En conclusion, le laisser-faire ou la répression aveugle ne sont aucunement la solution. Mais, dans des contextes politiques difficiles, ceci est souvent plus facile à dire qu’à faire.rce informel est difficile à mesurer car même si tout le monde l’a vu, il n’apparaît pas dans les statistiques officielles. Ainsi, les estimations sont souvent difficiles à mener et souvent assez coûteuses car demandent de recouper de nombreuses informations (données douanières, données d’enquêtes aux frontières, statistiques économiques et sociales locales, interviews des acteurs et parties prenantes dans les secteurs concernés).

Mais ceci semble porter ses fruits : à mesure que la production d’informations et de données avancent, certaines affirmations fondées sur des rumeurs voire des croyances sont contredites par la réalité des chiffres. C’est d’autant plus intéressant que les mêmes phénomènes et caractéristiques du commerce informel se retrouvent, que ce soit en Asie centrale, Afrique subsaharienne et Afrique du Nord.