Le nouveau système politique en Tunisie : Quel impact sur l’économie?

Selon de nombreux experts et juristes, le système politique qui a été mis en place par la Constitution de la Troïka se caractérise par une certaine ambiguïté voulue par certains partis politiques qui ont misé sur le système parlementaire qui consacrerait leur domination en donnant au Parlement de larges pouvoirs contre des prérogatives paraissant floues et limitées pour la présidence de la République.

wmc-economie-sauve-tunisie.jpgCela a entraîné l’adoption de choix imprécis comme le montrent certains articles de la Constitution, ce qui affecterait le déroulement normal des activités des institutions de l’État, empêcherait l’élaboration des politiques générales du pays et limiterait l’efficacité des autorités, en particulier lors de la mise en œuvre de programmes gouvernementaux, ce qui donc contribuerait à la création d’une situation politique instable.

Facteurs et répercussions de l’instabilité politique

Les chercheurs divergent dans la détermination de la notion d’“instabilité politique“ et de ses répercussions sur la vie économique et sociale d’un pays à l’autre en fonction de la capacité d’un système politique à faire face aux crises et difficultés socio-économiques et garantir ainsi la souveraineté de l’État et les intérêts de la société durablement.

Dans ce contexte, plusieurs experts ont démontré que l’instabilité politique affecte la croissance économique du fait qu’elle fait accroître l’incertitude, au sens large du terme, qui, à son tour, influe négativement sur les principales décisions des agents économiques, tels que l’épargne et l’investissement.

Une probabilité élevée de changement gouvernemental implique une variabilité des politiques publique futures. Ceci conduit les opérateurs économiques, averses au risque, à adopter une attitude attentiste en reportant ou en annulant toute initiative susceptible d’augmenter le volume des activités économiques. Pareils comportements ne peuvent que favoriser la baisse des investissements locaux voire induire la répulsion de ceux émanant de l’extérieur, préférant se diriger vers des environnements plus stables.

Ceci montre clairement que les assises fondamentales de la stabilité politique sont basées sur un changement restreint au niveau de l’exécutif afin de lui garantir des périodes de réalisation de projets raisonnables et assurer ainsi une certaine continuité dans un temps pour la mise en place de politiques efficaces, tandis qu’un changement successif à ce niveau -pour des raisons peu convaincantes- est considéré comme un indicateur d’instabilité politique surtout dans le cas où le Parlement s’accapare de larges prérogatives dont il pourrait s’en servir pour infléchir l’agenda de l’exécutif.

En évaluant certaines expériences politiques vécues par des pays comme l’Irak, le Liban, l’Italie, la Malaisie et le Canada, on peut affirmer que les systèmes politiques qui garantissent le plus la stabilité politique sont ceux qui adoptent une approche basée sur l’existence d’un bloc dominant, tout en assurant le droit de rendre des comptes, étant donné que les systèmes hybrides -tel que celui de la Tunisie- conduisent à une représentation disparate et fragmentée et n’assurent pas la continuité des travaux du Parlement, en particulier dans les pays qui vivent de profondes divisions politiques et idéologique, ce qui conduit inévitablement à un affaiblissement du gouvernement et à l’émergence de toutes sortes de difficultés surtout lorsqu’il s’agit de voter de nouvelles lois ou lors d’adoption de profondes réformes.

Les conséquences de l’instabilité politique sur l’économie et la société

Certains analystes ainsi qu’un grand nombre d’organisations financières internationales mettent l’accent sur la nécessité d’atténuer les effets de l’instabilité politique en particulier dans les pays politiquement fragiles ou en phase de «transition démocratique», comme la Tunisie, et ce afin de stabiliser les principaux équilibres économiques, en particulier la croissance économique.

Dans ce contexte, plusieurs questions se posent quant à l’impact de l’instabilité politique. Une étude du Fonds monétaire international, élaborée en 2012 et dont la problématique était l’impact de l’instabilité politique sur la croissance économique, a démontré à travers la sélection d’un échantillon quantitatif et systématique bien défini et s’appuyant sur des données statistiques politiques et économiques dans 169 pays au cours de la période s’étalant entre 1990 et 2009, que les crises politiques ont impacté négativement la productivité, la création de richesses, l’exportation, l’investissement, ainsi qu’une diminution significative du taux de croissance du PIB par habitant.

Les perspectives économiques et sociales de la nouvelle réalité politique

Il semble évident que les études qui avaient essayé de proposer de nouvelles solutions pour la problématique de l’instabilité politique et ses interactions avec les sphères économiques et sociales connexes ont insisté sur le fait que les régimes politiques aspirant à limiter les effets négatifs des perturbations et des fluctuations subies par les institutions de l’Etat, doivent apporter les remèdes adéquats aux causes profondes de la fragilité politique afin d’atténuer ses répercussions sur l’économie et soutenir la croissance.

La stabilisation de la situation politique semble être une urgence dans un certain nombre de pays fragilisés par une longue période de transition comme la Tunisie qui se trouve actuellement dans un flou politique dominant, à cause de certains articles de la Constitution de la Troïka qui consacre des concepts vagues, telles que la concertation, la cooptation, et autres dérives «constitutionnelles» et terminologiques inintelligibles parfois même parmi les spécialistes en matière de droit constitutionnel et public.

Le cercle vicieux de l’instabilité politique

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Source : Rencontre des challenges pour le développement global, Groupe Banque mondiale, juin 2000.

Ainsi, la solution appropriée à ses problèmes est la bonne gouvernance et la stabilité des facteurs de prospérité liés aux aspects économiques et sociaux surtout, ce qui permet de répondre aux exigences des plans de sauvetage structurels et la mise en place d’un modèle de développement.

On craint que la situation en Tunisie ne bascule dans la concentration des pouvoirs dans les milieux partisans et idéologiques tout en consacrant les intérêts des lobbies, des groupes sectaires, régionalistes et tribalistes, ce qui entraverait le bon fonctionnement de l’Etat, de l’intérêt public et perturberait ainsi toute volonté de réforme, quels que soient son origine et ses objectifs.

Ce climat d’incertitude politique aura des conséquences qui pourraient contribuer à la détérioration de la situation dans notre pays compte tenu d’une croissance en berne et qui est mesurée sur une base quantitative et selon les tendances macro et micro économiques et sectoriels. Toutefois, un taux de croissance de 3,1% enregistré au cours des trois dernières années ne signifie pas forcément une croissance solide et durable parce qu’il ne concerne que les secteurs des travaux publics et certaines industries manufacturières alimentaires en particulier. Les organismes financiers internationaux ont jugé dans leurs rapports que la Tunisie ne pourra résister au moindre choc économique au moins pendant les deux prochaines années.

La Banque mondiale prévoit dans les mois à venir la baisse de l’investissement privé et extérieur dont l’encours est tombé à 21,31 milliards de dinars en 2013 et qui a continué sa chute au cours des neuf premiers mois de l’année 2014 de 28%, ce qui a affecté la balance des paiements déjà déficitaire de 5,84 milliards de dinars, soit 7,1% du PIB, en raison de la baisse des revenus du tourisme et de l’exportation.

Par conséquent, le lancement de l’application d’un plan global de sauvetage basé sur un dialogue national réel (loin des lois économiques impromptues proposées par le gouvernement sortant et qui auront une incidence négative sur l’économie du pays) est devenu nécessaire pour assurer la stabilité du pays en général.

À la lumière des données préliminaires du rapport établi par la Banque mondiale -qui sera publié bientôt et relatif à l’évaluation des politiques de réforme de développement en Tunisie-, il paraît clairement que la phase actuelle ainsi que les phases précédentes ont été caractérisées par l’incertitude et le manque de confiance dans l’avenir, ce qui a eu un impact négatif sur les initiatives des acteurs économiques et les partenaires du pays dans les domaines de l’investissement et l’exportation vrais moteurs de la croissance et surtout à cause des ravages causés par l’économie souterraine ou parallèle qui a considérablement affaibli la compétitivité du secteur formel.

À cet égard, les experts la Banque mondiale insistent sur la lutte contre l’inflation (5,6%) parallèlement à l’adoption d’une politique monétaire moins accommodante qui diminuerait le taux d’intérêt de référence jugé très élevé, qui a atteint 4,94%, ainsi que la pénurie de liquidité qui a frôlé les 5,20 milliards de dinars depuis septembre dernier.

Ils soulignent que la mise en place d’une politique économique générale efficiente associée à une situation politique stable dans la durée peut améliorer la note souveraine et la côte de crédit de la Tunisie qui pourra ainsi s’engager sur le chemin de la construction et surmonter les crises.